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mercredi 12 mars 2025

Le roi borgne

 La fonction lumineuse projette ses unités depuis sa source éloignée du ciel, et tout ceci ricoche sur les façades des bâtiments austères, éclairant chaque brique ainsi que les joints qui les lient en formant des structures alvéolaires qui semblent pousser vers les cieux. Un rai trouve l'angle parfait pour gicler dans mes yeux depuis la réflexion d'une surface vitrée: aveugle, je continue de voir, pourtant, ce qui devrait m'être donné par les sens. Les angles aigus des toits qui coupent l'arête verticale d'une façade, les formes géométriques de tous ces solides qui projettent leur stéréographie à travers l'épaisseur de l'air où s'envolent mille particules de la ville enrouée. Les ombres qui se jettent des murs pour recouvrir les sols de sciagraphie savante. Les rectangles colorés des fenêtres encadrant la spéculaire surface qui fait cette chambre aux miroir des rues, piégeant récursivement la lumière.

L'exécution mathématique de tout cela ne cesse jamais, même par ingestion de stupéfiant elle n'en demeure pas moins active; anamorphique mais réelle; comme une simulation vidéopathique sans fin dont nous serions partie prenante jusqu'à ce que l'humanité voile par quelques pelletées de terre le signifiant déclinant d'une conscience éteinte -- mais que savons-nous de cette extinction? pouvons-nous seulement prétendre que la fonction récursive d'une conscience peut un jour s'abolir? Cesse-t-il un jour ce programme si bien agencé qu'il éternue des galaxies comme une bruine imaginaire?

jeudi 11 juin 2020

La partition musicale de l'existence

Lorsque Rilke affirme que "les vers ne sont pas des sentiments mais des expériences", je ne peux m'empêcher d'y voir une confusion que j'observe souvent en mes semblables pour qui l'esprit est un vêtement encombrant, un voile qui ternit de doutes et d'interminables méandres la linéarité parfaite des choses vécues. Je ne prétends pas ici pouvoir reconstituer la richesse du bouquet psychique du poète, mais je me permets, humblement, d'utiliser l'assertion susmentionnée comme point de départ d'une réflexion personnelle, qui vise à dissoudre une dualité qui me semble artificielle, comme le sont les paradoxes où aboutissent les questions mal posées.

Si les sentiments n'étaient pas des expériences, comment seraient-ils seulement quelque chose, comment pourrions-nous en parler et en faire des objets de pensée? Le sentiment est nécessairement expérience vécue et le vers lui-même n'échappe pas à la dualité apparente de tout vécu extériorisé en objet. Certes le vers peut être, lorsqu'il est pure lecture ressentie, ou pur écrit ce faisant, seulement et totalement expérience. Mais dès lors qu'il existe en tant que vers, c'est à dire en tant qu'objet qui prend forme et existe précisément par ce processus même de formation, il est sentiment et même objet théorique.

Les choses de l'esprit, les idées, ne sauraient être hors de l'expérience, sans quoi nous ne pourrions rien en faire, ni les discuter, ni les critiquer ou bien les encenser. Un concept, même purement mathématique, est toujours une expérience vécue, il provoque quelque chose, il est traité par la conscience -- qui est aussi corporelle qu'immatérielle -- et devient par ce processus une totalité ontique, un moment de vécu par l'écoulement du présent.

La pensée, le sentiment, l'émotion, l'aperception ou la méditation sont tous des modalités d'existence, c'est à dire de l'expérience. Pour cela, les idées ne sont pas moins effectives que les actes et peut-être le sont-elles plus dès lors qu'elle prennent forme dans un objet défini qu'un support quelconque vient arracher au flux entropique du temps. Le vers est une telle chose: une pierre servant à l'édification de ces cathédrales de l'esprit et du mouvement physique que sont les poèmes en tant que partition musicale de l'existence.