Il est bien nécessaire, parfois, de vérifier qu'existe encore en nous cette volonté d'expression et la capacité de s'y livrer concrètement. À force de procrastination, il est si simple d'habiter l'abstraction comme un monde possible qui, à demeurer seulement possible, plonge cette partie si chère de nous dans une déréalisation pire que la mort elle-même.
En attribuant à un élan de sa personne une valeur transcendante et essentielle, on en vient facilement à repousser tout moment de s'y fondre pour la raison qu'entrer dans le sacré ne saurait se faire sans préparation préalable, sans cette forme de sainteté qu'est l'inspiration par laquelle on croit sortir de la médiocrité pour toucher la grandeur d'une extranéité. Alors on hésite, on attend le moment opportun qu'on ne sait plus créer parce que le but fixé nous paraît de plus en plus lointain, intangible, aussi reculé que l'est une divinité qu'il ne faut pas trahir.
Ne plus écrire, parce qu'on recherche dans l'écriture plus que ce que l'on est, plus que tout ce qui est immédiatement donné dans le prosaïsme d'une vie dévorée par la quotidienneté et le consommatoire. Or il faut un extrême détachement pour parvenir à sortir de la roue et s'élever vers la Beauté qui nous maintient vertical.
J'essaie, de temps à autre, de vérifier par des incantations pathétiques si la Beauté est encore là, tout en méditant de lui rendre hommage, un jour, par une cathédrale du Verbe dont la forme phantasmée s'ourdit jour en jour en ma psyché dévastée. C'est du désert brûlant que s'élève en mirage ma Babel idéale, ma rédemption, mon hommage.
Un jour, peut-être, je ramasserai tous les fragments épars de mes brouillons de courage pour forger cette armure chargée de s'ajuster aux articulations innombrables de cette Vérité que je contemple, et moi aussi j'ourdirai du tourment la forme du divin.