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mercredi 16 avril 2025

[ INSTITUTION ] Caberdouche

 Une institution, c'est normalement quelque chose qui tient, quelque chose de ferme, une sorte de monument d'airain dans le branloire du monde. Et pourtant celle qui m'accueille et suce ma sève en parasite est d'une impéritie notoire, aussi mal faite que cette vie sans but pour une humaine nature dont toute l'essence réside, précisément, dans le sens...

Dieu que tous les eudémonismes me sont intolérables, il y a bien plus de manières de se suicider ou se détruire que de parvenir au bonheur. On trouve même souvent de la joie à se détruire jusqu'à l'os. Et toutes les pathétiques joies qu'on se donne ne mènent à rien d'autre qu'à cet instant qui nous tient dans sa toile, en relative bonne santé, dans une situation sociale relativement réussie, et tout ce relatif achèvement nous donne une nausée absolue -- sans qu'on parvienne toutefois à vomir.

Même les mots s'abîment de cotôyer notre médiocrité: radieux qu'ils étaient, ils se mettent à arborer cette grisaille universelle des civilisations, la plupart sont d'un ennui terrible, il faut en chercher de nouveau que nous salirons de nos mains afin qu'ils deviennent, comme les autres, une unité de la langue commune.

Savoir que rien n'a d'importance ne fait pas léviter pour autant les pavés dans le ciel, une gravité cosmique nous arrime au quotidien de plomb, nous achemine sur un comptoir en bois massif, une jour de semaine, le matin, pour y poser le cercle hyalin d'une libération éphémère, avec sa mousse qui nous coule sur les doigts qui finiront poisseux. Et l'on pourra sentir alors l'odeur douceâtre qui nous rappellera, plus tard, dans la geôle d'une heure ouvrée, la possibilité d'une île -- où il serait si bon de se laisser engloutir par les eaux...

Pour le bonheur il faut croire, or d'églises où vivent encore quelques divinités, je ne connais que tous ces caberdouches de villages endormis où des nageurs amateurs s'échinent à demeurer jute au-dessous de la ligne de flottaison, offrant le sacrifice du dipsomane à des idoles lagéniformes qu'on aligne en rangs serrés. Quelques milliers de Saint-Pierre entrouvrent les portes du seul paradis qui soit, de la seule réalité indubitable, c'est-à-dire cet arche où s'accrocher quand le déluge du monde menace d'asphyxie. Tout le spectacle de cette souffrance venue se réfugier réchauffe le cœur autant que les liqueurs qui s'accrochent paresseusement aux parois de nos verres. Il n'y a qu'ici qu'on puisse alors être ensemble, et s'acheminer au néant sans cette solitude qui nous dévore jusqu'au trognon.

jeudi 8 mars 2018

Les rats quittent le navire

Les rats sont partout. Débordent des poubelles, des malles, des réfrigérateurs, des sous-bois, de la terre. Ils forment le tapis du sol, pas un espace qui ne soit couvert et, pourtant, lorsque j'avance et pose le pas, jamais je n'en écrase. Se faufilant habilement autour de ma chaussure, ils épousent les formes de mon existence, dessinent en négatif, la silhouette de mes pieds sur fond de muridés. Jamais je n'en ai écrasé un seul encore. Ce n'est pas faute d'essayer, de vouloir nettoyer le paysage surfacique de la présence de ces gras bestiaux, boudins poilus gesticulant et couinant en tous sens. Ils sont si dodus que je rêve d'en attraper un dans mes mains, pour le presser tant et et plus, tel une boule anti-stress.

Puis, d'un coup, d'un seul, les rats sont partis. Plus de rats. Seulement des mélodies se réverbérant sur la surface des murs blancs. Des notes bien mures digérées par l'oreille, des rythmes athlétiques et d'autres qui prennent bien leur temps.

Silence. Mais le silence n'existe pas. Il y a toujours un bruit, même dans le silence. Un bourdonnement de soi-même. En l'occurrence le souffle du ventilateur de cet ordinateur de malheur. Si le cerveau laissait accéder à la conscience tous les stimuli sensoriels auxquels nous sommes  soumis, alors les rats dodus seraient infinis, prendraient le contrôle de tout, des bruits, des odeurs, des images. Le silence est empli de rats qui pullulent et crient en sourdine. Le silence est un bruit composé de sons qu'on ne distingue pas. Peut-être qu'un de ces sons est lui aussi composé de sons?

Quand la musique n'est plus là, les sons me sont désagréables, angoissants. C'est le son de la vie qui s'étiole. Le son de l'inactivité est celui que j'ai de plus intime, mais je le hais désormais, comme une mue encombrante qu'on vous jetterait dessus pour que vous l'enfiliez de nouveau. Mais elle ne sert à rien! Elle ne sent rien! Elle ne convoie aucun signe, c'est une anesthésie de tout, une asphyxie plutôt parce qu'au dedans, le volcan réveillé étouffe et gémit de ne pouvoir érupter. Beaucoup, beaucoup d'énergie sommeille en mes sous-sols. Combien d'années, combien de nano-secondes suis-je resté là, telle une plante ou une batterie, à me charger du monde advenant, des sons, des voix, des visions et odeurs... Combien, combien, COMBIEN?! Combien d'énergie gisant là, comme un pétrole en ma forêt aujourd'hui éructant des geysers de durées? Toute cette poudre musicale qui inonde le ciel, répond à l'attente interminable, féconde le sol à nouveau, bruisse harmoniquement lorsque je déambule sous la frondaisons, dans le crissement des sons agencés qui s'élèvent dans l'air comme une poussière en un rai de lumière. Ce sont autant de fragments d'attentes et de préparation, des perles de puissance parfaitement achevées. Ce sont mes rats de l'intérieur qui rongent ma carcasse et refusent CATÉGORIQUEMENT que je demeure là sans rien faire, sans accoucher de mes enfants. Que sont-ils ces enfants, si ce n'est des fragments de durée concentrée à l'extrême, denses comme un métal lourd. Tous ces moments détachés de mon histoire, ces agencements géométriques de temporalité: une manière à moi de partitionner mon flux et de choisir alors ce qui doit être dit, ce qui doit être tu.

Les rats sont partout, ils doivent sentir la fin du monde. La forêt s'inonde d'un déluge en musique, le ventre de la terre crache sur le ciel des mesures enlacées; le coeur du monde se rebelle, les rats quittent le navire, les oiseaux hurlent et migrent vers d'autres atmosphères. Tandis que moi, calmement, je lève les yeux au ciel et accueille sur mes rétines les notes qui tambourinent et dégoulinent sur mes joues. Toutes ces couleurs viennent de moi, des orbes chromatiques qui me font un cercueil coloré, une diaprure de sons: symphonie apocalyptique en mineur sept. La fin du monde ancien: que me chaut? Je resterai sur le navire qui sombre, des flots nouveaux s'élèvera la si grande arche qui m'amènera par delà mes racines, vers le nouveau voyage et le présent tout neuf. Je serai un marin, je serai un poisson, il n'y aura plus de rats, il y aura du plancton, et puis des rémoras. Il y aura des baleines et puis des cachalots, et puis des huîtres perlières par millier qui cracheront un jour en l'air leurs orbes opalines. Ce sera à nouveau la fin d'un monde, les perles couvriront les flots, formeront le sol qui portera les pas d'un présent rénové.