La poésie est comme la musique, elle est comme toute chose: une découverte et non une création. Cela ne veut pas dire que ce qui est découvert est une chose exogène, peut-être que nous ne faisons (à travers les mathématiques, les sciences, les arts) que retrouver l'expression de nos propres lois internes.
Pour cela je ne fais pas partie de ceux qui récusent l'inspiration. Écrire de la poésie, vibrer d'ivresse créatrice, n'est rien d'autre pour moi que d'être effectué par une certaine tonalité vibratoire du réseau des choses qu'on nomme expérience ou vécu. C'est tout l'agencement du contexte qui produit sur ma personne l'état extatique par lequel me parviennent des profondeurs de l'être les fragments de beauté-vérité que les sons indiquent.
La partition de tout cela n'est pas le fruit d'un calcul et l'homme ne sait pas créer au sens authentique du terme. Je conçois l'activité du poète comme celle d'une pythie avec l'enthousiasme en moins, à moins de voir la divinité non plus comme une transcendance exotique mais comme une tonalité particulière, une harmonique par laquelle le poète résonne avec des notes englouties dans l'accord complexe du vécu naturel.
On trouve la vérité: de là découle le caractère d'évidence en tant que réminiscence; pas au sens platonicien cela dit, du moins si l'on veut prendre le mythe d'Er le pamphylien au pied de la lettre, mais plutôt une réminiscence de ce qui est toujours donné à l'intuition mais de manière confuse, enfoui dans l'écheveau du divers que le poète tisse en séparant les fils pour en faire ressortir les motifs inaperçus.
Travailler ce n'est pas agencer morceau par morceau un ouvrage par tatônnements successifs, l'art n'est pas identique à la prodction technique. Travailler, pour le poète, c'est s'entraîner encore et encore à intégrer la technique afin qu'elle lui soit un nouvel organe, capable de remplir sa fonction sans que l'on ait à y penser: il n'y a qu'ainsi que la technique peut devenir pur signifiant sans empiéter sur le vécu à ressentir.
Travailler c'est avoir répété suffisamment de brouillons pour que la vérité puisse frayer son chemin sans encombre, sans rupture, par un souffle ininterrompu qui expulse la délicate haleine de la poésie se déposant sur la vitre d'un miroir. Il faut que le geste soit parfait, fluide, et qu'il pogresse avec facilité, comme la nature. Plus le poème sort spontanément, plus il est expulsé par une poussée jaculatoire, et plus il retient pure et concentrée la vérité dont il est signe.
Le poète est condamné à la poésie jusqu'à sa mort, car l'idéal acméique de l'expression pure et achevée ne peut être, par essence, qu'un horizon intangible.
Toute tentative de s'éterniser est en droit vouée à l'échec, car ce n'est pas la nature de l'homme d'être.