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vendredi 21 mars 2025

[ TRANSCENDANTALISME ] Phénoménologie du noumène

 Puisque le noumène (ou chose en soi) est capable d'affecter le sujet et de susciter par là l'expérience en ce dernier d'un phénomène, il existe bien une relation entre champ nouménal et champ phénoménal. Le problème auquel les textes de Kant nous confrontent sur ce sujet est le suivant: il est impossible en droit de connaître des déterminations nouménales car connaître est un acte de constitution d'un objet à partir des structures transcendantales du sujet or le noumène n'est pas un objet: il trascende les catégories du sujet. Néanmoins Kant est amené à parler de cette affection du sujet par la chose en soi et, pour ce faire, il use alors d'analogies qui toutes sont nécessairement dérivées des structures transcendantales du sujet.

Pour cette raison, le premier type de relation qui saute aux yeux à la lecture des textes est la relation causale par laquelle la chose en soi serait la cause du phénomène en affectant le sujet. Le problème est que, la causalité appartenant aux catégories de l'entendement, il n'est pas loisible de subsumer l'affection du sujet par le noumène sous cette catégorie. Cela requèrerait notamment de plonger le sujet dans un espace transcendant qui permettrait à la relation causale de se produire de la manière dont le monde phénoménal nous la présente toujours, c'est-à-dire spatiotemporellement.

En réalité nous nous trouvons là face à une aporie: il est en droit impossible à un sujet humain de connaître une réalité transcendant les cadres de ses strucures transcendantales, pour cette raison nous ne pouvons même imaginer un type de relation non causal pouvant se substituer à l'analogie causale. Nous devons postuler (comme un axiome du transcendantalisme) qu'une telle relation est possible bien qu'elle demeure à jamais (du moins si l'on considère comme Kant que les structures transcendantales sont figées) inconnaisssable pour nous.

La conséquence qui découle de cela est que le satut de la dimension nouménale est un idéal régulateur permettant de maintenir éloigné la "menace" du solipsisme mais en-dehors de ce rôle, on voit mal comment le nouménal pourrait intéresser en quoi que ce soit le phénoménal. En effet si l'ordre des phénomènes n'a probablement rien de commun avec l'ordre des noumènes, alors il est impossible de dériver à partir de la connaissance des phénomènes une détermination des relations législatrices de l'ordre nouménal. Par conséquent il devient totalement loisible d'ignorer le nouménal afin de se concentrer sur le champ phénoménal, comme l'a bien compris Husserl.

Là où, me semble-t-il, réside une faiblesse du raisonnement de Kant c'est lorsqu'il décrit les structures transcendantales du sujet comme étant déterminées une fois pour toutes puisqu'en faisant cela il les rapproche dangereusement du champ nouménal, c'est-à-dire d'un fondement ontologique trascendant. Autrement comment expliquer que ces structures échappent à la temporalité qui s'applique sur toute objet naturel? Si Kant avait fait des structures transcendantales des formes soumises à l'impermanence, il ne les aurait pas situées à la frontière entre noumène et phénomène qui fait dangereusement signe vers la possibilité d'un point de contact entre nouménal et pénoménal. Il faut penser les structures a priori comme des déterminations soumises à l'évolution temporelle sous peine de les aboucher à un ordre nouménal dont on pourrait inférer quelques traits caractéristiques tel que la permanence -- puisqu'il faudrait pouvoir expliquer celle des formes a priori du sujet transcendantal par quelque chose échappant à l'écoulement du temps. Or faire cela c'est violer l'interdit kantien.

Mais postuler que les structures transcendantales sont mutables n'est pas un amendement menaçant l'édifice de l'épistémologie kantienne: cela semble, au contraire, nécessaire pour le rendre pleinement cohérent.

La seule chose, dès lors, que l'on peut affirmer concernant l'articulation du nouménal au phénoménal est la suivante: nous sommes à la fois phénomène et noumène (ce que dit Kant lui-même). Il faut ensuite balayer une confusion tentante: les structures transcendantales ne sont pas à la frontière entre nouménal et phénoménal (car il n'y a pas de frontière), elles sont simplement la perspective réflexive de l'expérience vécue, alors que l'empirique est, quant à lui, la perspective intentionnelle ou objectivante de l'expérience vécue.

On comprend aisément comment la phénoménologie a opéré une désubstantialisation du sujet en postulant que les structures transcendantales sont en fait les manières ou formes de l'apparaître lui-même -- sans qu'il s'agisse de projections (à la manière d'une lithographie) à partir d'une structure transcendantale inhérente à un sujet substantiel. Le transcendantal c'est l'apparaître dans ses diverses modalités. Le sujet n'est qu'une hypostase d'un des horizons de l'apparaître (lorsqu'il se tourne vers lui-même) et l'objet lui-même hypostase de l'horizon inverse de l'apparaître (lorsqu'il se tourne vers ce qui apparaît).

Le noumène n'a pas disparu mais il est simplement sans pertinence puisqu'à jamais à l'abri de tout arraisonnement épistémique. À la limite pourrions-nous avancer l'hypothèse qu'il est l'apparaître lui-même et qu'en sa qualité d'apparaître, il excède les formes par lesquelles se déterminent l'apparaître pour nous, humains, et pourrait se décliner en une indéfinité de formes, instancié par la multitude des formes de vies possibles en ce monde. Cela aurait au moins pour mérite de dissoudre l'aporie soulevée au début de ce chapitre, à savoir que l'affection du sujet par la chose en soi demeure en droit inexplicable et ne constitue peut-être que l'ultime scorie d'une tendance à la transcendance des structures transcendantales -- à vouloir expliquer à partir d'elles ce qui est censé les excéder.

En ce sens la phénoménologie apparaît bien comme le prolongement logique du transcendantalisme kantien: elle en assure la cohérence et  en assume l'héritage. Une fois qu'on élimine l'étrange proximité initiale du transcendantal et du nouménal, il ne reste que les phénomènes et les deux horizons vers lesquels ils font signe (les deux pôles idéaux d'une relation qui n'a pas de bornes mais se limite par elle-même, dans un champ d'apparition dynamique). On sait désormais dans quelles apories nous plonge la vive tentation d'hypostasier ces horizons sous la figure du sujet et de l'objet, de l'âme et du réel.

[ TRANSCENDANTALISME ] Sensation, perception, expérience

Avant d'examiner les différents types d'articulation entre le niveau nouménal et le niveau phénoménal, il faut présenter brièvement la distinction que Kant fait entre sensation, perception et expérience. C'est à partir de cette distinction que nous devrons examiner les problèmes qui semblent logiquement découler de la réceptivité sensible.

La sensation est chez Kant le degré le plus brut de l'inuition sensible. Le divers sensible (matière de la senation) est donné au sujet affecté passivement par ce contenu (matière). Cette réceptivité du sujet ne peut se faire qu'au sein des formes a priori de la sensibilité (espace et temps). Pour résumer: une chose en soi indéterminable stimule la réceptivité du sujet qui intuitionne alors la chose qui l'affecte par l'intermédiaire des formes a priori de sa sensibilité. On peut ici prendre l'analogie d'une goutte d'encre (la chose en soi) tombant dans un verre d'eau (la sensibilité du sujet): celle-ci se manifestera dans le verre d'eau sous la forme d'un précipité coloré évoluant vers une répartition homogène de l'encre jusqu'à un état stabilisé. L'eau fait donc subir une transformation à la goutte, elle est un milieu, un contexte, qui impose ses conditions.

La sensation n'est pas nécessairement consciente: le sujet peut être affecté d'une sensation brute sans que celle-ci parvienne à sa conscience. Les petites perceptions leibniziennes sont ici un très bon exemple, mais plus généralement toute intuition subconsciente rentre dans le cadre d'une sensation préconsciente. Imaginons que l'on se concentre sur quelque forme visuelle au loin que nous tentons d'identifier: il est très probable qu'alors les données fournis par nos autres sens (odorat, ouïe, etc.) n'accèdent pas à la conscience.

La sensation, en tant que donnée brute, demeure très floue et en-deça du niveau d'organisation propre à ce que Kant nomme perception. La sensation est l'épreuve, consciente ou non, d'une affection sensible non objectivée et purement subjective. Je peux ressentir l'herbe qui me frôle la jambe lors de l'observation évoquée plus haut en tant que pure sensation d'un contact sur mon corps, sans ajouter d'autres déterminations qui me permettraient de franchir peu à peu le domaine subjectif pour entamer une objectivation de la cause.

On pourrait presque affirmer qu'à ce niveau primitif d'intuition sensible la spatialité n'est pas encore déployée comme structure homogène ordonnée et que les sensation se donnent avant tout dans le temps, comme stimulus indéterminé et surtout non situé. 

La perception est quant à elle une sensation consciente située dans l'espace et/ou le temps. Dans notre exemple précédent, nous pourrions parler de perception dès lors que le stimulus produit par le contact de l'herbe sur la peau de notre jambe peut être identifié comme un contact sur la peau de notre jambe. La perception est donc un flux de sensations organisées dans l'espace et dans le temps sous la forme d'un phénomène unifié par la conscience. Nous restons dans le domaine subjectif en ce sens que l'objet qui est la cause de mon intuition n'est pas encore constitué par les catégories de l'entendement.

L'expérience enfin est le produit objectivé d'une synthèse des perceptions par l'entremise des catégories de l'entendement qui les articule et les ordonne. Autrement dit l'expérience est un stade de perception dans lequel il est possible de dégager des invariants au sein des perceptions qui correspondent à des objets instanciant des catégories de l'entendement (formes) par le contenu des sensations brutes (matière). Si l'on reprend notre exempe: une herbe caresse mon tibia gauche. Bien sûr il est possible de poursuivre encore l'objectivation en s'éloignant toujours plus du subjectif pour produire une représentation universelle du phénomène vécu: c'est la description scentifique.

Il faut bien noter que le passage de la sensation à l'expérience est un continuum et qu'en aucun cas il n'est loisible d'en faire un procès discret car on voit bien, en lisant Kant lui-même, comme il est délicat de déterminer des cadres précis permettant d'identifier le passage d'une catégorie d'intuition à une autre. Le passage de la sensation brute à l'expérience relève plutôt de la progression continue dans la capcité à organiser, catégoriser, différencier et préciser le divers sensible jusqu'à sa forme la plus haute qu'est la description objective d'une expérience épurée de ses particularismes subjectifs et composée presque exclusivement de ses invariants intersubjectivement concordants.

mercredi 19 mars 2025

[ TRASCENDANTALISME ] Ordre phénoménal, désordre nouménal?

 Si l'ordre que nous percevons dans les phénomènes et qui constitue leur structure constituante appartient au sujet transcendantal et non à la chose en soi, alors il est rigoureusement impossible d'expliquer l'ordre des phénomènes.

En effet, si la chose en soi ou, plus généralement, le plan nouménal est fondamentalement autre que les structures transcendantales du sujet, alors il serait impossible de fixer autrement que sur le hasard et l'arbitraire la reproduction séquentielle de phénomènes. Cette reproduction, si elle ne s'articule pas à un ordre nouménal, n'est alors qu'un pur jeu de phénomènes qui ne sont phénomènes de rien en particulier puisque se trouve totalement dissous le rapport entre le phénomène et la chose (en soi) qu'il instancie et représente.

Autrement dit: si l'on veut penser les phénomènes comme la traduction de noumènes, alors il faut que les deux plans de réalité partagent une structure commune assurant qu'à chaque variation des phénomènes corresponde une variation nouménale.

Même si l'on doit pouvoir, en droit, penser la succession temporelle d'un point de vue exclusivement phénoménal, sans que ne lui corresponde une telle succession dans la réalité nouménale, il faut bien pourtant que quelque chose dans la réalité nouménale, soit capable de correspondre, si ce n'est d'expliquer, la succession temporelle des phénomènes. Autrement la dimension phénoménale serait par trop indépendante pour que l'on puisse la décrire comme simple expression d'un plan de réalité plus fondamental: le phénomène serait alors, au moins en partie, autonome.

S'il existe une véritable relation, même unidirectionnelle, entre noumène et phénomène, il faut alors en élucider les contours, les formes possibles.

jeudi 4 janvier 2024