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lundi 3 mai 2021

Digression méditative ou l'idée de temps cuite au soleil

 La philosophie n'est pas une activité intellectuelle qui met en branle des concepts irréductibles à des sensations. Bien au contraire, je trouve qu'elle n'est qu'intuitions (non pas au sens d'inspiration divine qui viendrait injecter en l'homme une vérité quelconque par l'effet d'une révélation, je parle plutôt d'affection sensible) et images. D'ailleurs il n'y a pas de pensée qui ne soit une sensation, même le langage est entendu par images acoustiques auxquelles sont liées des images d'autres types encore. Cela dit on ne sent pas par son corps, mais bien par sa conscience (preuve en est le sommeil). Chaque sensation est une image ou la synthèse en une durée, qu'on appelle un état, d'une succession d'affections. En fait c'est toute la dualité entre le corps et l'esprit qui doit être ici annulée sous peine de ne plus rien comprendre à tout cela. Le corps ne peut être qu'une idée de l'esprit, une vue de l'esprit, de la même manière que l'esprit ne peut être qu'un produit du corps. Nous n'avons pas d'idées de choses insensibles.


On pourrait m'objecter que l'idée même de l'infini vient contredire cette thèse (mais ce n'est pas une thèse, je n'affirme rien, je ne fais que parler, je ne prétends pas à la vérité, j'en alimente un courant voilà tout) mais je ne serais pas d'accord. La raison en est que l'infini est la sensation de la conscience qui se vit sur le mode de la permanence. Même lorsqu'elle cesse, elle cesse pour autrui ou par rapport à un référentiel externe, étranger, qui agit alors comme trace et témoin de cette cessation temporaire qui inclut conscience et inconscience dans une synthèse plus vaste qu'on pourrait nommer existence. Néanmoins du point de vue de la conscience, la seule chose qui est expérimentée c'est la conscience... La mort n'y pourra rien y faire puisque la conscience n'aura jamais connaissance de sa fin, elle n'en aura nulle expérience. Elle se vit donc, pratiquement, sous le rapport de l'éternité, et l'idée d'infini n'a rien d'une chimère spéculative.

Il en va de même pour l'idée du fini, c'est par l'expérience d'états de consciences temporaires et fluents que la finitude est perçue et ressentie, mais elle ne peut l'être que sur un fond d'infinité, de permanence éternelle.

lundi 22 mars 2021

Métaphysique pessoenne: la sensation et les choses

"être une chose c'est ne rien signifier du tout.

Être chose c'est ne pas être susceptible d'interprétation."


"Je regarde, et les choses existent.

Je pense et j'existe moi seul."

Ces quatre vers extraits des poèmes non assemblés d'Alberto Caeiro sont encore à eux seuls un petit traité de métaphysique. Le poète sensationniste discrédite d'emblée la signification pour la bouter hors du domaine des choses. Signifier c'est interpréter or une chose n'est pas "susceptible d'interprétation".

Les choses dont parle l'auteur ce sont les sensations. Ces sensations sont absolues bien que subjectives. Elles font exister ou plutôt sont la preuve immédiate et intuitive que le monde senti existe comme chose extérieure réelle. Regarder une chose, la sentir de n'importe quelle manière c'est témoigner de son existence. Non pas celle de l'objet, qui est une reconstitution perceptive et suppose l'action des facultés cognitives, mais celle de la chose sentie. S'il s'agit d'une fleur, on ne dira pas que la fleur existe mais pour être plus précis que cette chose que je vois sous la forme d'une ligne verticale de couleur verte (la tige) surmontée d'une couronne colorée (l'ensemble des pétales)  est réelle. Si je sens cette fleur, je dirai alors que le parfum singulier qui semble émaner de cet endroit de l'espace est réel. Fleur, tige, couleur, toutes les étiquettes de la langue correspondent à des conventions factices qui font signe vers des concepts problématiques qui synthétisent un ensemble de sensations disparates, senties à différents moments et indépendantes, dans l'unité artificielle d'un objet. Ce n'est jamais l'objet qui existe mais les sensations pures sont elles absolument vraies, ce sont elles le réel extérieur. "Tout comme les paroles échouent quand elles veulent exprimer la moindre pensée, ainsi les pensées échouent quand elles veulent exprimer la moindre réalité."

La sensation n'est pas une interprétation. Caeiro est tout sauf kantien, et a fortiori tout sauf idéaliste. Il n'y a pas des formes transcendantales de la sensibilité qui sont la condition d'apparition du monde extérieur, ce qui ferait alors des sensations des mensonges par rapport à une entité primordiale qui existerait véritablement, indépendamment de nos facultés à la saisir, et donc hors de nos catégories. Le réel est sensible et il coïncide totalement avec la manière dont il est senti. Pour cela il devient problématique d'affirmer l'existence d'un monde objectif, puisque chaque sensation est unique il n'y a pas à s'interroger sur la persistance d'objets sous-jacents aux sensations et qui demeureraient identiques entre deux moments ou entre deux points de vue différents. C'est ce que l'auteur nomme "réel".

Le fait que les choses sont sans interprétation les désigne comme se donnant immédiatement, elles ne requièrent aucun travail actif de l'esprit (concept hautement artificiel pour l'hétéronyme) qui viendrait autrement nécessairement y mettre du sien et dénaturer la chose même.

Dès lors que la pensée intervient, cesse alors d'exister le monde comme vérité extérieure. Les choses ne sont plus. Par la pensée, la seule chose qui se donne à saisir c'est le "moi seul". La pensée n'est pas faite pour ouvrir sur l'extérieur, elle n'est pas un organe de l'intuition extérieure. Elle n'a pour objet qu'elle-même et ne peut qu'invariablement produire un monde soliptique où ne sont saisies que des reflets du moi qui surcharge d'idéalité tout objet, s'affranchit de la matière pour produire elle-même le monde qu'elle croit alors sentir comme une chose extérieure. La pensée est toujours un processus réflexif par lequel les choses perçues ne sont que des prétextes à refléter différents profil du moi (lui-même concept artificiel). Penser, c'est projeter autour de soi le néant de soi-même, interpréter c'est remplacer l'éclat immédiat de l'être senti par le récit médiateur d'objets factices qui constituent médiatement un monde, et parce qu'il est le produit d'une médiation, ne correspond plus qu'à des concrétions cognitives, à des idées qui se mélangent à la matière sentie et brouillent les réalités singulières se donnant de manière absolue dans la sensation. Rien, dans le réel, n'est quantité, rien n'est identité, toute chose sentie n'existe que dans l'instant de la sensation et toute sensation ultérieure sera essentiellement autre: le réel est une singularité absolue qui se donne immédiatement par proximité sensible. Le monde au-delà de nos sensations est une idée, une chimère, il n'est qu'un agrégat imaginaire à nos sensations réelles.

vendredi 19 février 2021

Actualités sempiternelles

 Je vis avec le cœur d'une étoile qui s'effondre.

Nous sommes colocataires des vacuités cosmiques, tous deux centre de gravité, tous deux creusant jour après jour le vieil espace-temps vers notre point de singularité, celui que plus une équation ne sait décrire.

Celui que je me fais passion d'écrire. Avec mes propres formules, avec toute l'exactitude lyrique de ma géométrie intime.

Cette étoile qui implose est à côté de moi: dans l'écrin de sobriété du salon en ce jour qui s'élance, et que la pièce recompose en un équilibre un peu triste d'ombres et de lumières. La luminosité change, l'éclat des murs, leur carnation, s'altère imperceptiblement, seconde après seconde, et je reste immobile. Je reste immobile et m'aperçois, finalement, que les murs ont changé, que la poussière lumineuse suspendu entre les fenêtres a pris une configuration nouvelle, qu'elle danse de nouveaux pas, et que cette maison exhale un sentiment qui s'évanouit continuellement en autre chose. Comme mon existence, comme ma conscience qui ne se reconnaît qu'en tant qu'essentielle différance.

La salle à manger a ses bouches, avalant la lumière et son plancton photonique invisible à mes sens limités. Existe-t-il un être dont les sens perçoivent les photons? Je m'interroge et l'interrogation flotte au milieu des poussières, parmi les particules: elle est de même nature qu'eux. Dès que je n'y pense plus, tout disparaît...

Ces hautes fenêtres sont peut-être après tout des yeux qui mangent la lumière et qui, comme ma tête, se la projettent intérieurement dans un jeu de reflets récursifs qui manifestent un monde à l'intérieur des choses. Et ce faisant l'intérieur plus intérieur encore s'éloigne toujours plus en-dedans. Qu'y a-t-il entre les murs de ma maison? Qu'y a-t-il sous la surface des électrons? Des quarks? Jusqu'où peut refluer l'intérieur, l'intimité des choses?

L'étoile à côté semble se stabiliser dans son effondrement. Son voyage est sans fin, du moins nul ne saurait déterminer où il commence et où il cesse... Je ne vois pas cette étoile, de la même manière que je n'ai jamais vu de photon. Je me la représente et je ressens les effets de cet acte mental, je sens le réagencement total du monde-objet, artefact personnel qui se construit éternellement dans le chantier de tout.

Nous sommes dans la maison, à travers le cri des oiseaux, à travers les plis de l'atmosphère, à travers la durée silencieuse figurée par les sons, à travers l'idée de nous-même et sa présence ressentie.

La lumière de l'ampoule dans la cuisine attenante perce le tableau que je me peint des choses et fore un puits de lumière qui se prolonge en crissement de nerfs, en crispation de mes muscles oculaires, et tout cela résonne en ondes concentriques à travers la masse de chair qui se maintient unie et détachée du reste. La seule vérité, le seul absolu, c'est cette sensation anonyme, cette sensation qui n'est pas même un véritable objet, une chose délimitée dans le ruban de ce qui est senti et forme mélodie pour un destin.

Derechef, je me remets pourtant à clore cet écoulement dans une goutte de pensée, une bulle noétique qui me la rend pareille à cette ampoule extérieure et néanmoins présente en moi...Une pensée me traverse. Écrire sur l'actualité...

Écrire sur l'actualité? L'éternité n'est-elle pas toujours actuelle?

samedi 16 septembre 2017

Deux couleurs suffisent

Parfois, je pense à toi très fort. À travers mes rideaux gris et rouges, qui filtrent ma vision du monde, et qui font se mouvoir avec légèreté cette fine pellicule chargée de matérialiser la frontière entre intérieur et extérieur. Mes songes sont comme ces rideaux légers, aériens, ballottés par les vents qui s'en vont et s'en viennent, dans une douce dérive où je réside avec tant de plaisir.

Deux couleurs pour voir le monde, et d'infinis nuances entre les deux. Deux couleurs pour sentir nos souvenirs, mosaïque d'instants objectivement communs, mais qui font ma vie et ses pus belles notes. Deux couleurs pour traverser le cours du temps tout en demeurant malgré tout entièrement présent. Rien ne différencie un souvenir d'un instant actuel. Et si j'avais tous les instants passés en mémoire, exactement tels que je les ai vécu alors, je pourrais les agencer dans un système de relation suffisamment complexe et en accord avec les lois qui constituent un monde: et tous ces souvenirs seraient la vérité présente, qui ondule comme des rideaux au vent.

Deux couleurs, qui parfois se confondent quand je pense à toi qui es si proche... Puisque tu es là, ici et maintenant... Comme un chatoiement diapré dans le frissonnement des feuilles au dehors, dans le balancement des branches aux courants aériens. Présence en filigrane que tout objet dessine. Tu es tellement tout pour moi, que tu es chaque chose: du brin d'herbe à la rose, des nuages paresseux au parfum des bruyères.

Deux couleurs pour les produire toute, deux valeurs pour accomplir le tout d'une expérience qui s'accroche à des mots. Et les mots sont alors l'expérience. Ils n'ont pas d'autre but, pas d'autre raison d'être que d'exister pour autre chose. Mes poèmes en prose sont la matérialité de mes sentiments et de mes sensations. Ils sont la transcription d'influx nerveux qui constituent un destin complet, une autre forme de partition, pour une même forme d'existence indicible et qui ne s'écrit pas. Avez-vous déjà vu un poète cesser d'écrire? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi malgré tant de réalisations, tant d'actes et de créations, l'humain continuait quand même son entreprise inlassable, comme s'il pouvait un jour la terminer, sans toutefois jamais le faire? Incomplétude essentielle de la vie, système jamais clos qui éclot sur l'ouvert. C'est bien cela exister, se projeter sur les choses et les êtres, pour se saisir de soi d'un seul tenant, comme on tiendrait dans sa main un trésor. C'est bien cela s'exprimer, se transfuser dans les signes pour produire la distance nécessaire à la vue, à la sensation de soi-même comme chose extérieurement réelle. Et tout ceci n'aboutit pas, et c'est tant mieux. Sinon nous n'aurions pas les chants de Maldoror, mais peut-être un seul chant, ou même une phrase, un simple signe ou pire encore. Nous n'aurions pas d'après-midi d'un faune, nous n'aurions pas tous ces fragments d'humains à se mettre sous les sens. Nous n'aurions pas tant de signes pour se définir et pour jouer à se saisir, en se sentant soi-même à travers la sensation de l'Autre.

Deux couleurs suffisent pour être heureux. C'est ce que je me dis quand je regarde au-dehors le monde qui bruisse, et ne parle que de toi et de la définition si belle que tu donnais parfois de cet homme dont tu partageais la vie. Cet homme assis là, dans la boîte où on l'a mis, et qui s'observe à travers les choses du dehors qui reflètent tes gestes et les moments de toi, qui eux trahissent son existence qui sans cesse lui échappe.

Et toi ma chère, quelle saveur de toi-même tu aimais tant par moi?
Quelles sont les deux couleurs qui dans leur union te peignent un monde où vivre?