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mardi 3 octobre 2017

Pensées autour du paradoxe de Zénon (suite)

Conséquence possible de notre résolution du paradoxe:

Inutile de recourir à l'hypothèse atomique (de briques minimales d'espace-temps, identiques aux points géométrique et ne contenant aucun espace ou durée) pour sortir de l'aporie de Zénon. Il suffit de formuler la proposition suivante: l'expérience d'un individu est fonction de sa sensibilité d'échelle. Autrement dit, le mouvement est composé d'autant plus de phases sensibles à des échelles de plus en plus microscopiques, que la sensibilité de l'individu s'étend à des échelles petites. Ainsi, pour un individu moins sensible aux petites échelles, le mouvement sera plus rapide. C'est le cas par exemple de l'escargot pour qui le monde alentours va très vite. Son temps de réaction est par conséquent très lent par rapport à notre échelle de jugement. Bien au contraire, la mouche qui serait capable de traiter sept fois plus d'information par seconde que l'être humain (l'humain commence a avoir la sensation de continuité visuelle à partir de soixante images par seconde, contre trois cent images par seconde pour la mouche) perçoit un même mouvement au ralenti par rapport à ce dernier. Imaginer l'expérience d'une mouche au cinéma serait un peu se mettre à la place d'un humain qui visualiserait une projection de diaporama. Ainsi, changer d'échelle s'apparenterait à une modification de la sensibilité qui a la conséquence logique de distordre le temps en l'étirant dans la durée. C'est précisément ce que réalise l'expérience du paradoxe de Zénon.

jeudi 21 septembre 2017

Pensées autour du paradoxe de Zénon d'Elée

Je livre ici une réflexion "dans l'ordre des méditations" comme dirait Descartes, ou bien dans un ordre synthétique pour paraphraser Kant. Je trouve cette approche intéressante puisqu'elle témoigne du parcours 'naturel' de l'entendement qui en partant de propositions en déduit d'autres qui font naître des problèmes sources de nouvelles propositions qui en forment des résolutions possibles, et ainsi de suite.

Dans son fameux paradoxe, Zénon d'Elée remet en question la possibilité même du mouvement pour la raison suivante: il est possible de diviser par deux la longueur (finie) de tout segment AB tout en obtenant une longueur finie, et ce un nombre infini de fois. Par conséquent, si un objet quelconque devait parcourir AB, il devra d'abord parcourir l'infinité des demi-longueurs qui le composent.

A |--------------------------------------| B
   
A |------------------| B'
 
A |---------| B''
    Etc.

Pourtant, force est de constater qu'un objet peut franchir de fait une distance finie AB en un temps fini, sans nullement être entravé par cette division à l'infini qui semble toutefois tout à fait légitime en droit.

Trois hypothèses:

La première hypothèse qui vient à l'esprit est celle qui proclame l'inadéquation du monde physique et du monde mathématique. Ainsi, la division infinie de la distance AB est légitime en droit, c'est à dire dans un monde mathématisé, mais les faits, c'est à dire l'expérience du monde physique, la contredisent.

La conséquence directe de cette hypothèse, c'est qu'il faut en déduire qu'il existe une limite à la divisibilité de l'espace-temps. Il doit y avoir des atomes d'espace, ce qu'on pourrait appeler des quanta d'espace. Toutefois une telle affirmation nous laisse avec le pressentiment que si seulement nous acquérions la technologie nécessaire pour observer l'espace à cette échelle, rien ne nous interdirait de la franchir pour observer en-deçà...

Pourtant, s'il existe une limite à la vitesse d'un objet physique, c'est qu'il doit logiquement exister une limite à la divisibilité de l'espace-temps. Sinon, nous tomberions dans l'aporie du mouvement décrite par Zénon, nous n'observerions pas de mouvement (ce point va être éclairci par l'hypothèse suivante).

La deuxième hypothèse est plus économe conceptuellement, elle se contente d'apporter une résolution du paradoxe par une analyse plus fine de la situation. Que se passe-t-il si l'on fait tendre la division de notre distance AB vers l'infini? Et bien le temps de parcours (à une vitesse v déterminée) du segment obtenu va diminuer plus la portion d'espace diminue, jusqu'à tendre vers un temps de parcours nul. Ainsi se résorbe le problème auquel nous étions confrontés, puisque plus la portion d'espace contenue dans AB est petite, plus elle est parcourue rapidement. Si l'on descend jusqu'à des portions imperceptibles, le temps de parcours sera lui aussi imperceptible. Par conséquent il n'y a pas de temps perdu à parcourir ces portions infimes. Toutes les portions d'espace obtenues sont des distances finies et aussi minimes soient-elles, elles sont parcourues en un temps fini. Si AB' est imperceptible, alors le temps pour le parcourir (t') est lui aussi imperceptible ce qui a pour résultat que nous n'expérimentons qu'un mouvement sensible et perceptible pour nous, et le parcours des tronçons infimes qui échappent à nos moyens de détection, échappe à notre appréhension du temps par sa rapidité et devient donc insensible pour nous.

La troisième hypothèse est une tentative de synthèse des deux précédentes.

Aller du point A au point B est un acte défini comme un mouvement. On peut aussi aller du point B au point A, il s'agira toujours d'un mouvement. Mais que fait-on exactement lorsqu'on divise la distance AB en tronçons toujours plus petit, s'agit-il d'un mouvement? Non, diviser un segment en segments plus petits contenus en lui n'appartient pas à la catégorie du mouvement, il n'y a pas déplacement d'un objet d'un point à un autre. On peut tout au plus considérer qu'il y a déplacement dans AB, mais comme ce mouvement ne s'effectue pas d'un point déterminé à un autre, la dénomination de mouvement n'est que rhétorique.

Si l'on observe le segment AB à partir d'une échelle déterminée et fixe, alors la distance est finie. Le champ d'observation ou d'expérience à partir d'une échelle déterminée n'est jamais infini (notamment parce que la vitesse est limité par une borne maximale). Ainsi lorsque vous divisez AB à partir d'une échelle fixée en des tronçons qui ne deviennent plus observables à cette échelle, c'est à dire qui deviennent insensibles, pour pouvoir continuer la division tout en la corrélant à une observation empirique, vous devez changer d'échelle. Ceci revient à faire du plus petit tronçon perceptible obtenu AB', l'équivalent en proportion par exemple d'AB ou de tout tronçon contenu entre les deux. Pour bien visualiser l'opération, imaginez une carte du monde où 1cm représenterait 1000km de territoire, changer d'échelle consisterait à passer à une représentation où 1cm sur la carte vaudrait 10km sur le territoire 'réel'. Faire cela, c'est s'engager dans une action qui n'a rien à voir avec le mouvement physique, il s'agit plutôt d'un mouvement conceptuel portant sur les fondements de la représentation.

Imaginez un graphique avec une droite horizontale des abscisses représentant la distance (une graduation vaut 1km) et une droite verticale des ordonnées représentant le temps (une graduation vaut 1 minute). Vous êtes chargé de représenter par un segment un mouvement entre un point A et un point B en un temps t sur le graphique. Mais au lieu de prendre le stylo et de relier les deux points par un trait, vous décidez de changer d'échelle et recréez un nouveau graphique où une graduation sur l'axe des abscisses vaut 1 mètre et une graduation sur l'axe des ordonnées vaut 1 seconde. Ce faisant vous n'avez pas avancé d'un pouce sur la représentation de votre mouvement, vous n'avez fait que changer le cadre de sa représentation.

On peut imaginer que vous ayez commencé à tracer le trait reliant AB sur le graphique précédent puis que vous ayez changé d'échelle en changeant le graphique et ses proportions tout en laissant figurer le segment précédemment tracé. Nous sommes d'accord pour dire que dans le nouveau graphique, ce segment n'a plus aucun lien avec sa signification dans l'échelle précédente. Vous avez écrit une phrase dans une grammaire particulière puis en cours de route vous avez changé la grammaire tout en gardant les phrases précédemment écrites sans les traduire: vous n'obtenez ainsi qu'un énoncé abscons qui n'appartient à aucun langage et qui n'est donc plus un énoncé. Il en va de même avec le mouvement, changer d'échelle brise la continuité nécessaire à la description d'un mouvement. Tout mouvement ne peut se mesurer qu'à partir d'un référentiel fixé et invariant. Si l'on modifie ce référentiel, il faut alors reprendre la description du mouvement à partir du début.

Or c'est précisément ce que nous ne faisons pas dans le paradoxe de Zénon d'Elée: nous commençons pas analyser un mouvement à partir d'une échelle fixée, puis nous commençons à le décrire tout en ne cessant de passer d'une échelle à l'autre sans jamais reprendre la description du début. Il ne s'agit plus d'un mouvement mais alors d'une dérive abstractionnelle. Nous entamons un calcul puis nous faisons varier la valeur de nos opérandes en cours de calcul...

Prenons un autre exemple emprunté à l'informatique. Imaginons un programme chargé d'afficher numériquement la progression entre un chiffre ou nombre d'origine vers un chiffre ou nombre d'arrivée. Nous avons besoin pour cela de déterminer dans quelle unité se fera l'incrémentation, quelle sera notre "graduation". Pourtant si nous prenions la logique employée dans le paradoxe de Zénon, nous aurions le résultat suivant en ce qui concerne cette unité de quantification:

Parcourir (A, B)
{
  unité = (B - A) / 2;
  Afficher (Parcourir (A + unité, B));
}

Le programme n'afficherait rien puisque lorsqu'il voudrait afficher le premier résultat (c'est à dire la moitié de la distance AB), il s'appellerait encore lui-même à partir d'un nouveau tronçon qui serait la distance AB divisée par deux comme origine et toujours B comme destination (il s'appellerait donc avec un tronçon égal à la moitié du segment d'origine), et ainsi de suite jusqu'à tendre vers l'infini. Il n'aurait donc jamais rien à afficher puisque cette division peut s'opérer indéfiniment. Nous n'aurions pas déterminé d'échelle de calcul puisque nous la ferions varier à chaque exécution de la fonction.

On retiendra donc de tout cela que le changement d'échelle d'une part n'est pas un mouvement et d'autre part qu'il ne permet jamais de décrire un mouvement.

Hypothèse annexe: une des hypothèses que l'on peut formuler en reliant cette conclusion à l'état actuel de la science physique, c'est que le monde ou la législation physique, pourrait, en droit, différer selon l'échelle d'observation, et donc d'expérience, utilisée. C'est par exemple ce qu'on observe en physique quantique où il semble bien que la législation n'opère que sous certaines conditions d'échelle (bien qu'il existe des exceptions). Mais plutôt que des incompatibilités dans les lois physiques au différentes échelles, il semble plus prudent, et en plus en accord avec l'expérience passée, de parler de propriétés émergentes aux différentes échelles. Autrement dit les lois qui valent pour une échelle donnée, ne sont pas fausses à une autre échelle, mais elles semblent produire un autre jeu de lois, en apparence incompatible. Tout l'art serait de produire les lois aptes à décrire les transitions d'échelles.