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vendredi 8 juillet 2022

Les belles-de-jour de nuit sont belles [ Chapitre 1 ]

 Je livre ici le prologue d'un projet de roman entamé en 2018 (et que je retrouve en mes archives). J'aimerais, si vivement, parvenir à achever cette œuvre suspendue un jour... Je la conçois comme un conte pour adultes. Dès que la motivation reviendra, je retravaillerai la suite qui ne me convient plus aujourd'hui. J'ai bien quelques idées mais qui se téléscopent encore trop et dont la liaison ne forme aucune évidence en mon esprit. Cette partie limiaire que je dépose ici me semble suffisamment achevée toutefois pour ne pas faire l'objet d'un remaniement ultérieur (conséquent du moins). Une fois n'est pas coutume, je suis satisfait de ce premier chapitre. Il reste désormais à accorder les autres et former l'euphonie d'une œuvre.


Qui était donc Noor? Peut-être n'existe-t-il nulle réponse exacte à cette question, mais cette histoire, de la même manière qu'un miroir ne donne pas l'objet qu'il reflète, offre bien des reflets cependant de l'être éponyme. Elle était donc, entre autres choses, une petite fille de huit ans et demi, presque neuf. Elle avait des cheveux bruns très longs aux interminables boucles hélicoïdales qui fouettaient l'air au gré de ses mouvements. Sa peau chocolat la séparait des peaux très blanches et la distinguait tout autant des épidermes noirs. Elle apprît très tôt que l'on se détermine bien souvent par ce qui nous différencie des autres, tout comme le chaud n'existe que par contraste avec le froid. Elle pensait à cela en observant le ciel nocturne, d'un bleu sidéral. La grande aile de la nuit qui s'était abattue discrètement sur le crépuscule mordoré était criblée de minuscules billes luisantes, pareilles à d'innombrables pépites d'or ou bien d'argent. D'autres arboraient des rayons qui rappelaient la douceur des tons rouges que prenait le soleil lorsqu'il s'enfonçait dans les dessous de la Terre. Toutefois, Noor, ce soir, cherchait une étoile parmi les autres, une étoile aux rayons familiers, chaleureux comme le sourire de grand-mère. Papa avait dit: "Mamie est une étoile maintenant, elle pourra toujours te voir de là-haut et t'apporter sa lumière quand il fera sombre dans ta vie". Mamie était morte il y avait deux semaines officiellement. Pourtant cela faisait bien plus de temps qu'elle était partie... La dernière année de sa vie, Noor ne reconnaissait plus la grand-mère aimante et sereine qui l'emmenait au cirque en lui parlant de sa jeunesse, de ses anciens amoureux, de ses rêves. Sa grand-mère avait disparu dans les gémissements d'une maison de retraite, ses souvenirs s'étaient fait la malle aussi loin qu'ils pouvaient. Parfois l'un d'eux revenait à la hâte, parce qu'il avait oublié de prendre un de ses amis certainement, et celui-ci le suivait alors docilement vers le grand Ailleurs et son silence... L'aïeule ainsi démontée comme un meuble sans notice ne savait plus quel destin avait bien pu la mener là: elle était un enfant apeuré et perdu dans un monde inconnu au sein duquel personne n'était en mesure de trouver son chemin.

Voir sa grand-mère ainsi avait été une torture pour Noor, il lui fallait s'inventer des envies d'aller au toilettes afin de s'isoler un peu et pleurer tout son soûl. Le plus dur était lorsque mamie Pierrette s'agaçait et se mettait à hurler contre eux, comme s'ils étaient des inconnus venus lui faire une blague, la perdre un peu plus dans une vie factice et la pousser doucement vers la folie. Comment lui en vouloir: imaginez vous réveiller à dix ans dans une maison de retraite, avec deux sexagénaires prétendant être vos enfants et une petite de huit ans soi disant votre petite-fille... Mamie ne se réveillait pas toujours à dix ans, tout dépendait si des souvenirs moins anciens attendaient encore le train qui les conduirait au-dehors. Noor savait, en voyant son regard qu'elle était terrifiée, même lorsqu'il plongeait dans ses petits yeux bleus à elle. Il est si difficile à huit ans d'être celle qui protège ceux qui vous ont élevé... Est-ce que cela devient plus simple lorsqu'on grandit? Papa et maman tentaient de faire bonne figure devant elle, mais elle avait appris depuis longtemps à lire leurs sentiments, à les vivre comme siens. Devinant les larmes de sa mère, Noor s'approchait doucement et posait en silence sa tête lourde d'amertume sur le sein de celle-ci, tout en passant un bras fin et délicat autour de ses hanches. Malgré la légèreté dont elle souhaitait doter ces gestes, afin qu'ils ne soient pas un poids de plus, sa mère finissait invariablement par pleurer et sortir de la pièce tandis que papa regardait le sol, comme s'il n'était pas là et que nous étions tous suspendus dans l'attente d'une chute vertigineuse, au-dessus de l'abîme. Elle apprenait peu à peu à laisser sa mère affronter ces instants seule, courageusement, comme l'avait fait sa propre mère tout au long de sa vie. Dans la famille de Noor, les femmes étaient fortes, terriblement plus que les hommes qui ne connaissaient rien de la vraie souffrance, des véritables combats, de l'insondable énergie qu'il fallait pour porter une famille, travailler, se sacrifier en silence au quotidien pour d'autres qu'il faut pourtant rassurer et soulager de leurs craintes.

Longtemps Noor avait cru que Mamie était la contraction de "mon amie", ça semblait si logique: mamie était sa meilleure amie, celle à qui elle pouvait tout raconter, la seule adulte qui la traitait comme une des leurs et se montrait à elle telle qu'elle était au naturel, en-deçà des costumes et des masques que la vie sociale nous fait arborer. Mamie Pierrette avait toujours été sincère, et c'était grâce à elle que Noor savait aujourd'hui ô combien les adultes aimaient mentir aux enfants.
-"Il faut leur pardonner ma chérie, c'est pour se protéger eux-mêmes qu'ils font ça, les adultes sont pleins de peurs, la vérité les terrorise, lui avoua-t-elle un jour.
-Et toi, mamie, tu n'es pas terrorisée? Sa grand mère avait souri en lançant un regard qui traversait l'espace et le temps.
-Il y a bien longtemps que la liste de mes peurs s'est réduite à presque rien, ma petite.... La fillette pouvait alors sentir une force inouïe émaner de son ancêtre. Cette force, elle la faisait peu à peu sienne, c'était la peau des féroces amazones de la famille Contrevent.
-De quoi as-tu encore peur alors?
-De voir les gens que j'aime envahis par la peur, justement. Ne laisse jamais la peur avoir la dernier mot d'accord? Apprend à la connaître, à vivre avec, à l'utiliser, à ne pas la fuir. Ainsi la vérité ne t'effraieras pas comme tous les autres.
-Tu m'apprendras? Je veux devenir aussi forte que toi mamie!
-Je t'apprendrai tout ce que je sais, tout ce que tu demanderas... et le reste aussi..."
La petite avait souri, la main scellé dans celle de cette femme en qui elle avait une confiance absolue, cette femme au courage contagieux.


Dans un présent bien loin de celui-ci, le coeur de la fillette se serra d'un coup: et si papa mentait, comme avec la petite souris! Et si mamie Pierrette n'était pas une étoile? Elle balaya anxieusement les sombres cieux à la recherche d'une réponse dans le scintillement d'une prunelle qui percerait l'obscurité. Comment savoir... Papa n'avait pas dit laquelle c'était... Tant d'étoiles au ciel, et combien dont la lumière ne lui parvenait pas. La fille courageuse serra les poings et darda son regard sur le firmament constellé: "si tu es quelque part là-haut, je te trouverai mamie! Chaque nuit je tournerai mes yeux vers toi, et je te parlerai comme avant, je ne t'oublierai jamais, j'en fais la promesse!" Il faisait encore bon dehors, en cette nuit d'été où flottait l'odeur de l'herbe coupée. Accoudée à la balustrade de la grande terrasse, elle perdait son regard sur la ligne d'horizon, comme une passagère mélancolique d'une croisière mystérieuse: celle d'une petite fille de huit ans et demi sur le pont d'une boule bleue tournoyante qui fonçait vertigineusement, à trente kilomètres par seconde, dans l'espace gravitationnel d'une étoile en fusion. Le soleil, boule de magma au diamètre cent neuf fois plus grand que celui de la Terre, illuminait l'autre face de la planète, quittait un instant sa superbe domination parmi les autres étoiles pour laisser la maison de la famille Contrevent dans l'obscurité estivale où s'allumaient comme d'inaccessibles lampes de chevet les cœurs ardents de l'univers.




La maison des grand-parents est une petite maison de campagne construite autour d'une ancienne étable. Tout y est modeste et semble sortir d'un temps révolu. C'est d'ailleurs le cas: qui utilisera encore ces casseroles et immenses faitouts en bronze où mamie Pierrette faisait les confitures que l'abondance de fruits du jardin permettait? Noor soupesait chacun de ces objets étranges qui semblaient appartenir à la colonie disparate d'un mobilier fantôme. Dans cet hétéroclisme suranné figurait un ensemble de poids aux irrégularités charmantes qui servaient à peser des choses dont elle n'avait pas idée dans la vieille balance en bronze. Elle avait passé des heures à jouer avec ceux-ci, pesant et repesant d'imaginaires denrées, s'amusant à créer le plus petit déséquilibre possible entre les masses inégales. Il y avait encore ce bouquet sans âge, presque éternel, de monnaie du pape aux couleurs de nacre. Il avait toujours été là, imperturbable, dans le rempart de sa sécheresse. Lorsqu'on passait les mains dessus, pour faire frémir un peu les feuilles - ou bien étaient-ce des fleurs? -, on pouvait entendre un bruissement aiguë qui rappelait le vent dans les blés et vous emportait sur son passage comme un sable musical qui parlait d'un autre monde. Tous ces objets disparaîtraient de la place qu'ils ont occupés pendant des décennies. La maison sera vendue et de la même manière que la maladie avait démonté sa grand-mère, sans même respecter un semblant d'ordre, ces lieux finiront fragmentés dans l'espace, réagencés de telle sorte qu'il ne raconteront plus jamais la même histoire, sauf à ceux qui gardent en eux, dans quelque mémoire holographique, la syntaxe perdue d'un récit d'autres temps.

La fillette avait besoin de sortir, de se nettoyer de la poussière des jours fanés qui lui obstruait la gorge, emplissait sa poitrine sur laquelle elle appuyait d'une pression étouffante.  Peut-être que les rayons du soleil sauront balayer la tristesse humide qui perle au coin des yeux, et qui vous ferait rouler jusqu'au sol dans un éclat brutal si vous la laissiez faire. Mamie ne pleurait pas, ou presque. Ce n'était pas des choses que l'on montre: Noor ne lèguera pas, non plus, à d'éventuels témoins le signe pathétique que son ancêtre réprouvait. En descendant la petite pente herbacée qui menait à l'arrière de la maison, sur le vaste terrain où son grand-père avait construit un garage, elle marche le long du petit muret ceinturant la maison et remarque par hasard la petite communauté joyeuse des Belles-de-jour: chapeaux de fées multicolores. "Ce sont des fleurs mélodieuses, leur chant est en majeur, disait sa grand-mère. Elles jouent de la trompette et forment des accords chromatiques qui mettent en joie les gens qui les écoutent. Elle s'ouvrent la journée, pompant les rayons du soleil pour les conserver au chaud la nuit dans leur giron maternel. C'est à ce moment là qu'elles opèrent leur magie, préparent leurs arpèges, mélangent la lumière pour parfaire la couleur et les nuances qu'elles offriront le jour. Je ne comprends pas pourquoi l'on n'en met pas partout sur les tombes, pour illuminer de vie les sombres allées des cimetières... Ces pales chrysanthèmes sont une désolation pour les yeux... Ton grand-père aussi les aimait ces fleurs là. Il dit qu'elles se referment la nuit pour devenir des étoiles éclairant quelques planètes lointaines et inconnues de nous. De la lumière pour d'autres vies qu'il disait toujours..."
Les paroles lui revenaient avec une précision étonnante. Elle se souvient du pantalon gris que portait sa mamie, de son pull rouge foncé aux manches retroussées jusqu'aux coudes pour ne pas se salir tandis qu'elles plantaient ensemble les fleurs bien nommées.

Tout n'est que passé ici, soupira-elle intérieurement. Ces fleurs, ces pierres, ce potager désormais en friche, tout ça ne retient rien de ses grand-parents, tout ça efface les signes que de brefs humains ont peint sur les choses. Il n'y a bien que sa tête, que son cœur, et tous ses sens qui trempaient encore leurs racines dans le riche humus de sa mémoire, qui conservaient fidèlement ce que furent ses ancêtres, ces gens qui ont bâtis cet espace: démiurges éphémères. Noor ressent en elle une conviction inébranlable, une énergie farouche qui sourde de sa poitrine et semble vouloir se répandre sur le monde alentours: elle fera vivre son papy et sa mamie jusqu'au bout. Elle arrosera chaque jour les souvenirs offerts par eux de son attention dévouée, de son amour et de ses larmes silencieuses. Mamie aurait aimé cette idée: que les larmes soient ravalées à l’intérieur pour irriguer de leur vitalité le verger déserté des êtres déportés et chers. Oh, si chers...

En continuant de poser ses pas de velours sur le tapis émeraude du jardin, Noor passait devant les arbres, les plantes, les objets manufacturés, les détails insignifiants pour d'autres qui pour elle étaient autant d'histoires qu'elle devra raconter. Débouchant finalement dans la partie la plus vaste du terrain, elle s'achemina vers le petit puits où était tombé un jour le chat que papy avait rescapé en plongeant à l'intérieur lui aussi. Il s'était fait assurer à l'aide d'une corde par le Cosmonaute. Le Cosmonaute était un voisin vivant dans une grange en face de leur terrain. On l'appelait ainsi car il avait toujours la tête dans les étoiles, du moins c'est ce qu'on lui avait dit. Mamie lui avait avoué pourtant qu'il était alcoolique, et qu'il ne quittait pas son casque de mobylette, de peur de chuter dans son ivresse et de fendre son crâne. Papy avait eu bien du courage de s'en remettre à lui... Pas loin du puits, se dressait le garage qu'il avait construit de ses mains, tout en bois. Étonnant lorsqu'on le connaissait un peu car si une personne dans cette famille vivait la tête dans les étoiles, c'était bien lui. Mais dès lors qu'il se lançait un défi, plus rien ne pouvait l'arrêter... Lui n'était pas un Contrevent, c'était un Penseloin, il ne possédait pas la force des tripes, celle des sentiments, mais bien plutôt de l'intellect. Il répétait souvent à Noor: "rien de ce qu'un humain est capable de faire ne t'est impossible. Il n'y a rien que tu ne puisses comprendre, rien que tu ne puisses réaliser si tu écoutes ton intelligence. Tout le monde peut tout apprendre!" Lui était plus éthéré que mamie, comme si une part de lui-même vivait séparé du reste. Il observait les astres avec son petit télescope, il lui apprenait à distinguer les planètes des étoiles en lui montrant comment les premières se déplaçaient dans le ciel nocturne contrairement aux secondes. L'été, lorsque la brune tombait, ils se postaient dans l'allée devant la maison, où se dressait le tilleul, et tendaient leurs mains pour attraper les hannetons qui descendaient du ciel par cohortes entières. Mamie travaillait, papy lisait, il écrivait, il avait toujours des théories sur tout, s'intéressait à la science et pouvait vous rendre une règle et quelques miettes de pain sur une table passionnants, en vous racontant les principes de l'électromagnétisme. Mamie n'était pas bête, loin de là, mais elle n'avait pas le temps de s'occuper de tout ça: elle faisait tourner le petit monde de leur ménage, se sacrifiait à l'image stéréotypée de la femme de son époque et plaçait son génie dans les liens affectifs. Mais cela, il fallait bien de la patience pour en être le témoin, la pudeur étant un caractère familial partagé par les deux parties... Elle s'est occupé jusqu'au bout de son mari. Mais lui aussi avait bien du courage. Noor savait qu'elle n'en avait pris conscience que trop tard, un peu comme la chouette de Minerve qui ne s'envole qu'au crépuscule. C'était papa qui lui avait fait comprendre à quel point c'était difficile les dernières années de sa vie. Papa savait ça: il en avait côtoyé des aphasiques dans sa vie, à commencer par son propre père... L'aphasie se dit aussi alalie. Un joli mot pour une bien vilaine pathologie. Alalie est un homophone d'hallalis aussi, peut-être que malgré la mélodie du mot on devine grâce à l'homophonie que quelque chose ne va pas, qu'une mise à mort est à l'œuvre... Papy donc ne parlait plus durant les cinq dernières années de sa vie. Il essayait bien pourtant, mais il en sortait un galimatias pathétique qui s'achevait souvent dans les larmes si l'on insistait un peu trop. Alors tout le monde l'ignorait, chacun vivait les repas comme s'il n'était pas vraiment là, comme s'il s'agissait d'un bébé qui ne pouvait pas comprendre. On parlait même de lui comme on le fait avec les tout jeunes enfants, devant eux, comme si les mots n'entraient jamais dans leur conscience. Qu'est-ce qui peut bien requérir le plus de courage? Ne plus pouvoir exprimer son amour et sa détresse, êre là mais néanmoins absent aux yeux des autres, emmuré dans sa chair? Ou bien ne cesser d'exprimer la terreur et la confusion d'une mémoire en ruines, qui vous laissait là, sur le dos de la Terre, sens dessus dessous? Il aura fallu bien du courage à ses ancêtres songe la jeune Noor rêveuse.


Papy, comète lointaine, et mamie, belle-de-jour: deux êtres différents mais néanmoins unis dans un destin commun. Deux univers que Noor incarnait aujourd'hui, dans l'héritage qu'elle en portait: certains goûts, des connaissances et de précieux souvenirs. Soudain, une idée géniale traversa son esprit comme une évidence: et si les belle-de-jour étaient véritablement reliées aux étoiles? Qu'elles échangeaient la nuit leur lueur colorée avec d'inaccessibles astres? Alors peut-être qu'en se laissant enfermer dans une de ces fleurs, on pouvait atteindre un monde forain? Il y aurait alors une chance qu'elle puisse retrouver sa grand-mère, la rejoindre quelques instants, savoir qu'elle était bel et bien étoile. Mais comment rentrer dans la trompe d'une de ces minuscules fleurs... Je sais! s'écria-t-elle intérieurement. Il me suffit d'y placer un objet suffisamment petit et léger pour qu'il puisse rester là, jusqu'à la fermeture. Il me faut un objet personnel, qui puisse me lier à la fleur... Voyons voir... Oui! Je vais couper une petite mèche de cheveux et la placer dans l'une des trompes! La fillette s'élança immédiatement vers la maison en direction la salle de bain où elle prit la paire de ciseaux lui permettant de couper une petite mèche de ses cheveux, imperceptiblement pour ne pas se faire gronder. Tenant la mèche dans la main, elle tomba sur le reflet que lui renvoya le miroir, elle souriait béatement, emplie d'espoir. Elle hocha enfin la tête l'air sérieux envers elle-même en signe de résolution. Noor sortît bientôt de la maison pour placer délicatement la petite boule de cheveux bouclés dans la trompe de la plus belle des belle-de-jour. Elle observa l'écheveau brun foncé dans son écrin de mauve. Attendre jusqu'à la nuit tombée allait être une torture, le temps passait bien trop lentement. L'été, la nuit sait se faire désirer, contraignant la fillette à rester tard dans le jardin, fixant l'étrange fleur dans l'attente de sa clôture sur cette part d'elle-même qui l'emmènerait aux étoiles. Mais elle ne pût assister à l'évènement, sa mère la fit rentrer, il était temps pour elle d'aller au lit, le cœur battant, remplie d'une excitation qu'elle craignait de ne pas voir décroître, risquant alors l'odieux contretemps d'une insomnie. Sur son matelas, paupières closes, elle laissa les images se former dans sa tête, se métamorphoser de formes en formes dans un kaléidoscope psychique envoûtant. Le sommeil était là, tout autour des images, rognant sur leur clarté, figeant tout mouvement dans son étreinte apaisante. Il s'infusait petit à petit dans les images qu'il rendait floues, dispersant l'attention qui finissait inexorablement par rendre les armes.

Après le silence, après l'immobilisme, vint le mouvement. Papy disait que tout était musique et qu'au commencement était le rythme. Rythme des particules infimes encore à découvrir, rythme des quarks, rythme des atomes et puis des pierres, mouvement des gaz qui s'élancent dans l'espace en circonvolutions achromiques ou bien mordorée. Les premières molécules naissent et pulse alors la vie. Le rythme est répétition, le rythme est mémoire car la répétition surgit dans la continuité. Les corps alors dansent leur destin, et tout prend forme sous la vibration des cataclysmes premiers. Étoiles qui brûlent, coeurs qui explosent, silences noirs des abîmes s'accouplant. Tout se joue dans l'incommensurable partition céleste. L'univers devient, grandit à mesure que l'onde se propage au sein du silence de rien. Au commencement était le silence, mais pour qu'il puisse exister, la musique dût le précéder. Pour que cette dernière existât, le silence dût être son berceau, mais nul silence sans bruit, ainsi tout devint le berceau de rien et rien celui de tout... Sons et silences, et de curieux êtres jaillissant de leur tension intime, comme l'air d'un poumon cosmique. Entre son et silence, l'humain cherche et danse. Bien malins ceux qui comprirent que tout l'art de vivre résidait dans l'esthétique des transitions. Il n'y a pas d'état, ni de formes, seulement des métamorphoses au rythmes qui varient.
Papy récitait cela le soir, depuis que Noor avait fait sa première escale en la station de son regard, nue, sans autres bagages que son unique vibration. Papy s'accordait à elle le soir, pour l'endormir et psalmodiait ainsi ses cosmogonies musicales: comme si l'univers entier pouvait être contenu dans une de ses parties. L'âme de papy était une drôle de chose.

lundi 21 mars 2022

Ailleurs

 J'avais, dans la voiture, un train d'images qui contenait en ses wagons, tout ce petit trajet et, plus généralement, tout ce mouvant présent automobile. Images phantasmées, arrimées l'une à l'autre en rêveries kaléidoscopiques: et tout ceci était la vie, la vraie, la seule.

Depuis l'enfance qui hurlait, depuis les salles d'attente, les classes d'école, les chambres à ranger, tout ce noyau d'agir s'est concentré en soi, pour percer le tissu temporel, forger au cœur des choses un monde clandestin.

Être ne m'a pas demandé plus d'effort que de savoir piloter ces fééries diurnes par lesquelles je m'échappais des cieux pour vivre la réalité d'un monde impossible à souiller.

C'est ainsi que je veux la vie: pareille à cette enfance qu'il s'agissait de fuir par l'union de ces mots qui m'emmenaient ailleurs.

Ailleurs est toujours quelque part ô combien plus enviable qu'ici.

Ailleurs est toujours quelque part.

lundi 1 avril 2019

[ Terres brûlées ] Le grand exorciste



Maison de paille au toit de tôle
Et lumineuse maille quadrillant les deux pôles
Réveil nocturne, dans le silence des pleurs
Pour le motif absurde que mourir fait peur

Horizons verticaux des abysses
Où se dessine en créneau l'abscisse
Escalier escarpé qui plonge aux limbes
De ténèbres informes que je regimbe

À affronter un jour
À saisir dans les sens
C'est en surface que vit l'amour
Et nulle chose n'a d'essence

Je flotte là et voilà ma sirène
Visage qui me suit de l'enfance
Au présent qui la traîne
Comme antique rémanence

De quelle vie abolie t'en viens-tu
Pour être là quand tout autour s'est tu
Tes yeux de chat tes joues creusées
Sont à mes sens comme imposés

Tu nages et je te suis par l'escalier
Tu es de l'eau je suis de l'air
Étrange mais il me faut voler
Vers cette ville familière

Ô toi cité que je n'ai jamais visité
Je te connais dès que mes yeux se ferment
Je ne sais qui de toi ou de moi nous a donc enfanté
Mais c'est ici que ma liberté germe

En haut, le soleil se réfracte
Et tombe comme un puits de lumière
Sur les bleus sombres de la mer
Et l'amas des cellules qui font pacte

Je me réveille le coin des yeux humide
Il fait noir et j'ai le coeur languide
Dans cette chambre qui n'est pas mon port
Mais le navire qui me condamne à mort

Terre de mon enfance
Du lit mouillé de mes errances
Ce rêve était mon grand exorciste
Expurgeant de mon âme le monde triste

Réseau complexe, tubulures lumineuses
Image de mon espace-temps
Je me demande si tu es menteuse
Lorsque tu m'offres un sein latent

Moi l'enfant qui tête le songe
Absorbant docile comme l'éponge
La couleur du Grand Totipotent
Qui dégorge en couleur outre-temps

C'est un récit sans histoire
Qui lie les lettres et narre
Ce qui ne peut être dit
Qu'au chant de mélodies


Sur l'étale et sombre mare
Qui naît de mon destin déteint
Flottent les fleurs pourpres de mes hématomes
Formant le macabre bouquet de ces vies monochromes

C'est là le sang de l'âme, où vacille la flamme
En encre noire imprimée qui reflète abîmé
Le mobilier infâme
D'un univers qu'en vain je m'échine à rimer

mardi 5 mars 2019

[ Terres brûlées ] Terres brûlées

Il s'agit là du tout premier poème d'un recueil en cours de rédaction. Il s'intitulera Terres brûlées, je vous laisse libre d'imaginer les interprétations qui vous conviennent. Je le dédie à mes parents, ce sont, en grande partie, les terres qu'ils m'ont léguées, et qui encrent mes veines.



Terres brûlées
Consumées, ravalées
Terres d'un autre temps
Tombeau de nos printemps

Terres anciennes
Commune antienne
Abri poreux des graines
Où git soyeux le rêve

C'est une vaste étendue
Terre battue
Fouettée par le vent

Écorce d'eucalyptus
Et poudre d'hibiscus
Où je me tachais si souvent

Péninsule de vie
Partant de tes prairies
S'étire sur aujourd'hui

Le sel sur mes lèvres
Comme une offrande portée par la mer
Où le ciel se reflète

Sa légende lumineuse
À la grammaire astrale
Font l'âme voyageuse

Satellite intersidérale
Dérouté de l'orbite
Atome esseulé dans la nuit anthracite

Parfum de Thuyas
Du futur? Un chouïa
Mektoub et dans les mains d'Allah

Laisser jeunesse aller
Le destin attendra
C'est le présent qu'il nous faut modeler

mardi 23 octobre 2018

Ussel



Ne plus s'arrêter
Pour regarder les routes mourir aux quatre coins du monde
Décider l'horizon qu'on poursuivra le reste des secondes

A-t-on vraiment le choix?
On m'avait marié de force lorsque j'ai débarqué chez toi
De mon pays lointain et ses autres coutumes

Mon âme et ses foraines lois
Enfilai ton costume et fit une prière:
C'était un bref adieu à mon passé posthume

J'avalais goulûment ton amnésie liquide
Faisant de ma mémoire un vase Danaïde
Toi ville que je bus comme un magma brûlant
Où je forgeai mon cœur au-dessous du volcan

Dans ta sagesse hurlante j'ai retrempé mon âme
Je suis sorti tout neuf d'impardonnables flammes
À mon destin s'accrochaient deux sésames:
Un don de comédien et la couleur du drame

Grâce au premier je m'intégrai si bien
Je devins l'un des tiens
La douleur sur tes murs
D'un tourment déjà mûr

Tu m'offris une scène où répéter mon rôle
Jouer sans discontinuer à faire mourir l'enfance
Mais le bougre résiste, il faut tant de violence
Qu'alors enfin, tout ça n'est plus vraiment si drôle

Il faut être cruel pour devenir adulte
Et prendre pour la chance ce qui n'est qu'une insulte...

Débarqué dans le monde des Hommes
Encore tout titubant
Il faut apprendre à vivre
Et rire tout en doutant
Je n'ai pas su je crois
J'étais trop débutant
Mes pensées furent des poids
Qui trouèrent chaque instant

À chaque crépuscule
Que de ratures alors
Et la course au trésor
Dans d'imbuvables bulles

Mais que je me rassure
J'ai mis bien du génie
À tanguer d'un pas sûr
Sous le néon des nuits

Pour quelques sous
le sang devient liqueur
La ville sans dessous
Susurre à notre coeur
Des mots tantôt si doux
Qui bientôt vous écoeurent

Pique, érafle de tes ronces
La peau si vierge et par trop tendre
Trace sur les jeunes coeurs
Les plaies que le temps implacable ponce

Au fond du sombre abîme
Petit homme se glisse
Comme en l'habit de brume
Qui couvre les yeux tristes

Depuis tes rues de neige
Ussel j'ai tant marché
Mes pas font un cortège
Qui viennent entacher
Le wagon de l'enfance
Qu'on ne peut détacher

Moi qui croyais pourtant
Que ma vie au complet
N'avait été que fuite
Je contemple étonné
Le grappin des couplets
Qui jettent tant de ponts
Vers un passé sans suite
Qui malgré tout répond

Déçu, peut-être
Au fond qui sait
Si les chemins abandonnés
Ne sont pas là pour ça
Fenêtres qui éclairent
Les possibles reniés
Perspective éphémère
Sur nos éternités

Ussel...
Curieux comme ce nom sonne lointain
Évoque la musique de royaumes anciens
J'ai traversé tes glaces comme un déporté
Mais d'aucuns de tes fils m'ont appris à t'aimer

Je languis par moments
Le reflet de tes cieux
Que récoltaient antan
L'escarcelle des yeux

Assis dans le présent sans âge
De ce train pour Limoges
Tout contre la fenêtre
Et comme un lourd présage
Je rêvais d'exister
Sans plus avoir à être

Je me désaisissais de moi
Comme d'un lourd bagage
J'étais heureux je crois
D'être passager clandestin
De mon propre voyage

Oh je pouvais enfin
Contempler le mirage
D'un temps que rien n'atteint
Et qui nous dévisage

En moi je souffle alors
L'haleine attendrie de ces songes
Dessine sur l'oblong hublot
Qui ouvre sur l'aurore
Ce petit mot précis
Qu'encore j'interroge:

Ussel


_____________ ALTERNATIVE _________________

Ne plus s'arrêter
Pour regarder les routes mourir aux quatre coins du monde
Décider l'horizon qu'on poursuivra le reste des secondes

A-t-on vraiment le choix?
On m'avait marié de force lorsque j'ai débarqué chez toi
De mon pays lointain et ses autres coutumes

Mon âme alors régie par de foraines lois
Enfila ton costume et fit de lourds adieux:
C'était une prière pour un passé posthume

J'avalais goulûment ton amnésie liquide
Faisant de ma mémoire un vase Danaïde
Toi ville que je bus comme un magma brûlant
Où je forgeai mon coeur au-dessous du volcan

Dans ta sagesse hurlante j'ai retrempé mon âme
Je suis sorti tout neuf d'impardonnables flammes
À mon destin s'accrochaient deux sésames:
Un don de comédien et la couleur du drame

Grâce au premier je m'intégrai si bien
Tu fis de moi l'ado semblable à tous les tiens
Malgré la forme étrange imprimée sur tes murs
De mon ombre aux couleurs de tourment déjà mûr

Tu m'offris une scène où répéter mon rôle
Jouer sans plus cesser à faire mourir l'enfance
Mais le bougre résiste, il faut tant de violence
Qu'alors enfin, tout ça n'est plus vraiment si drôle

Il faut être cruel pour devenir adulte
Et prendre pour la chance ce qui n'est qu'une insulte...

Débarqué dans le monde des Hommes
Encore tout titubant
Il faut apprendre à vivre
Et rire tout en doutant
Je n'ai pas su je crois
J'étais trop débutant
Mes pensées furent des poids
Qui trouèrent chaque instant

À chaque crépuscule
Que de ratures alors
Et la course au trésor
Dans d'imbuvables bulles

Mais que je me rassure
J'ai mis bien du génie
À tanguer d'un pas sûr
Sous le néon des nuits

Pour quelques sous
le sang devient liqueur
La ville sans dessous
Susurre à notre coeur
Des mots tantôt si doux
Qui bientôt vous écoeurent

Pique, érafle de tes ronces
La peau si vierge et par trop tendre
Trace sur les jeunes coeurs
Les plaies que le temps implacable ponce

Au fond du sombre abîme
Petit homme se glisse
Comme en l'habit de brume
Qui couvre les yeux tristes

Depuis tes rues de neige
Ussel j'ai tant marché
Mes pas font un cortège
Qui viennent entacher
Le wagon de l'enfance
Qu'on ne peut détacher

Moi qui croyais pourtant
Que ma vie au complet
N'avait été que fuite
Je contemple étonné
Le grappin des couplets
Qui jettent tant de ponts
Vers un passé sans suite
Qui malgré tout répond

Déçu? Peut-être
Au fond qui sait
Si les chemins abandonnés
Ne sont pas là pour ça
Fenêtres qui éclairent
Les possibles reniés
Perspective éphémère
Sur nos éternités

Ussel...
Curieux comme ce nom sonne lointain
Évoque la musique de royaumes anciens
J'ai traversé tes glaces comme un déporté
Mais d'aucuns de tes fils m'ont appris à t'aimer

Je languis par moments
Le reflet de tes cieux
Que récoltaient antan
L'escarcelle des yeux

Assis dans le présent sans âge
De ce train pour Limoges
Tout contre la fenêtre
Et comme un lourd présage
Je rêvais d'exister
Sans plus avoir à être

Je me désaisissais de moi
Comme d'un lourd bagage
J'étais heureux je crois
D'être passager clandestin
De mon propre voyage

Oh je pouvais enfin
Contempler le mirage
D'un temps que rien n'atteint
Et qui nous dévisage

En moi je souffle alors
L'haleine attendrie de ces songes
Dessine sur l'oblong hublot
Qui ouvre sur l'aurore
Ce petit mot précis
Qu'encore j'interroge:

Ussel

mercredi 22 novembre 2017

L'escalier 2.0

Voici une reprise d'un poème écrit initialement le 23/11/2009 . Je vais m'amuser à donner une seconde jeunesse à quelques vieux poèmes conçus à une époque où je n'étais pas moi, autrement dit où je n'était pas je. Je tente de conserver le sens et je m'attache essentiellement à retoucher le rythme, à le soigner si l'on peut dire. J'y ai tout de même insufflé un peu plus de profondeur, par quelques détails qui pourraient sembler anodin mais ne le sont pas... Peut-être qu'un moi futur entreprendra une version 3.0, et d'autres moi encore d'autres versions...




Il court, il court, escaliers de la mort
Dévale les marches avalées
Vers où les portes s'en sont-elles allées
Il court, il court, descend encore

Son regard affolé plonge vers le gouffre
De pierre tourbillonnant vers l'indécent
Son corps tambourine et souffre
Souffle l'écho de pas dansants

Regard baissé, et dos bien droit
Jamais ne dévie de sa course
Pieds écrasés par le poids
Du corps refluant vers sa source

Tic tac, tic tac
Font les souliers cognant les marches
Et dans virages point ne dérapent
Dans ce colimaçon qui mâche

L'écho du coeur devenu fou
Qui va tremblant hurlant partout
Et sa chute n'a plus de fin
Puisque l'escarpe épouse le rien

Coincé, coincé, le corps piégé
Croyant s'agiter pour un but
Fendant l'air las et si léger
L'enfant âgé se sait perdu