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jeudi 4 juin 2020

La monnaie mélancolie

Je me suis réveillé ce matin avec, je ne sais pourquoi, l'envie d'expliquer certaines dynamiques à l’œuvre dans mon approche de la poésie. Je sais qu'il ne faut pas vouloir tout expliquer et laisser au lecteur la liberté nécessaire à sa propre signifiance dans l'exégèse des textes, mais, tout de même, j'aimerais parler de quelques points importants et partager ainsi un peu l'étrange état d'être poète aujourd'hui.

Il m'est apparu hier que je fonctionnais beaucoup par homophonie. J'aime à placer des jeux de mots, que ce soit dans mes phrases ou dans mes titres (qui n'en sont bien souvent qu'une citation). Cela arrive de manière intentionnelle et parfois de manière fortuite, ou du moins inconsciente.

Ainsi hier, j'ai réalisé que l'ombre des pensées pouvait aussi être compris comme l'ombre dépensée. C'est une homophonie fortuite mais qui prend tout son sens dans ma démarche. J'ai toujours utilisé la souffrance comme une monnaie, c'est à dire une valeur pour autre chose, un signe. J'utilise cette souffrance pour faire des poèmes. Il y a là un véritable échange commercial entre cette énergie vécue et le produit de sa mise en forme esthétique qui débouche sur la poésie. L'ombre est ainsi véritablement dépensée... Je ne la conserve que très peu en moi-même et pour ainsi dire jamais.

Pourquoi cette monnaie plutôt qu'une autre? La raison en est quelque peu paradoxale puisque c'est celle qui a selon moi le plus de valeur, au regard du siècle où je suis sis, bien qu'elle ne souffre aucune rareté dans ma psyché. La souffrance ou mélancolie (j'utiliserai ici les deux indifféremment bien que les deux concepts méritent distinction) est pour moi un sentiment non spontané mais qui est issu d'un état psychique de lucidité. Être lucide c'est parvenir à voir à travers les concrétions, à travers les croyances qui cherchent à combler le vide originel. Ce processus de clarification, pour être achevé, doit s'opérer à la fois sur la vie mondaine et comme qui dirait extérieure, mais aussi et surtout sur ce royaume intime. C'est donc un regard qui doit en permanence se retourner sur lui-même, il faut rendre sa propre peau translucide, il faut prendre conscience des lunettes à travers lesquelles nous constituons le monde au sein duquel nous nous figurons être.

Cette extrême lucidité qui rend à la porosité ce qui semblait plein, qui défait les jugements, est le point de départ à deux sentiments distincts: celui de béatitude contemplative et déresponsabilisée, et celui de mélancolie. Je parle de béatitude déresponsabilisée car un tel état de l'esprit permet de suivre jusqu'aux racines le processus de fabrication des croyances. Ce faisant, il est évident, et le travail des sceptiques à ce sujet est aujourd'hui irréfutable pour quiconque est prêt à se défaire de ses a priori pour aborder la question, que nos jugements prennent racine dans l'arbitraire du choix. Non un choix non motivé, absolu ou acausal, mais qui s'inscrit au contraire dans le cours naturel des choses. Or il n'est pas permis d'affirmer posséder un libre arbitre (c'est à dire une puissance qui fait qu'il aurait été possible de choisir ceci plutôt que cela) du simple fait que "nous sommes ignorants des causes" qui nous déterminent. Les croyances donc sont la conséquence d'un acte de choix qui voit le sujet projeter au-devant de lui un monde, c'est à dire un objet d'objets. La responsabilité est un sentiment vécu et pour cela certes indéniable, mais il faut se garder d'en rester là et de ne pas interroger le fondement de ce vécu. Dès lors qu'on s'applique à le faire, il est assez évident que nous avons autant de données qui viennent remettre en question sa réelle validité. Pour cette raison la lucidité mène à douter du sentiment, non en tant qu'il est un pur vécu, mais en tant qu'on s'en fait une explication conceptuelle sous la forme d'un jugement théorétique. C'est ce jugement qui devient croyance et non le sentiment en lui-même. Il y a donc déresponsabilisation, et même déréalisation presque totale de tous les concepts, tous les jugements que l'on prédique au sujet. Je parle de béatitude car il y a un profond vertige lié à ce processus de libération, d'indétermination qui rend à l'humain, au sujet transcendantal, son statut de conditions de possibilité de toute les déterminations, son statut d'anté-détermination.

La mélancolie vient quant à elle prendre la place de ce sentiment lorsque n'a pas lieu une déresponsabilisation contemplative mais une dévalorisation. Autrement dit lorsque le sujet transcendantal contemple non pas la manière dont il échappe en vérité aux déterminations définitives et définissantes, mais lorsqu'il contemple le monde constitué se défaire de sa naturalité pour y voir au contraire un équilibre précaire de relativité. S'apercevoir qu'il n'existe pas de critère extérieur et absolu de jugement mais qu'au contraire, tous les objets qui constituent le mobilier du monde sont en fait des états changeants d'une collaboration entre un sujet transcendantal et un réel duquel on ne peut rien dire, non car il serait absolument autre, mais parce qu'il nous excède bien que nous en partagions nécessairement la nature. Il y a donc mélancolie car il y a grande solitude à se savoir l'artisan et le législateur du monde, à ne pas pouvoir se reposer sur la fermeté de croyances et de choses stables et assurées, totalement indépendantes de nous-même. Si nous trouvons repos en une telle croyance, c'est parce que nous y abdiquons précisément la liberté par le choix, l'indétermination par la foi. En somme, croire en une réalité indépendante et conforme à nos croyances, arraisonnable, c'est être en mesure d'obéir. Obéir à des valeurs qui s'imposent à nous et que l'on peut ainsi rendre transcendantes, et qui sont dès lors aptes à nous subsumer. Il y a dans ce processus quelque chose d'infiniment reposant, une sorte d'annihilation de la liberté d'indétermination qui, elle, est très inconfortable, notamment lorsqu'on la vit au sein de sociétés constituées sur le récit opposé: celui d'un monde absolu et non plus relatif.

On pourra objecter qu'entre cette déresponsabilisation liée à l'indétermination et la dévalorisation dont je parle, il n'y a, en fait, aucune différence. C'est probablement vrai... Ce que je décris comme deux processus distincts a de grandes chances d'être en fait un seul et même cheminement, observé cela dit selon deux perspectives distinctes. L'une est celle de la libération, l'autre de la dévalorisation. C'est à dire, l'une où l'on a l'impression de gagner quelque chose dans la perte de déterminations qui nous enfermaient, et l'autre où l'on ressent au contraire la perte d'une assise fondamentale dans ce gain de vacuité.

Mais même encore, cette dichotomie n'est pas satisfaisante et je m'aventure à l'hypothèse suivante: dans l'état de lucidité, se mêlent les deux sentiments (libération déresponsable et mélancolie) comme deux notes dans un accord. Ce sont en fait les deux faces d'une même pièce car il y a bel et bien perte (des déterminations illusoires auquelles on croit soumettre le sujet transcendantal qui en est pourtant l'origine même) et gain (d'une liberté retrouvée, comme possibilité d'être indéfinie). L'un ne peut aller sans l'autre. Il arrive simplement qu'une note se fasse entendre plus que l'autre et devienne ainsi la fondamentale de l'accord. C'est dans ces moments là, lorsque l'âme joue la mélancolie, que je saisis mon stylo et capture en déterminations poétiques l'énergie de résonance de ce sujet transcendantal.

lundi 11 septembre 2017

Courage!



Courage! Souquez matelots!

Fendez les flots de cette vie!
Même la tempête s'alanguit.

Souquez frères stellaires des confins!
Ramez vers l'enfer et sa fin!


Courage! Coeurs débridés!

Frêle esquif à travers les flots
Coeur de suif mordu par les crocs.


Courage!

Derrière chaque nuage, un soleil qui rugit
L'envers de chaque orage, un rayon qui surgit.


Courage mes amis!

Affrontez les passions qui font trembler vos nuits
Un merveilleux silence vient pour panser le bruit.


Force mes amours!

Nul chemin ne s'emprunte sans détours
Aucun matin qui ne devienne un jour.


Bandez les muscles!

Chaque éclair une énergie en moins
Pour les coups de tonnerre qui vont mourir au loin.


Courage, humains!

À travers les brumes incolores
Perce la promesse d'un chamarré trésor.

Voyez déjà, comme le tumulte retombe
La force de vos bras valait bien mille bombes.


Encore, amis!

Derrière le tourment délétère
Par delà les souffrances de la terre
S'en vient l'onguent d'un repos éphémère.


Courage sisyphes!

Cette vie à une fin, comme vos douleurs enfin
Une chute indolore qui transforme en destin.


Courage!

Regardez comme chute Héméra
Dans sa gloire nimbée
Fait de tous tumultes un beau drap
Que l'aurore ôterait...

Souque! Rame! Frappe! Hurle!
Traverse la tourmente
D'un regard incendiaire!

Souffre, saigne, rage, tend
Vers le prochain instant!

Nous sommes tous les bruyants enfants
D'un trop juste parent
Chacun de nous son fragment
Dans le long cours du temps


Et dans l'infernale valse qui les malmenait, les petits êtres pouvaient entendre - étaient-ce alors les vents qui chantaient? -:

"Un soleil est le coeur d'un ami, et cet astre a sauvé bien des vies!
 Une étoile est l'amour d'un ami, et son souffle a crevé bien des nuits!"


Sur un dessin d'Amine Felk, texte de moi-même.