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jeudi 27 mai 2021

L'art comme expression d'une singularité absolue

L'art ne donne jamais l'universel, le quantifiable, le commun. Tous ces qualificatifs ne s'appliquent qu'à la grammaire que l'artiste emploie, à la matière dont il use pour l'informer de son sentiment propre. L'art ne donne que l'extrême singulier, c'est son but ultime, l'expression à partir d'un matériau et de règles communes d'une intimité absolue, insulaire et intangible.

Il est autrement dit l'affirmation communautaire (dans sa velléité) d'individus cherchant à franchir les frontières de la conscience enclavée afin de s'assurer qu'autrui existe bien selon la même modalité existentielle (sensible et intelligible) -- au moins en partie. Par l'œuvre, l'artiste cherche à aboucher sa conscience à celle du spectateur, il cherche une famille, il est comme l'enfant qui souhaite partager son engouement, sa souffrance, ce trésor enfoui qui lui rendît la vie moins désagréable pour une poignée d'instants. Ce qu'il veut partager c'est cette singulière subjectivité vécue qu'aucun objet ne saurait être.

Paradoxalement, les seuls outils à sa disposition pour ce faire sont l'universel et l'impersonnel, attributs de l'objectivité même: la signifiance esthétique use d'une grammaire culturelle, de techniques culturelles et donc de tout ce qui est précisément commun. C'est à ce prix que l'œuvre est accessible par d'autres. La matière commune et ses lois constituent l'éclairage d'une scène, d'un écosystème au centre duquel se montre l'opacité de la conscience intime, trou noir auquel jeux de lumières et agencements perceptifs prêtent une valeur rehaussée, installent au centre de l'attention, distinguent, permettent de circonscrire en une forme, un contours qui, bien qu'ils n'enclosent que du vide, définissent et délimitent cet espace vacant et ce néant, et lui font dire plus précisément ce qu'il n'est pas. Ainsi donc matière et lois communes sont la lumière qui éclaire et donne forme à l'œuvre d'art, écrin d'un centre opaque, d'une singularité vécue qui hurle, du fond de sa cellule, vers l'altérité environnante pour y découvrir d'autres qu'elles, identiques et communes elles aussi, par leur indicible et absolue singularité.

jeudi 15 avril 2021

Derrière le verre sans tain

 Je n'ai que mes poèmes pour me tenir compagnie; et pour me tenir lieu d'achèvement. Autrement je ne possède rien: ma vie est une note de bas de page où chaque lettre ouvre sur une galaxie poétique; mais personne n'ouvre ces lettres. Personne, à juste titre, ne le fera.

J'ai de trop hautes aspirations pour exister tel que je suis et m'injecter dans la matière des formes. Comment supporterais-je la vue de mes reflets ignobles dans d'indéfinies œuvres spéculaires. On ne peut renier une œuvre, il faut accepter que c'était là, à l'époque, tout ce que l'on savait faire de mieux.

Je ne fais rien. Je me contente d'être sublimement affecté par les actions des autres. Je coule interminablement dans l'océan versicolore de la beauté environnante. J'y étouffe la flamme de mes velléités; étrangle mon égo. Produire de la beauté ce n'est pas la même chose que de l'éprouver. J'éprouve en mon purgatoire privé le parfait équilibre des abîmes les plus noirs et de cimes acméiques. Je vis dans ce parfait vertige de chutes ascensionnelles.

Personne ne saura ni ne goûtera l'absolue singularité de mes délices. Ni non plus celle, terrible, de mes angoisses. Il n'y a pas de signes pour cela, je n'ai pas les moyens d'en dessiner les routes, d'ouvrir une fenêtre sur mon désunivers. Je reste prisonnier, à perpétuité, derrière le verre sans tain de l'odieux solipsisme.

vendredi 19 février 2021

Actualités sempiternelles

 Je vis avec le cœur d'une étoile qui s'effondre.

Nous sommes colocataires des vacuités cosmiques, tous deux centre de gravité, tous deux creusant jour après jour le vieil espace-temps vers notre point de singularité, celui que plus une équation ne sait décrire.

Celui que je me fais passion d'écrire. Avec mes propres formules, avec toute l'exactitude lyrique de ma géométrie intime.

Cette étoile qui implose est à côté de moi: dans l'écrin de sobriété du salon en ce jour qui s'élance, et que la pièce recompose en un équilibre un peu triste d'ombres et de lumières. La luminosité change, l'éclat des murs, leur carnation, s'altère imperceptiblement, seconde après seconde, et je reste immobile. Je reste immobile et m'aperçois, finalement, que les murs ont changé, que la poussière lumineuse suspendu entre les fenêtres a pris une configuration nouvelle, qu'elle danse de nouveaux pas, et que cette maison exhale un sentiment qui s'évanouit continuellement en autre chose. Comme mon existence, comme ma conscience qui ne se reconnaît qu'en tant qu'essentielle différance.

La salle à manger a ses bouches, avalant la lumière et son plancton photonique invisible à mes sens limités. Existe-t-il un être dont les sens perçoivent les photons? Je m'interroge et l'interrogation flotte au milieu des poussières, parmi les particules: elle est de même nature qu'eux. Dès que je n'y pense plus, tout disparaît...

Ces hautes fenêtres sont peut-être après tout des yeux qui mangent la lumière et qui, comme ma tête, se la projettent intérieurement dans un jeu de reflets récursifs qui manifestent un monde à l'intérieur des choses. Et ce faisant l'intérieur plus intérieur encore s'éloigne toujours plus en-dedans. Qu'y a-t-il entre les murs de ma maison? Qu'y a-t-il sous la surface des électrons? Des quarks? Jusqu'où peut refluer l'intérieur, l'intimité des choses?

L'étoile à côté semble se stabiliser dans son effondrement. Son voyage est sans fin, du moins nul ne saurait déterminer où il commence et où il cesse... Je ne vois pas cette étoile, de la même manière que je n'ai jamais vu de photon. Je me la représente et je ressens les effets de cet acte mental, je sens le réagencement total du monde-objet, artefact personnel qui se construit éternellement dans le chantier de tout.

Nous sommes dans la maison, à travers le cri des oiseaux, à travers les plis de l'atmosphère, à travers la durée silencieuse figurée par les sons, à travers l'idée de nous-même et sa présence ressentie.

La lumière de l'ampoule dans la cuisine attenante perce le tableau que je me peint des choses et fore un puits de lumière qui se prolonge en crissement de nerfs, en crispation de mes muscles oculaires, et tout cela résonne en ondes concentriques à travers la masse de chair qui se maintient unie et détachée du reste. La seule vérité, le seul absolu, c'est cette sensation anonyme, cette sensation qui n'est pas même un véritable objet, une chose délimitée dans le ruban de ce qui est senti et forme mélodie pour un destin.

Derechef, je me remets pourtant à clore cet écoulement dans une goutte de pensée, une bulle noétique qui me la rend pareille à cette ampoule extérieure et néanmoins présente en moi...Une pensée me traverse. Écrire sur l'actualité...

Écrire sur l'actualité? L'éternité n'est-elle pas toujours actuelle?

vendredi 11 septembre 2020

Esperanto

Une langue logique
Universelle
Des yeux lucides
Clairs
C'est à dire en mouvement
Sur un chemin d'amendement
Celui de vérité

Des jugements prudents
Et non de ces lances guerrières
Dont on se perfore mutuellement
Sans cesse

Aimer
La chose singulière
Non pour ce qu'on en peut dire
Et qui n'est que l'universel
Le commun
Mais pour l'indicible unicité
Le point de fuite
Où le langage échoue

dimanche 26 août 2018

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

Ma vie est comme ce cri d'oiseau, timide et persistant, et peut-être vain car affairé à seulement passer du jour présent au lendemain.

Qu'ai-je bâti si ce n'est rien.

Pourtant, je connais des cabanes et chateaux sis dans une immense forêt de bambous. Ceux qui s'y égarent ne goûtent guère le génie d'habitations fait-main, ils se hâtent bien vite de rentrer dans leurs immeubles impersonnels, d'aller où on leur dit, et de porter leur coeur sur ce qu'on a, pour cela même, étiqueté.

Il me semble que le monde ne cherche plus à évoluer, repu et stagnant dans les eaux de la médiocrité. L'on n'aime plus les rebelles aujourd'hui, les ermites un peu fous, les esprits ébréchés. La différence est un épouvantail et la liberté un ennemi.

Peut-être suis-je venu trop tôt, ou peut-être trop tard. À quoi servirait-il de le savoir...

Je m'invente des origines stellaires dans des poèmes que personne ne lit, comme une manière de rompre avec la solitude tout en lui prenant la main.

Tout ce qui me satisfait ici-bas est jugé inutile, oisif et de peu d'intérêt. Les horizons qui m'animent sont au mieux des loisirs improductifs, sans valeur pour la société. Je suis la pièce inadaptée d'un puzzle achevé.

Cette tristesse des confins qui m'habite doit bien pourtant être de quelque valeur, il s'agit là tout de même d'un profond sentiment que je brûle comme un pétrole qui mène la carlingue de mon existence. Tout cela n'est-il rien? Réellement rien? Je veux dire: socialement rien?

Mon être, mes goûts, mes passions, mes oeuvres sont-elles à ce point ineptes qu'elles doivent être ignorées comme s'il ne s'agissait de rien?

Tu-tuuu Tut!

L'oiseau continue de chanter, qui s'en soucie si ce n'est moi... Ce chant est le point de départ de ma rêverie, je l'accueille, j'en fais quelque chose, et par là il existe. Quant au son qu'aura fait ce poème, advienne que pourra, que personne ne le prenne, je ferai semblant de n'en point prendre ombrage, de demeurer sublimement indifférent.

A-t-il même existé ce son? Et comment le savoir s'il reste sans effet sur le monde extérieur...

Dans un monde parallèle à ces pensées, et peut-être sans contact avec lui, des chiens s'approchent bruyants de mon corps penché sur un banc public, et qui saigne quelque chose - comme on transfuserais sous forme d'arabesques sur fond blanc des sentiments autrement informes. Les chiens me heurtent, reniflent mes sandales, bavent sur mes pieds, mes vêtements, comme si je n'étais pas vraiment là, pas véritablement singulier; tout juste objet préformé et sans surprise prêt à être désintégré-digéré dans leur monde de promiscuité écœurante: un monde despotiquement unique et absolu.

Cette vie est sans égards pour rien: des univers qui s'ignorent se télescopent et chacun tente de fondre l'autre en un objet défini dans son propre système. Désengagé de naissance de cette guerre universelle, je continue de brûler ma vie en chants ou cris éphémères.

Tu-tuuu Tut!

De toute façon cela ne veut rien dire pour autrui, tout juste un signe à interpréter, c'est à dire un objet à constituer puis agencer dans son petit royaume personnel... Le solipsisme tue lentement et moi je vis encore... À quel point de ma course en suis-je?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...