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vendredi 10 juin 2022

Ode prométhéenne

 Je pense à ceux des forges noires, aux infirmiers du monde, à ceux aussi qui, du fond du Capital, abolissent les normes et rompent les amarres avec une nature à quai -- origine abolie. Qu'en ira-t-il de tout ce va-et-vient, ces autobus à mécanismes complexes, tubulures métalliques, explosion -- pyrotechnie du présent...

L'air vibre de toutes parts, stridences et décandences, grondement sourd des roues sur le rail, crépitement des pioches sur les os de la Terre, bruit de fond de la machine humaine en marche et sans repos.

Telle une maladie, je rêve, en un récit viral, d'éteindre le fracas, de détourner la sève de ce Pandémonium ahuri, de préparer un monde où ces futiles fins sont abandonnées sur la route, comme ces sucreries d'enfant qui ternissent l'émail.

Ma décroissance a des saveurs d'enfance, de terre sous les ongles qui grattent et s'émerveillent de la seule présence de dame Nature. Odeurs d'humus, de mycorhizes, bruissement de l'être-là des choses, arc-en-ciel chlorophyllien, treillis céleste qui se peint tout au travers des hautes frondaisons.

De tout cela mon temps s'est fait un palimpseste... Et tout empeste, relent d'égoûts et bouche d'aération qui tousse un air tout alourdi d'angoisse souterraine. Des cadrans lumineux affichent les horaires d'une agonie légale, viol effrené des consciences, haine qui s'avale au matin, par litres entiers, ô sucre du café matutinal...

Métronome en avance qui toujours rapproche l'instant du prochain geste -- celui-là qu'on achète au SMIC mensuel. Des fragments de destins vendus qui forment, rectilignes, les rails de l'humain dressé. Et gratte et creuse et frotte des moquettes en des couloirs de termitière.

Je pense au mécanisme dément de cette horlogerie quotidienne, soufflerie de magasins vomis sur les passants, arômes de pains-au-chocolat, ventilateurs retors qui rendent à l'entropie la course des données -- en de micro-circuits.

Autour de tout cela, en silence, le Chaos guette qui récolte en ses filets les miettes toujours plus nombreuses de ce laborieux requiem. La Terre, chaude, brûlante, fiévreuse, rend à l'éther étal ses vains degrés de trop. Ah douce entropie...

Tu fais de l'ignorance ton régal et couve de tes yeux éteints le coup de vent de nains qui circulent, infatigables électrons, dans les artères des villes, défilent en ordre -- minuscules --, courent ici et là de manière standardisée pour mourir sous des croix industrialisées.

Que de destructions alors... toi qui pourtant pourvoie déjà à cette tâche, bien en-deçà de toute casuistique... toi qui, parfaitement et sans conscience, applique cette loi de la thermodynamique. Vertueuse érosion de ce qui se tient là, pour que la cime enfin rejoigne la poussière, devienne le terreau fertile d'infinis lendemains...

Vois ces petits assistants faucheurs qui partout scandent un rythme décalé, ne veulent plus attendre leur fin et précipitent celle de tous. Raclement de rouille, grincement de zinc, intestincts entortillés du ventre de la ville parcourue par les rats qui agissent, en miroir inversé, comme leurs homologues des surfaces.

Froissement crépitant des emballages plastiques, aussitôt fait aussitôt chiffonés. Grondement des flammes au fond de ces décharges qui tentent d'avaler le monde excrémentiel d'humains gloutons déments.

Stridences des alarmes qui déchirent le brouhaha des villes surpeuplées, cris, pétarades des pots d'échappement, portes qui se referment et s'ouvrent sur le vide, souffle entrecoupé des pales d'un retors, immeubles propulsés à travers les silen-cieux.

Orage permanent sur la planète: vagabonde bleue, derviche banlieusarde, extrémité galactique en valse gravitationnelle.

Là-bas, au centre des révolutions, le bruit est si assourdissant qu'il fait du monde humain ce tintinnabulement attendrissant des carillons d'enfants. La foudre nucléaire rase tout sur son passage, houle magnétique, raz de marée qui projettent au sein du sombre espace des langues de feu voraces illuminant le vide. L'effondrement permanent chante un cri de flamme à rendre sourde n'importe quelle indiscrétion.

C'est le soleil lui-même que nous ramenons sur la Terre, enclos dans les centrales, disséminé par les gaines de cuivre: cheveux électriques des civilisations. Et le bourdonnement de l'énergie fait se dresser sur l'épiderme les poils glavanisés. Le bétail se meurt des maladies du temps.

Le cœur bat la chamade, le silence est un ronron citadin, le vrai silence est un concept livresque, personne n'en connaît la texture. Mais le Grand Silence lui, mes frères, est à venir. Il n'est pas un éclat de nos paroles creuses qui ne l'appelle à s'éveiller.

Dans le cliquetis des roues crantées, dans le récit prométhéen des usines se joue cette fabrication d'un monde substitué au Monde. Homo Faber, pourfendeur de cycles biologiques, chercheur d'éternité, adorateur de la mort minéral.

Des mondes sur d'autres mondes: auparavant cathodiques arrivent désormais par diodes électroluminescentes organiques, c'est toujours au fond la même paroi de la même caverne antique... Il faut se voir soi-même, en toutes choses, que tout soit un reflet de nos idiots profils.

Épais volutes de fumée nocive, ogives nucléaires, poudres alchimiques -- semence de beauté. En tout objet du monde, la marque du sujet: du sombre métal usiné des berlines aux couleurs éclatantes d'organismes génétiquement modifiés, tout partout nous, nous... toujours nous. Indigestement nous.

dimanche 9 septembre 2018

Bientôt...

Il n'y a plus rien pour me guérir de ce destin manufacturé, ni les poèmes, ni la musique, ni quelque drogue inconnue ne suffiront à me guérir de mes semblables. Telle une terre souillée par les engrais chimiques, une terre qui s'éteint, j'exhale un désespoir nocif dans ma cellule à crédit. Du moins ne fais-je de mal à personne d'autre qu'à moi-même...

Les jours s'enchaînent telle une suite infinie d'humiliations quotidiennes, la vie de l'employé s'étale monochrome et bien rangée, comme des rails se perdant au loin d'un futur indifférencié. Il faut partir me dis-je, partir et ne jamais revenir au pays où les humains ont naturalisé la servitude, et se réjouissent même qu'on leur dise où aller et que faire du lever au coucher d'un soleil bénévole. Qu'est-ce que je partage encore avec ces gens? Avec leurs pensées? Leurs convictions, leurs croyances qui se sont phénoménalisées sous la forme d'un monde injuste où chaque vie n'a de valeur que par l'énergie qu'elle applique à se vendre au projet toxique de la civilisation.

Que me retient donc de prendre ma guitare et d'aller par les rues en jouant, espérant récolter quelques pièces, afin d'acheter à des chaînes de grande distribution une nourriture délétère et quelques litres de Styx vendus en canettes... Je pourrais déclamer mes poèmes et peut-être quelqu'un entendra, peut-être que se phénoménalisera aussi cette intériorité que je traîne comme une planète extravagante et exotique au sein du territoire où je suis détenu...

Peut-être me faut-il descendre encore plus bas dans les sous-sols du désespoir pour renoncer véritablement à faire miens ces dogmes qui me font souffrir et dont la logique si vulgaire me retourne de l'intérieur dans une sourde révolte qui s’émiette en quelques mélodies et songes musicaux. Descendre encore plus bas, à la limite extrême, où se développent les maladies modernes, les cancers et autres dégénérescences. Le monde s'est immunisé contre l'injustice, les gens ne la ressentent plus. Je pourrais avaler des pilules et vire heureux parmi eux, probablement, mais je préfère sentir la douleur qui se fait jour après jour de plus en plus vive, je préfère entendre et sentir me faire vibrer les entrailles le hurlement de mes cellules, la complainte en mineur de mon âme assaillie.

Bientôt je partirai d'ici, et je n'aurai pas honte! Je vivrai bohémien, me priverai de tout, comment cela pourrait-il être pire que de se voir ôter toute dignité, comme un chien en cage à qui on apporte tout de même de quoi manger; parfois un vieil os à ronger, afin qu'il supporte d'endurer ce destin, avec suffisamment d'espoir en poche pour garder la curiosité de prolonger son souffle jusqu'à l'aube prochaine.