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samedi 19 mai 2018

Segmentation fault

C'est fantastique la mort, ça doit forcément être fantastique puisque c'est tout sauf cette vie grouillante qu'on a tissé de chaos pour déchirer les destins, digérer les êtres comme s'ils n'étaient pas uns ou indivis, mais bien plutôt une sorte de tas de matériau énergétique, un combustible en somme.

Après  des décennies de soumission, après des kilos de prozac pour voir la vie en rose, ou juste un peu moins grise, tu te retrouves un jour les jambes qui vacillent, dans une vigne traitée où l'herbe meurt en rouge, ou bien sur un parking d'hypermarché, où même les humains sont des marchandises qui bougent. La migraine commence par ces mouches lumineuses qui voltigent en tous sens en rais aveuglants qui laissent dans l'esprit, même yeux fermés, une rémanence stridente qui nous voit désirer de pouvoir fermer cet autre oeil qui ne se clot que trop rarement.

Les secondes de ta vie forment un gros tas de détritus, une somme désunie de gestes cadencés sur des rythmes futurs. Ton quotidien bat la mesure d'une musique endiablée qui t'intimes en douceur, en passant bien par la structure, de produire ta valeur, d'offrir le nectar de tes jours à grossir un magot qui peinera à combler le grand trou noir dans la tête d'un humain perdu. On t'expliquera bien que profitant de société, il te faut bien participer, et c'est par ton travail régulier que tu quémandes ta survie. Ce qui fait pousser ta nourriture c'est l'argent, ce qui te donne un toit c'est l'argent, ce qui te procures du plaisir c'est encore l'argent. L'argent te chauffes, t'abreuves, il te protèges, tu le respires, il te nourrit. Mais d'où vient cet argent? N'est-ce pas la maigre part du trésor que tu contribues patiemment à emmagasiner dans de lointains coffres gardés par des travailleurs zélés qui gagnent leur survie en protégeant le fruit de ton labeur de ta voracité.

Personne ne s'arrête, personne n'écoute autrui et plus personne non plus ne s'écoute soi... Les rêves sont le tissu éthéré que les ondes ourdissent à travers notre chair. Les vérités sont décidées ailleurs, et sont acheminées par les plus gros mangeurs. Qui a dit que les idées sont sans saveur? C'est souvent celle des idées qui est goûtée la première et qui guide infailliblement la bouche qui salive.

Nous marchons sur le goudron des villes, dans l'air délétère des autos, en regardant l'éther obscurci par un demi-jour permanent... Nous pensons à peine, le temps est occupé, les mouvements du corps et ceux de l'âme sont planifiés depuis toujours, on produit bien des vies à la chaîne, par division des tâches, et les usines tournent matin et soir, la nuit les dimanches et puis les jours fériés.

Sur quoi marchons-nous? Sur la structure intangible et pourtant efficace d'un système économique au comble du raffinement. La structure nous guide, elle donne forme à nos énergies, à nos expressions, elle produit les moules où seront récupérés toutes nos fulgurances, nos agacements, nos rêves et nos espoirs, enfin tous nos efforts. La toile invisible pave le trajet de nos pas, dicte notre itinéraire. Vous êtes-vous demandé si vous auriez fait tant de fois la même chose, répété le même circuit circadien toute une vie durant, si vous en aviez le choix? Mais pour pouvoir répondre à la question, il faut être déjà capable de penser en dehors des cases, de s'extraire de la toile qui formate nos caboches comme des disques durs où dorment les programmes idéologiques, comme de bons programmes itératifs, dont nous suivons les instructions, déroulons les boucles, remplissons les fonctions.

Peut-être quelque chose: l'air du temps, une chanson singulière, la vidéo d'un internaute, un coucher de soleil, le murmure d'un arbre à vos côtés, ou l'article d'un blog, vous fera dérailler un jour. Dérailler pour de bon. Et le programme aura planté. Il restera le curseur clignotant sur le fond noir de la console, attendant, votre action, l'instruction, tout ce que vous aurez l'idée de lui faire afficher sur sa surface d'être, l'écran de ses possibles. Segmentation Fault: et après?