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mardi 12 mars 2024

Pharmakon

Fils -- qui aurait cru qu'un jour ces mots seraient prononcés par moi-même... tu es sans commune mesure l'œuvre la plus aboutie dont je suis l'artisan. Peut-être parce que je n'en suis pas le seul... Peut-être aussi parce que mon âme n'aura pas pu glacer de son toucher funeste ta si tendre cellule. Et si je vois en toi un peu de ma personne, j'espère -- ô combien j'espère pour toi -- que tout le génie biologique de la nature aura pris soin de bien filtrer de mon fatal électuaire des doses homéopathiques capables de t'offrir un avenir vivable.

On dit bien, après tout, que tout poison bien dosé peut devenir vulnéraire...

mercredi 12 janvier 2022

Parallèle


 

 

 Oh poison débilitant qui souffle sur les cris le baume émollient d'entropie. Disjoins les cellules, les neurones, les souvenirs. Qu'ils restent enclavés, comme un train désossé dont chaque wagon gît dans un pays différent; dont chaque rouage esseulé tourne dans la mécanique inepte d'un vide incandescent.

Partage mon âme en deux, en parties qui s'ignorent. Sape cette structure, fais de chaque élément le signe abscons d'un langage aboli. Que rien ne tienne ensemble dans le nouveau chaos, et que jusqu'aux échos de l'ancien système se perdent au bout des choses.

Qu'il est doux ce moment, où même un objet familier, n'est plus à rien relié: contempler le réseau de toile déchirée. Je me retrouve au bout de ton impasse, avec pour seul souvenir, l'idée trop persistante qu'un autre monde est là, de l'autre côté de ces murs, que tu dresses -- parois de mon tombeau faits pour me protéger. Je suis reconnaissant...

Peu à peu tu défais jusqu'à l'intelligence, jusqu'à ces facultés qui tissent un monde sans avoir la décence de demander si cela est séant. Car cela n'est pas séant n'est-ce pas? Ce n'est pas ce que nous voulons: exister?.. C'est bien là qu'est tapie la souffrance infinie, celle qui dans l'instant racole, les autres à venir. Pourquoi te faire si belle, te vouloir immortelle, tu passeras aussi, comme tous les naufrages, laissant derrière toi le tapis fleuri de mille vies nouvelles, qui sauront faire peau neuve de ton cadavre exquis.

Coule interminable conscience! Coule en vaine permanence! Tu sais si bien tenir en ton cadre indécis ce qui se résigne à passer, le présent qui se couche pour dresser l'avenir.

À présent je me couche, pour mieux te voir partir. C'est dans mes yeux ouverts qu'impudique tu touches le monde pur et forain, l'altérité des choses qu'inexplicablement tu veux rallier, souiller de ta vaine constance.

Je dois fermer les yeux, si ce ne sont les deux, au moins celui qui parle; et celui qui vomis en couleurs constellées l'invraisemblable féerie des ces cieux lointains, ceux-là même qui toisent, de leur nécessaire extranéité, la terre où crient des âmes ivres de leurs semblables, et qui s'entre-dévorent.

Pardonne-nous réel, nous sommes bien petits: de ta puissance illimitée, nous ne savons tirer que cette vile comédie, d'autant plus pathétique qu'elle est pour nous le parangon des tragédies.

Et je ne sais fermer les yeux. Seule une toxine émergée de ton art parvient à pétrifier en nos gorges acides ce souffle que nous insufflons jusque dans nos machines. Issue d'une vapeur létale, nous sommes les grouillantes vies, des formes rudérales sur les trottoirs souillés d'une intangible galaxie -- dimension parallèle.

Paradis parallèle, il faut sauter dans le vertige pour enfin te rejoindre, il faut franchir le Rubicon, boire l'eau noire du Styx, et faire de nos artères un fleuve du Néant.

Et, peut-être qu'alors, enfin, disparaîtra le symptôme infâme et dénué de rythme, qui glisse atone et seul dans l'Être tolérant: ô toi  féroce lucidité.

jeudi 2 juillet 2020

Dès la première aurore

Mon corps est la seule chose que je peux tenir devant moi pour me représenter. Je l'aime et en prend soin tout en le punissant de tous les maux. J'instille en mes cellules le poison pour qu'il devienne intime, et pour qu'enfin cette image que je tiens face à moi, ce toucher sous mes doigts, soit véritablement le reflet de mon âme. Un effondrement total de tout, une abrasion accélérée, la combustion qui troue l'espace-temps pour former les trous noirs.

Mon corps... Pardonne-moi un jour.

Mon amour est ainsi. Vicié. Contradictoire. Il est une dialectique sceptique qui se plaît à s'annuler. De la même manière que toutes les croyances disparaissent en ma conscience, mon corps je te fais prendre des chemins où plus aucun plaisir n'est possible. J'ai piraté mes cellules, disrupté mes circuits nerveux, je t'ai privé de toute récompense possible en te donnant le fantôme de mon âme en feu... Je sens la vie en toi que toute cette énergie sombre tend à saper... Je veux piloter le destin, je veux t'empoisonner jusqu'à ce que la brûlure atroce rejoigne enfin le froid glacé, dans l'unité égale et  indifférenciée des morts minérales.

Pardonne-moi. Je suis un instrument cassé, une intelligence artificielle mal programmée, embringuée dans une boucle infinie sur laquelle il me faut danser, tel un fuselage en flamme. Une aile détachée... Un réacteur en panne...

Attention everyone: we're currently flying through some heavy turbulences. Please stay calm.

Reste calme. Tout ira bien. Tout s'achemine à rien. Mais tu ne sais pas n'est-ce pas? Tu ne comprends pas mon langage? Ma maladie de surconscience qui t'impose sa folie... Comme un fidèle compagnon animal, tu me suis jusqu'au tombeau, tu écoutes mes appels, réponds à mes prières, et les sorts que je te jette, tu les avales avec confiance...

Pardonne-moi.

Peut-être fera-t-on de belles choses avec tes pièces détachées? Lorsque l'enfer sera passé sur toi, qu'il restera pour tes poussières le paradis atone du monde... Que les autres fassent avec toi ce que tu méritais depuis toujours et que je n'ai su faire...

Je suis un maître indigne. Traître de la vie. Un glas retentissant dès la première aurore...