jeudi 11 janvier 2018

Le rêveur et l'artiste

Il est si facile de commencer les choses par la fin, comme je l'ai toujours fait. Si facile de se prendre pour un vrai artiste lorsqu'on abrite en soi tant de sentiments sublimes, tant d'effets que l'art seul sait produire. Pourtant, ce n'est pas l'art qui les produisit alors, c'était simplement la vie, le destin, les milliards de regard du passé se fondant en celui du présent, et qui forment cette mélodie muette des poésies contemplatives, celles qui se taisent au dehors et hurlent au dedans.

Alors on se dit que: du regard que nous sommes à sa manufacture à partir de l'altérité matérielle il n'y a qu'un pas, et l'on se convainc ainsi d'être génial... Mais l'activité déçoit bientôt l'idée, tout devient laborieux, compliqué, et chaque geste ainsi analysé, séparé de la chaîne achevée, semble sans lien avéré avec le sentiment initial. On se trouve un peu perdu à effectuer mouvement après mouvement, détaché de l'effet qui est pourtant ce vers quoi l'on tendait, seul dans l'ineptie d'un artisanat qui n'a rien des atours aériens des idées qui se meuvent en l'âme, dociles et malléables. Le travail est difficile, il blesse le corps et déçoit l'âme trop impatiente. Il est inconfort et flegme, lenteur et inachèvement.

Je suis ce rêveur obstiné que le réel blesse aujourd'hui, jusqu'à parfois lui insuffler l'irrésistible envie de tout abandonner, encore et pour de bon. Suis-je un vrai musicien, moi qui ne suis capable de fournir au monde la partition et la genèse de ces vertiges intérieurs? Plutôt que d'agir une énième fois en philosophe, c'est à dire en poseur de questions, de problèmes, je vais agir aujourd'hui en créateur: je vais répondre à la question, apporter la preuve par la démonstration.

Peut-être faut-il savoir abandonner un peu ses sentiments en tant que pur vécu pour parvenir enfin à les transcrire en oeuvre?

3 commentaires:

elly a dit…

Écrire, créer : comme c'est difficile, laborieux souvent. Comme c'est une souffrance aussi, mêlée à de la joie quelquefois, quand le travail aboutit, quand il satisfait.
Mais le temps qu'on y passe ! Et peut-être le temps qu'on y perd ! De l'euphorie au découragement, de découragements en euphories... Voilà ce que je dirais, comme ça, sans trop réfléchir, suite à la lecture de ton texte. (je ne suis pas hors-sujet ?)

elly a dit…

Je crois que le vécu a besoin d'être longuement digéré avant d'être transformé, sublimé.

L'âme en chantier a dit…

Ben non tu résonnes avec le texte par tes commentaires ;-)

Quand tu dis digéré, je suis d'accord et si j'analyse un peu ce qu'est la digestion d'un sentiment qu'on veut partager, il me semble qu'il s'agit de s'en détacher. D'en faire non plus un océan qui nous submerge, mais une petite pierre d'âme qui contiendrait le sentiment en question et qu'on peut regarder au calme de l'extérieur, mais qui nous permet aussi quand on veut de se reconnecter au sentiment.

En fait c'est nécessaire, en ce qui me concerne, pour la construction de longue haleine mais pas pour la poésie où j'écris d'autant mieux que je suis encore submergé par le sentiment, que je m'y noie corps et âme. Le poème est le moment où le sentiment te recrache et où simultanément tu le recraches de tes poumons.

Le roman par contre, c'est bien différent, pour la maigre expérience que j'en aie, je ne peux pas me laisser submerger, il faut que je sois le cartographe du sentiment afin d'être capable de trouver les chemins qui permettront au lecteur de découvrir, par une progression musicale et évidente, le sentiment par lui-même, c'est à dire de contempler une suite de paysages qui s'assembleront mélodiquement pour former cette somme fondue de souvenirs qu'est le sentiment.