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samedi 4 mai 2019

[ Terres brûlées ] Fugue en mineur du corridor honni



C'est un passage, un étroit corridor. On ne fait qu'y passer, du moins c'est bien ce qu'on se dit, au départ, puis encore un peu après, et toujours beaucoup, beaucoup plus tard...

C'est un couloir qu'on traverse et jalonné de portes. Ces portes restent à perpétuité closes. Non qu'elles ne daigneraient s'ouvrir, si une quelconque force les poussait, mais parce qu'aucune main n'agrippe leur poignée, parce que seuls des regards se heurtent à leur surface - ces mêmes regards qui bâtissent les mondes...

On flâne dans la galerie, ornée de tableaux, de maints objets de décoration, autant de symboles qui jonchent les mètres cubes de l'attente, celle-là qui doit nous amener quelque part... Qui devait nous amener ailleurs... Mais où, se souvient-on seulement du lieu?

Au départ, chaque symbole possède son interprétation, et le monde s'agence de manière holistique pour former le tout d'un univers, c'est à dire un divers uni par le regard. Il suffit que celui-ci change et les motifs alors brodés se transforment eux aussi, le couloir n'est plus le même bien qu'il n'ait pas changé. L'âme n'attrape que des souvenirs.

Le long couloir ne tient son unité qu'à son utilité: il est et demeure le passage entre un lieu et un autre, entre un passé et un futur. Il ne se ressemble que par cette fonction, et pour cette raison précise chaque chose est couloir en puissance.

Cette femme, ce livre, cet emploi détesté, cette noble amitié, cette ville amusante et ces passions fugaces.

Tout cela rentre dans le cadre du couloir, s'agence et se colore en fonction d'une attente, d'une fin qui ne s'en vient jamais.

Soudain, on passe face au miroir, et là notre regard devient le reflet de lui-même. Nous nous apercevons avec effroi que celui-ci, aussi, est un symbole attendant l'exégèse, et que ce moi saisi par la rétine n'est qu'un ornement transitoire, un prétexte à quelque autre, un leurre propitiatoire.

Lorsque les yeux se ferment enfin, il est parfois trop tard, le couloir est la vie, et le monde qu'on attendait, celui sur lequel on penchait son coeur impatient, est demeuré à un pas de côté, dans la note suivante, la seconde à venir.

On a joué à contretemps, dans l'interlude, sans le savoir sa propre fugue.

Et après tout tant pis, si la beauté s'en va par delà ce qui est, comme un rai de lumière fuyant qui montre dans les cieux un devenir possible.

mercredi 24 avril 2019

[ Terres brûlées ] Érèbe



Il est un lieu en soi-même
Aux murs faits de ténèbres

Un dieu dort c'est Érèbe
Dans l'écrin des dilemmes

De cette chambre à laquelle je n'accède
Grondent des sons qui désormais m'obsèdent

Derrière la porte close
Les pétales sans couleur
De mes fleurs non écloses

Un Dieu dort c'est Érèbe
Qui fait fondre nos masques en un fleuve de plèbe

Personne... Tant que rien ne remonte
Qu'en l'abîme s'étouffe une mer que démonte

L'énergie sans limite une source empêchée
La tant avide vie que l'on veut entraver

Il est un lieu en soi-même
Où gît la vérité

Celle de tout un chacun
Le patron de notre âme
La clôture du chantier

À rebours du chagrin
Qui nous fait étouffer

Tandis que la pièce résonne
Me perce de ces traits enflammés
De ces charmes harponne
Un désir entamé

Quelque chose s'écoule
Un sang noir qui déroule
Le collier d'une vie
À son être ravi

Un dieu dort c'est Érèbe
Aux tréfonds de mon âme dans le lit de ma sève

Il est des dimensions qu'on peut seulement sentir
À un cheveu de soi, malgré tout si lointaines
Comme ce souffle de lyre
Jouant son théorème

Là-bas, où je ne peux aller
J'aimerais revenir
Galaxie spiralée
Où je veux tout cueillir

Car un Dieu y dort
Y rêve ma vie
Celle que j'ai sentie
En de précieux accords

Je souhaiterais revenir
Où le Dieu d'or et d'ombre
Rêve mon avenir
Sous le vieux masque sombre

Je ramènerai courageux
Du chaos imprenable
L'algorithme d'un jeu
Qu'on dit indéchiffrable

Je ferai se toucher chacun des deux pôles
Trouverai le chemin qui mène aux alizés

Je tracerai la route vers l'autre dimension
À travers les ténèbres je bâtirai les ponts

Je réveillerai le Dieu qui me ressemble tant
Ouvrirai grand les yeux où s'écoulent le temps

J'aurai peur, je le sais
Néanmoins je vivrai

Mon Dieu si vous saviez comme j'aspire tant
À ce que la vie ne soit plus un long rêve

lundi 1 avril 2019

[ Terres brûlées ] Le grand exorciste



Maison de paille au toit de tôle
Et lumineuse maille quadrillant les deux pôles
Réveil nocturne, dans le silence des pleurs
Pour le motif absurde que mourir fait peur

Horizons verticaux des abysses
Où se dessine en créneau l'abscisse
Escalier escarpé qui plonge aux limbes
De ténèbres informes que je regimbe

À affronter un jour
À saisir dans les sens
C'est en surface que vit l'amour
Et nulle chose n'a d'essence

Je flotte là et voilà ma sirène
Visage qui me suit de l'enfance
Au présent qui la traîne
Comme antique rémanence

De quelle vie abolie t'en viens-tu
Pour être là quand tout autour s'est tu
Tes yeux de chat tes joues creusées
Sont à mes sens comme imposés

Tu nages et je te suis par l'escalier
Tu es de l'eau je suis de l'air
Étrange mais il me faut voler
Vers cette ville familière

Ô toi cité que je n'ai jamais visité
Je te connais dès que mes yeux se ferment
Je ne sais qui de toi ou de moi nous a donc enfanté
Mais c'est ici que ma liberté germe

En haut, le soleil se réfracte
Et tombe comme un puits de lumière
Sur les bleus sombres de la mer
Et l'amas des cellules qui font pacte

Je me réveille le coin des yeux humide
Il fait noir et j'ai le coeur languide
Dans cette chambre qui n'est pas mon port
Mais le navire qui me condamne à mort

Terre de mon enfance
Du lit mouillé de mes errances
Ce rêve était mon grand exorciste
Expurgeant de mon âme le monde triste

Réseau complexe, tubulures lumineuses
Image de mon espace-temps
Je me demande si tu es menteuse
Lorsque tu m'offres un sein latent

Moi l'enfant qui tête le songe
Absorbant docile comme l'éponge
La couleur du Grand Totipotent
Qui dégorge en couleur outre-temps

C'est un récit sans histoire
Qui lie les lettres et narre
Ce qui ne peut être dit
Qu'au chant de mélodies


Sur l'étale et sombre mare
Qui naît de mon destin déteint
Flottent les fleurs pourpres de mes hématomes
Formant le macabre bouquet de ces vies monochromes

C'est là le sang de l'âme, où vacille la flamme
En encre noire imprimée qui reflète abîmé
Le mobilier infâme
D'un univers qu'en vain je m'échine à rimer

jeudi 28 février 2019

Un homme à la mer

J'embarque à bord d'une barrique imbriquée dans le bout d'émotions qu'est la grand-vie.
Bien sûr le bois craque et tous genres d'émotions viennent lécher les bords de mon navire,
Mais tout avance quand même, envers et contre tout, malgré la claque des embruns et les destins du piège.
Oh pardon! Les pièges du destin... Ma langue fourche et prend parfois les mauvais chemins.
Mais sur cet océan courbe, toutes les directions mènent à l'horizon
C'est à dire au présent qui se défait d'enfanter.

J'habite un grand carrefour d'où je surveille les futurs possibles
J'envoie des ombres de moi-même me conter l'indicible
Tandis que le flux mouvant du temps sans cesse prélève son impôt
Sous la forme de liens qui se défont, de vis qui se détachent, de fragments qui pourrissent, de pétales qu'on arrache.
Et le monde s'érige sur celui qui s'écroule.

J'habite un noeud de glyphes aux profusions sémantiques
J'y puise l'eau fraîche des nymphes qui arrose mon âme
Et donne à ma mélancolie la forme des poèmes
Où se déposent en alluvions mes larmes de bohème.

mercredi 9 janvier 2019

Hors du vieil alphabet

Pessoa écrit un jour qu'écrire était sa manière d'être seule. Je crois que je peux m'identifier à cela. C'est aussi ma manière de tuer le temps, d'accompagner l'écoulement de son flux dans la chambre vide du futur. J'écris comme on ponctuerait l'existence, pour se montrer que quelque chose s'est bien passé, que quelque chose a bien eu lieu, malgré l'inaction ou le manque d'engagement, malgré le refus de choisir et l'infinie délibération. Faut-il exister, oui ou non? Être ou ne pas être? Et qui a déjà sérieusement répondu à la question? Une chose est sûre ce n'est pas moi, moi qui peint sans relâche chaque lettre de cette interrogation sans âge, moi qui trace si passionnément la courbe des points d'interrogation, le sillon de ces lettres...

Il ne faut pas que la musique cesse. Et pourtant, je sais que je cesserai d'écrire, bientôt, d'écrire pour ne rien dire, pour simplement chanter le temps qui passe, et le sentiment d'exister. Le silence qui déjà s'allonge entre les battements de mes frappes sur le clavier, annonce celui, trop long, qui viendra. Celui qui ponctuera sans marque et sans nul alphabet, le sommeil qui ne viendra pas, le manque de volonté, l'hésitation, le doute et les ruminations sans fin d'une raison qui cherche à se résoudre dans l'acte de défaire chacune des prémisses du raisonnement.

Musique puisses-tu ne jamais cesser. Et si la vie refuse de tenir dans le vieil alphabet, alors que mon coeur, que mes pensées, que mes idées, battent pour toujours le tempo du destin, qui va tambour battant. Dans le bruit ou les silences, il y a toujours quelque chose qui passe et s'en va son chemin, comme d'ineptes actes illustrent les destins sans signe, qui gisent bien en-deçà, au fond des mélodies qui ne se chantent que pour soi.

Ces mots ne sont rien, rien d'autre que le tapotement de mes doigts sur le bureau d'un soir qui s'étire. Et que sait-on de la musique entendue, lorsqu'on observe quelqu'un battre d'ennui le rythme qu'il a en tête? Tirer de ses abysses sans fond, à l'aide des formes qu'adoubent les grammaires, voilà ce que c'est qu'être un pécheur de vide. Nous cherchons tous à notre manière à tirer des vacuités intimes l'objet fini et flatteur qui justifierait à lui seul le fait que nous restions sur le bas-côté de nos vies, à observer le monde nous passer au travers sans trop savoir comment, sans trop savoir pourquoi.

No country for all men

Le temps est mon obsession. J'ai l'intime conviction qu'en lui réside l'explication achevée de l'existence humaine. Tout est temps. On ne peut reconstruire ce dernier à partir d'une succession d'espaces, tout comme on ne peut reconstituer le mouvement à partir d'une suite de position. Le temps qui unit les états doit être de nature fondamentalement différente de l'espace. Et comme deux substances ou entités ne peuvent entrer en relation si elles sont de nature absolument différente, je ne peux qu'induire que l'espace est un effet du temps, un genre d'épiphénomène.

Je suis une durée, une concentration d'instants et de moments qui tissent le réseau de mon identité présente, de ma conscience. À celui qui pose un regard lucide sur cet état de fait, il ne peut y avoir que mélancolie. Car c'est toujours le passé qui se penche sur l'avenir.

À quel instant de ton effort, as-tu laissé glisser les moments forts de notre amour? Tous ces moments qui parvenaient, par leur entéléchie, à réaliser l'achèvement d'une idée, et donc à faire d'une durée, une icône hors du temps? Je ne cesserai jamais de maintenir en mon présent lucide la somme fondue de ces instants passés qui soufflent sur le cours des choses une couleur qui est la mienne. Tu as peut-être oublié les tremblements et les pleurs dans nos étreintes, le vécu extatique de ces intervalles d'amour parfait, mais je les porte en moi, à tout instant, en tous points de l'existence.

De ce passé nul retour en arrière n'existe, et le chemin qu'on emprunte yeux bandés n'empêche pas qu'une palinodie incontrôlée injecte par moments, dans le cours du temps, sa sève nostalgique qui fait de nous âmes errantes, les vagabonds sans logis, qu'un sort tragi-comique chasse sans relâche de toutes les demeures.

mardi 16 octobre 2018

Le ruban déchiré

Sur la bordure ébréchée d'un mur, je marche comme sur le fil aiguisé d'une lame surgie du néant. L'iridescence d'une goutte de rosée me renvoie ses reflets chromatiques. Je suis quelque part, en villégiature, empaqueté d'un long bruissement de verdure. Ma vie n'est que le bruit du vent qui passe et fais se mouvoir les feuilles mortes qui d'un souffle renaissent. Je m'en vais moi aussi, virevoltant ça et là, papillon-chien sans laisse, s'abandonnant au temps. Tout n'est que bruit, et le silence que je m'invente n'est que l'absence d'autres bruits sur le fond incessant de celui qui me suit. Ce son que j'entends tout au fond du silence, me fait comme un sillage où s'effacent mes songes. Sur la grève du réel, après la marée haute, on pourra bien se demander: "quelque chose est passé?"

Je m'adapte assez mal au réel, j'ai tant besoin de répéter. Que ne m'a-t-on formé avant l'entrée en scène... J'aurais eu plus de panache, du moins aurais-je su comment mieux l'exprimer. Mais non je marche tant bien que mal sur mon fil aiguisé, l'hélice de mon destin comme une ligne lâche entre deux incertains. Je suis digne d'être nommé lâche, sinon j'aurais déjà sauté. Indigné d'être un homme hélas il me faut exister... L'enfant qui laisse chuter de ses poches tous ses charbons de rêves, n'est qu'un arbre sans sève. Il fallait sauter petit, mais c'est trop tard, tu as trop insisté... Épris de ta misère, tu n'as pas su sauter... La peur, comme un sirop d'érable t'as vite siroté. Par quelques gesticulations inesthétiques, tu as tenu coûte que coûte sur le fil indocile de l'existence humaine. Les mots, sais-tu, font de piètres habits, ils sont le vêtement de celui qui trop ment. Ce ne sont pas trois arabesques noires sur fond blanc, qui nous feront accroire que tu ne fais pas semblant. Tu as la forme humaine, trop humaine. Celle des erreurs, du manque de volonté, cette délinéation vilaine d'un ruban déchiré.

Le ruban vole au vent, chaque morceau miraculeusement relié, ne tenant qu'à un fil, au reste du bandeau. Tandis que les premiers morceaux, lentement s'effilochent, les Moires viennent rajouter un peu plus de tissu. Les couleurs se font plus tristes, les motifs monotones, mais une Clotho insatiable arrache du néant le gris de ton présent. Encore, encore... Mais une couleur essentielle manque au vieux vêtement, les tons sont bien trop pâles, tu n'es qu'un mort vivant. Encore, encore... Pourtant c'est bien assez non? Ne vois-tu pas que quelque chose est mort depuis l'ultime aurore?

Sur la bordure ébréchée d'un mur, le soleil comme un projecteur cruel dessine ce vain contrefort: l'ombre déchirée d'un corps sans âme, la tragédie d'un crépuscule.

dimanche 9 septembre 2018

Bientôt...

Il n'y a plus rien pour me guérir de ce destin manufacturé, ni les poèmes, ni la musique, ni quelque drogue inconnue ne suffiront à me guérir de mes semblables. Telle une terre souillée par les engrais chimiques, une terre qui s'éteint, j'exhale un désespoir nocif dans ma cellule à crédit. Du moins ne fais-je de mal à personne d'autre qu'à moi-même...

Les jours s'enchaînent telle une suite infinie d'humiliations quotidiennes, la vie de l'employé s'étale monochrome et bien rangée, comme des rails se perdant au loin d'un futur indifférencié. Il faut partir me dis-je, partir et ne jamais revenir au pays où les humains ont naturalisé la servitude, et se réjouissent même qu'on leur dise où aller et que faire du lever au coucher d'un soleil bénévole. Qu'est-ce que je partage encore avec ces gens? Avec leurs pensées? Leurs convictions, leurs croyances qui se sont phénoménalisées sous la forme d'un monde injuste où chaque vie n'a de valeur que par l'énergie qu'elle applique à se vendre au projet toxique de la civilisation.

Que me retient donc de prendre ma guitare et d'aller par les rues en jouant, espérant récolter quelques pièces, afin d'acheter à des chaînes de grande distribution une nourriture délétère et quelques litres de Styx vendus en canettes... Je pourrais déclamer mes poèmes et peut-être quelqu'un entendra, peut-être que se phénoménalisera aussi cette intériorité que je traîne comme une planète extravagante et exotique au sein du territoire où je suis détenu...

Peut-être me faut-il descendre encore plus bas dans les sous-sols du désespoir pour renoncer véritablement à faire miens ces dogmes qui me font souffrir et dont la logique si vulgaire me retourne de l'intérieur dans une sourde révolte qui s’émiette en quelques mélodies et songes musicaux. Descendre encore plus bas, à la limite extrême, où se développent les maladies modernes, les cancers et autres dégénérescences. Le monde s'est immunisé contre l'injustice, les gens ne la ressentent plus. Je pourrais avaler des pilules et vire heureux parmi eux, probablement, mais je préfère sentir la douleur qui se fait jour après jour de plus en plus vive, je préfère entendre et sentir me faire vibrer les entrailles le hurlement de mes cellules, la complainte en mineur de mon âme assaillie.

Bientôt je partirai d'ici, et je n'aurai pas honte! Je vivrai bohémien, me priverai de tout, comment cela pourrait-il être pire que de se voir ôter toute dignité, comme un chien en cage à qui on apporte tout de même de quoi manger; parfois un vieil os à ronger, afin qu'il supporte d'endurer ce destin, avec suffisamment d'espoir en poche pour garder la curiosité de prolonger son souffle jusqu'à l'aube prochaine.

dimanche 6 mai 2018

Ce que la mer reprend



Au-dehors les montagnes, les falaises aussi hautes que les âmes, et tout ce peuple aérien qui s'ébat dans le vent, mes trois princes persans tout criblés de crevasses.

Et les cimes se désagrègent, s'effondrent dans la mer, et nos voeux oniriques, doux si doux tantôt, s'abandonnent à l'amer.

Il n'y a plus rien à désirer, et tous les songes sont des mouroirs, où passent les secondes qu'une révolte féconde aurait pu faire valoir. Mais dans la lucarne d'un rêve, ou celle d'un écran, s'écoule en vase-clos la sève, et s'évade le temps.

Nous en soupons des désirs manufacturés, qui pèsent plus lourd qu'un million de pavés. Je parle de ceux que nous ne prendrons plus dans nos mains, mais que nous avalons tous les matins, et qui nous appesantissent à l'illusoire nécessité de ce triste destin.

Là-bas, sur la grand mer où tout s'unit, je vois les grands navires de mes vaisseaux amis - mais les ennemis sont des amis qui se trompent d'ennemis - se perdre jusqu'à l'horizon et recouvrir les flots de leurs bannières unies. Qu'avons-nous fait... Tous attendant le retour du roi, badauds à quai qui cherchent leurs idées.

Les idées ça se broute, et on en a brouté, juste à coté de là où paissent les vaches, nous existons aussi dans une sorte d'élevage. Les princes sont partis, nous sommes à la merci.

Il n'y a pas le choix peuple de la mer, tu as toujours été de terre, tes voiles te font face et flottent au gré des vagues mais tu es sans bateau. Tu savais choisir autrefois, mais aujourd'hui tu élis d'autres rois, qui taillent ton royaume à la mesure d'une cellule. Entre les barreaux de la loi tu passes ta tête résignée, et rêve du dehors. Celui-là même que tu peins sur les murs qui t'entourent, et les images animent la surface d'écrans qui sont autant d'autres cellules où tu t'encastres plus avant.

Les montagnes sacrées se dissolvent et retournent à la mer. Tout est sortie de son sein, par un verbe et une volonté n'étant nullement divins. Il suffit d'un seul choix pour que la forme advint, mais aujourd'hui la mer va tout reprendre enfin, et sur un palimpseste d'ondes tout recommencera. Elle attendra pour ça que tes arrière-arrière-arrière petits enfants se souviennent alors, de l'impondérable trésor qu'un jour tu oublias...

Pendant ce temps s'ourdit l'humain nouveau: horde de golems démoulés des labos, arpentant les sentiers meurtris de la Terre comme une armée de mouches autour de la blessure. Et toute la cohorte glacée de ces produits de l'ombre chanteront la gloire d'un Dieu polymorphe et dénué d'odeur. Infertiles êtres n'enfantant que la mort, cette mort qui nous fait si peur, mais qui n'est que pourtant, la possibilité des vies.... Et d'autres vies viendront.

Mais tandis que je cherche mes mots, comme on sonnerait des consciences, certains quêtent le prochain milliard, avec une seule et grosse main dans six milliards de poches. Dans mon sous-terrain personnel, au chaud de mon métro, j'observe vos regards qui se détournent sur l'innocent voisin. Le voleur est toujours celui qu'on a sous les yeux, c'est toujours le voisin - sinon qui donc bien accuser? Et nous poissons malins, nageons dans les eaux troubles, où pissent les pêcheurs sans fin qui percent nos chairs affamées de meilleurs lendemains.

Dans la débâcle qui fait tout pour s'ignorer, j'en vois qui plantent dans la mer, de futurs continents, pour de précaires progénitures. Mais n'est-ce pas trop tard? Lorsque la banquise s'épuise de tenir haute et droite, et veut se reposer dans un dernier cocktail, pour tout recommencer. Dans un milliard d'années. Et cette absinthe indigeste sera siphonnée de loin, par d'impudiques observateurs qui boiront de leur télescopes martiens les derniers soubresauts d'un berceau qui s'éteint.

Il y a ce que la mer donne, et puis ce que la mer reprend.

lundi 5 février 2018

Sur le dos des torrents

Après avoir dévalé le lit du temps sur la surface des torrents ivres, grisé par la vitesse et l'absence de mémoire qui conjugue chaque sens au présent simple et absolu, me revoilà à quai, accroché à l'ancre des mots qui tiennent en leurs liens les moments consumés.

Dans toute expression artistique gît le terrible désir de retenir dans la forme des signes un peu de ce qui s'écoule hors de nous, un peu de notre essence siphonnée par le temps. Le présent est sans savoir, tout y est vérité, par conséquent la vérité n'est plus. Le vrai présent ne trace pas de cartes savantes de la psyché, ne rédige aucun curriculum vitae. Mais ce présent sans musique est interdit aux hommes, pour qui chaque seconde est synergie des précédentes, qui fait de l'existence une musique imposée dont seules quelques toxines peuvent nous prémunir. Qu'à cela ne tienne, s'il faut tricher nous tricherons, pour voguer un peu plus sur le présent muet, sans étendue et sans durée.

Plus tard, quand le corps épuisé se reposera dans quelque crique, au détour de la vie qui s'écoule toujours, permanente dans l'impermanence de son flux, il sera toujours tant de ramasser quelques branchages et de bâtir un abri pour la nuit à venir. Quelques signes pour prétendre qu'y gisent encore les gestes effectués, les sentiments ressentis, les images que notre palimpseste de conscience ne saurait conserver.

Moi, lorsque cela m'arrive, je me réfugie dans la banque des mots, j'y épargne mes battements de coeurs, j'y place des souvenirs qui n'ont pas d'existence autonome sans leur support sacré. Et je spécule tant sur l'avenir... J'invente des scénari, j'anticipe, je calcule de science exacte ce que sera ma position, ma direction et ma vitesse pour les jours prochains. La vie d'un homme sans désir est un fondement éprouvé pour une science exacte des présages, des rêveries prémonitoires qui ne prédisent rien, rien d'autre que le roulement monotone d'un corps soumis à l'inertie...

Heureusement que nous avons les signes qui redoublent la mémoire, tantôt la lubrifient, tantôt lui tendent mille pièges et sous couvert de parler du passé, placent sous les yeux, la surface réfléchissante de leur vacuité, où se saisit de son reflet l'homme apeuré qui s'observe et voit vieillir ce corps - tandis que le troisième oeil, lui, semble avoir toujours été là, égale, de toute éternité. Cela peut-il cesser alors? Il ne restera que des signes abscons et vides, autant de miroirs où se rencontreront brièvement d'autres âmes solitaires, qui croiront voir l'autre dans leur propre image et s'imagineront alors, un bref instant, que tous les hommes sont semblables, qu'ils portent tous en eux comme une punition divine - ou comme un don du ciel - cet oeil infatigable, éternelle vigie qui surveille et juge jusqu'à nos moindres souffles.

Construire un abri pour la nuit, demain il faudra repartir. Peut-être que d'autres échoués là par la suite, retaperont la cabane, resserreront les liens qui nous unissent au passé pourtant si différent de nous déjà... Peut-être que tout ça servira à d'autres.

Bientôt il faudra de nouveau descendre le torrent.

dimanche 28 janvier 2018

Le chant des chrysanthèmes



Tout juste effeuillé
Mais déjà si froissé
Je m'enfuis dans le pale du ton des fleurs fanées

Qu'on observe danser
Mieux que ne font les pas
D'un destin qui hésite et fonce à son trépas

Effroi si familier
Du chemin d'existence
Qui s'achève en déroute et s'effile en absence

Poursuivre son errance
Avant tout pour soi-même
Suivre l'écho mourant d'un terrible "je t'aime"

Accorder sa parole
Aux mélodies usées
Qui parlent de ces joies par l'alizé soufflées

Allons donc...
Conte extravagant
Que l'on s'invente divagant

Tout près, si près
Du grand néant des ans
Où dort, peut-être pour toujours, ou bien pour un printemps

Ce que l'on a été
Et qui ne vaut la peine
De cette écume vaine que feront nos mots

Sur notre peau quelques écrits sans thème
Formant un incipit au chant des chrysanthèmes

jeudi 18 janvier 2018

Le semeur de poèmes apatride

Je vais dans l'écriture comme dans un pays où je retournerais parce que j'y ai ma bien aimée, et des promesses pour moi-même. De mon vivant, je n'ai pas tenu toutes mes promesses, contrairement à d'autres pour qui la parole est indexée sur le réel même, est aussi matérielle que mille chaînes.

Chaque jour je reviens ici, dans ces parterres de fleurs fanées que sont mes rimes, têtes coupées d'hydre Mélancolie. J'y ai mes habitudes, j'y traîne dans l'attente d'un quelconque miracle, dans l'attente que quelqu'un, un jour, me tape sur l'épaule et me dise: "tu viens souvent ici? Moi j'ai découvert cet endroit il y a peu, par hasard. J'y viendrai tous les jours désormais..."
Bien sûr je ne répondrai rien, cet espace et ce temps que je file sont ma réponse à ce genre de questions. Peu importe que l'autre vienne ici dans sa bulle, tant qu'il existe une interface entre les mondes, alors il n'est de solitude réelle.

Je ne suis pas quelqu'un de difficile, voyez ce sont souvent les mêmes couleurs que l'on trouve en ces cieux, les mêmes pluies les mêmes gloires qui percent les nuages. Il faut des rives bien fermes à celui qui s'écoule plus vite que le temps - jamais ne se retrouve dans le reflet des choses. Un seul rythme vous donne tant et tant de nuances subtiles, tant de petits détails où éclosent des mondes.

À tous les jours se baigner dans la mémoire des mots, toujours vérifier que point ne change le goût de l'eau, il m'arrive, à quelques rares occasions, la surprise qu'il soit réellement autre. Je sais alors que même les poèmes ne peuvent tenir en leurs liens le vécu qui s'en va. Aux signes, il faut associer d'autres signes tel un petit Poucet, afin que la conscience soit guidée pas après pas, sans faute. Travail titanesque et impossible à la fois. Tous les jours malgré cela, je sème mes poèmes, comme on parsème de cailloux la route inempruntée.

Pourtant, dès lors que je rebrousse chemin, je n'en retrouve aucun...

Ni arrière ni avant pour les destins. Seule cette amnésie sans lendemain.

samedi 11 novembre 2017

Le sang noir



J'ai trouvé ce que je vais devenir
Ça me happe de plus en plus ça empire
À peine m'éloigné-je un peu
Cela m'attrape et m'aspire

Ils ont choisi les dieux
Mon destin c'est d'écrire
Tout ça n'est plus un jeu
Maintenant je suis vieux
Et il me faut choisir

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

On vous en a transfusé des litres
Votre sang est désormais un philtre
Qui court le long de l'alphabet
De ces veines par Verlaine imbibées

Dans le grand huit de vos artères
Où s'introduit le cathéter
S'opère la véritable osmose
Entre le rythme de la prose
Pétale froissé comme les roses
Et coeur usé plus vraiment rose
Par toutes les métamorphoses

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

mardi 17 octobre 2017

Le ciment et le sable

N'oublie pas, coeur solitaire, âme enclavée ou qui se croit comme telle, voire qui se croit damnée: tu as un pouvoir sur les choses; et tu peux faire s'envoler les coeurs comme une horde d'oiseaux sauvages. Tu es lié à tant de choses... À vrai dire, à toutes choses. Mais tu as oublié. Tu as vécu quelques années, cru apprendre certaines leçons, et le long flux du temps a érodé tes coquillages, pour en faire le sable de ces plages où tu te complais à échouer, inerte, d'un destin minéral et qui n'est pas le tien.

Tu as appris à apprendre et, malheureusement pour toi, point encore à désapprendre. Or ces deux processus sont pourtant les mêmes.

Avance-toi en courant dans les forêts peuplés et tous les bois vivants. Vois comme le monde répond à ton approche, comme les buissons s'agitent de ta visite impromptue, vois comme les membres s'affolent et cherchent à se mettre à distance du tumulte que tu produis. À chaque seconde, tes choix, tes gestes, tes actions, se répercutent sur l'ensemble du monde. Pourquoi donc préfèrerais-tu t'ensabler dans l'oubli, et devenir ce silence qui te pétrifie mais qui pourtant n'est rien, rien qu'une toile de fond pour tes chants infinis.

Laboure le silence et plantes-y tes graines de vie. Mouille le sable du temps pour en construire des châteaux, éphémères si tu veux, ou plus durables car le ciment est aussi fait de sable...

Tu as pris bien du temps à trouver ton chemin, d'ailleurs peut-être cherches-tu encore, cette voie d'or censée te porter à demain, comme si le vent lui-même t'avait fait sien. Et pendant que tu cherchais ta route, comme un enfant déporté, tu la traçais dans le sol, aussi sûrement qu'un magma qui dévale les pentes raides des volcans énervés. Peut-être cette route n'est-elle pas la plus rectiligne qui soit, mais il n'y a que des lignes droites pour qui ignore sa destination. Ce voyage que tu ne cesses d'ajourner était déjà entamé depuis le premier doute, à peine la première hésitation. Cette voie qui est la tienne, peut-être ne la vois-tu pas, mais c'est la voix par laquelle on te reconnaît dans l'univers où tu es.

Lorsque tu crois n'avoir rien fait, regarde toujours derrière toi, prends quelques minutes pour contempler, ces gestes que tu jugeais nuls, ces choix que tu pensais n'en pas être. Ce qui t'apparait beau alors, mets-le au-devant de toi, nourri par ce vécu comme un engrais.

Si tu ne sais pas où tu vas, le temps, tout de même, retient la forme de tes pas. Le ciment et le sable sont du même bois.

dimanche 10 septembre 2017

Le chemin, la voie (version rimée)

J'ai réparé les cassures de rythmes que j'ai pu identifier et fait rimer ce qui ne rimait pas. Cela me semble procurer un plus grand sentiment d'achèvement. Cette version me convient mieux, et elle est plus respectueuse de la qualité du dessin. J'espère que ce sentiment sera partagé. Je laisse la version antérieure sur le blog toujours dans un souci de témoignage: la magie n'existe pas.



Je connais un chemin.
Je connais un chemin traversant chaque route.

je connais un chemin.
Moins qu'un chemin c'est plus une déroute.

Chemin de signes abscons que nul n'a bien tracé. Le point présent appelle le prochain comme une note annonce sa fin. Et roule roule ma musique qui ne sait où elle va. Tu traverses des montagnes si hautes que la neige en réchappe au trépas. On y peut lire, lorsque la lumière la fait reluire, l'histoire d'infinis univers, dont l'un n'est que réponse de l'avenir à l'injonction d'hier. Il paraît que si l'on chauffe toute cette éternité minérale, il en sort une musique des étoiles qui racontent leur enfer ardent, et qui du paradis forment les pétales...

Je connais un chemin par où tu es passé, qui porte tes odeurs et tes voeux exaucés. Je connais un chemin que je lis comme rien, comme ploie sous le vent la grand-cime des pins. Comme défile un temps sans penser à demain.

Je connais un chemin.
Petit sentier de chair vivante ramassé dans les signes figés d'une pensée mouvante. Petit serpent de terre où les seules racines nous accrochent à l'éther ou à la contingence d'unions trop éphémères. Mon chemin s'est pris dans tes reins, dans ton sourire et ta présence sans lendemain. Petit chemin qui sinue entre les monts de ton coeur et le creux de tes mains.

Je connais un chemin tout aussi loin que proche. À l'emprunter vous pourriez bien mourir d'une mort bien fantoche, qui vous laisserait là, dans l'hébétude d'une fin de chanson par trop semblable aux précoces moissons. Ses longs lacets vous font comme un instinct qui s'accroche à vos tripes, vous accolent à son rythme fait de souffrance et de joie, fait de moments banals qu'un regard qui l'est moins fait image d'épinal.

Je connais un chemin.

Il passe sous la mer et les vieux océans, il traverse en leur coeur chacun des éléments, et n'en garde qu'une trace, fidèle à son mouvement. Tout juste un sillon d'arabesques qui sont le signe de vrais sentiments. Air, feu, terre, eau, voici bien l'essence des choses, ou bien ne sont-ce que des anamorphoses?

Je connais un chemin.

Chemin ouaté, tissé dans les nuages, qui fait de chaque humain le songe d'un mirage. La parole des vents gonfle une certaine voile chargée de faire avancer le coeur jusqu'au prochain naufrage. Capitaine aérien sur l'océan céleste, le chemin se déleste et vous lâche, sans un phare et sans rien.

Je connais un chemin que l'on arpente yeux bandés, si l'on ouvre les yeux alors il disparaît; c'est ainsi que nul, jamais, n'a pu le contempler. C'est un chemin de temps plus que d'espace mais ce dernier s'étend dans la durée... C'est un chemin qui se joue d'une musique inventée, dessine la partition d'un solfège insensé. C'est un chemin de doutes, qui mêle au sein d'une même route une voie pour la haine une voie pour l'amour. C'est un chemin qui, plus qu'il ne parle, vous écoute. Il vous donne les réponses dés lors que vous les formulez.

Je connais un chemin...

Une voie sans fers mais un possible enfer. Une route pour et vers soi, pourvue d'un néant pour toit. Je connais un chemin où fantôment tes pas, pourtant j'y marche seul, jamais je ne t'y vois.

Je connais un chemin mais, combien de fois encore devrais-je perdre ma route..?


Dessin d'Amine Felk, texte de moi-même.

samedi 9 septembre 2017

Le chemin, la voie



Je connais un chemin.
Je connais un chemin traversant chaque route.

je connais un chemin.
Moins qu'un chemin c'est plus une déroute.

Chemin de signes abscons que nul n'a bien tracé. Le point présent appelle le prochain comme une note la suivante. Et roule roule ma musique qui ne sait où elle va. Tu traverses des montagnes si hautes que la neige est vraiment éternelle. On y peut lire, lorsque la lumière la fait reluire, l'histoire d'innombrables cosmos dont l'un n'est qu'une réponse à l'autre. Il paraît que si l'on chauffe toute cette éternité minérale, il en sort une musique des étoiles qui racontent leur enfer ardent qui sont la source des paradis...

Je connais un chemin par où tu es passé, qui porte tes odeurs et tes voeux exaucés. Je connais un chemin que je lis comme rien, comme ploie sous le vent la haute cime des pins, comme défile mon temps dénuée de l'ombre de vieux lendemains.

Je connais un chemin.

Petit sentier de chair vivante ramassé dans les signes figés d'une pensée mouvante. Petit serpent de terre où les seules racines nous accrochent à l'éther ou bien à la contingence de rencontres éphémères. Mon chemin s'est pris dans tes reins, dans ton sourire et ta présence sans lendemain. Petit chemin qui sinue entre les monts de ton coeur et au creux de tes mains.

Je connais un chemin tout aussi loin que proche. À l'emprunter vous pourriez bien mourir d'une mort foraine, qui vous laisserait là, dans l'hébétude d'une fin de chanson qu'on a coupée trop tôt. Ses longs lacets vous font comme un instinct qui s'accroche à vos tripes, vous accolent à son rythme fait de souffrance et de joie, fait de moments banals qu'un regard qui l'est moins mue en épiphanie.

Je connais un chemin.

Il passe sous la mer et les vieux océans, il traverse en leur coeur chacun des éléments, et n'en garde qu'une trace, fidèle à son mouvement. Tout juste un sillon d'arabesques qui sont le signe de vrais sentiments. Air, feu, terre, eau, voici bien l'essence des choses, du moins si vous restez sur le dos de ses mots.

Je connais un chemin.

Chemin ouaté, tissé dans les nuages, qui fait de chaque humain le songe léger d'un mirage. La parole des vents gonfle une certaine voile chargé de faire avancer le coeur jusqu'au prochain naufrage. Capitaine aérien sur l'océan céleste, le chemin se déleste et vous lâche, sans un phare et sans rien.

Je connais un chemin que l'on arpente yeux bandés, dès qu'on ouvre les yeux alors il disparaît; c'est ainsi que nul, jamais, n'a pu le contempler. C'est un chemin de temps plus que d'espace mais ce dernier s'étend dans la durée... C'est un chemin qu'on joue comme on ferait parler les dieux, un chemin qui dévoile ses secrets dans des langues inventées qu'on ne comprendra, probablement jamais. C'est un chemin de doutes, qui dans un feulement de haine vous effleure d'amour.  C'est un chemin qui ne vous dit pas où aller, mais qui vous suit, vous écoute. Il ne parle jamais de lui mais pourtant vous entend le raconter. Il vous donne les réponses dans l'instant même où vous les formulez.

Je connais un chemin...

Une voie sans fers mais pour d'aucuns l'enfer. Une voie d'étincelles qu'un regard féconde et allume en chandelle. Une route pour tous ceux qui s'élancent vers eux à travers tous les autres. Une déroute solitaire pour les agoraphiles, où les pierres et les choses sont autant de chemins au sein du chemin lui-même.

Je connais un chemin et pourtant, combien de fois encore devrais-je perdre ma route..?


Dessin d'Amine Felk, texte de moi-même.

vendredi 28 juillet 2017

Pardon

Le destin a sa façon cruelle de me faire chanter, avec ses coups de fourches et ses aiguillages improbables qui m'envoient toujours contre des murs qui sont des miroirs; et qu'il sait que je vais m'efforcer de fuir au plus vite, vers d'autres embranchements qu'il aura sélectionné d'avance pour que je me retrouve face à ce même reflet... Si je n'ose encore me regarder en celui-ci, je vois toujours à mes côtés ta silhouette élancée, tes longs cheveux bouclés et tes yeux constellés.

Dans cette histoire ratée gît un paradoxe que je n'aurai pas su dénouer huit années durant. Le voici formulé: pour quelle raison l'évidence que tu étais ma part féminine sachant me compléter se heurtait sans cesse à cette irrépressible angoisse de ne pas pouvoir être moi-même, qu'il me manquait quelque chose en sorte à tes côtés, quelque chose que je devais taire pour te garder. Et voici la réponse que je donne aujourd'hui: j'avais, comme bien souvent, peur.

Si j'ai peur de faire des choix c'est certainement parce que j'ai l'insoutenable impression d'être amputé du reste des possibles, mais ce n'est ni, je crois, la seule raison ni la principale. Je suis terrorisé de ne pas être à la hauteur, de finir par ternir ce possible que je rends actuel en le désavouant, par trop d'inconstance et par manque d'excellence, en somme par excès de moi... Tu disais tout le temps à ce propos quelque chose de très juste: que je disais sans cesse ne pas vouloir m'engager mais que pourtant je l'étais déjà, à ce moment même. J'ai peur de l'engagement parce que j'ai peur de faillir. Je suis atteint de procrastination aiguë parce que j'ai peur de ne pas être à la hauteur de mes propres attentes. J'ai toujours eu tellement peur de décevoir autrui que je me suis entraîné pendant une vie entière à surpasser les attentes des autres par les miennes, encore plus inhumaines.

Destin, depuis quelques temps, m'envoie de plus en plus souvent au bout d'impasses de plus en plus courtes dont l'extrémité est un miroir où sont écris les mots suivants: "qu'est-ce que tu désires?". J'ai à ma disposition différents outils pour noter ma réponse en surimpression de ce reflet que j'évite. Pourtant, je n'écris jamais rien. À la place, une sorte de vide me creuse l'estomac et la poitrine, à tel point qu'il me semble entendre résonner très fort mon coeur dans ma carcasse. Je ne sais plus dire à quel moment de ma vie je suis devenu réellement incapable de répondre à cette question. Je semble ne vouloir plus rien assez fort pour faire converger mes forces afin de soutenir ce choix suffisamment longtemps pour qu'il donne des fruits réels. Depuis longtemps je désire avec légèreté, lèche les vitrines et continue ma déroute au dehors des magasins, sans trop savoir pourquoi, ni sans pouvoir donner le prix d'une vie sans rêve et sans désir - c'est à dire le prix de la mienne...

La dernière chose que j'ai souhaité si fort, comme si ma vie en dépendait - et peut-être était-ce le cas alors -, c'était toi... Depuis toi, je me plains de ma vie mais elle est à mon image: faite d'activités agréables comme désagréables mais toujours inessentielles, faite de plaisirs qui sont des trompe-l'oeil jetés sur les miroirs.

Attendez, il me semble me souvenir que tout ceci je l'ai souhaité un jour, je l'ai voulu très fort il y a bien longtemps. J'ai demandé à l'univers de me faire léger, sans but (combien de textes ai-je écrit à ce sujet...), sans attentes et sans attaches, sans autre désir que celui du désir et me voici rendu sur cet espace-temps de mon voeu exaucé, plus perdu et creux qu'une conque oubliée. Voyez, même là je ne suis pas à la hauteur...Platonicien imparfait, le désir du désir m'est inconsistant, l'amour de l'amour trop décevant, je crois que je préfère ce lieu et ce temps où vivent les gens et où les choses ne sont points absolues, où rien n'est immuable ni parfait, où l'erreur et la faute sont admises et pansées par le pardon.

Finalement, peut-être que c'est une bonne chose, lorsqu'on ne sait qui l'on est, d'avoir quelqu'un à ses côtés pour peindre ce reflet que l'on ne sait plus voir. Tu peignais de moi un reflet honnête je crois, avec ses bons profils mais aussi tant d'imparfaits... Cela je n'ai pas su le supporter, et je me demande encore, l'aimes-tu cet être incomplet, ne t'as-t-il pas seulement déçu?

S'il existe une idée de moi dont j'ai voulu me faire la copie conforme, tout ce journal s'est construit sur l'espace vacant laissé par l'inadéquation dont je fais preuve à ce qu'elle est. Si je ne suis pas beau, si je suis imparfait, si je suis la cause d'une immense souffrance - pour toi, comme pour moi -, cela aura au moins permis à ce journal d'être là désormais, comme une fleur sur les ordures.

Avoir formé avec des morceaux d'échecs et des débris de coeurs brisés quelques courbes enlacées, juste un peu de beauté, ne vaut-il pas au fond d'être un peu pardonné?


Il y en a bien des choses précieuses et belles dans ma vie, des gens qui ont chacun leur place pour étinceler dans mes cieux comme autant d'astres lointains qui dispensent sans compter leur douce clarté. Mais il n'y a plus toi, et le cycle que ta présence imprimait à mon quotidien dispersé. Les étoiles désormais brillent en permanence, je ne dors plus la nuit parce que la nuit est éternelle et n'a plus ses aurores.

Il y a désormais un trou béant dans l'espace interstellaire de mon désunivers, et c'est la place que tu n'occupes plus et que rien ne remplacera jamais.

Tu vois finalement peut-être suis-je à la hauteur de quelque chose, du moins suis-je constant dans mon amour pour toi. Si cette histoire est une naine blanche, je ne la laisserai jamais suffisamment refroidir pour être cet objet jamais encore observé que l'on nomme naine noire.

On parlera encore, dans des centaines, voire des milliers d'années, de cet amour esseulé, d'une planète solitaire et sans soleil et qui pourtant demeurait sur la même orbite.

Tant qu'il y aura de la lumière pour éclairer mes mots, ce chant résonnera dans l'histoire de ce monde, parce que c'est ce que je désire...

Ordalie

Où sont fleurs et grands arbres
Et ces sourires qui vous désarment
Je n'ai qu'un pré gris et macabre
À iriser de mille larmes

Le quotidien s'avance vite parmi les champs ébouriffés
La mort est si subite et le monde imparfait

Ciel mes secondes! Me les a-t-on volées?
Cette joie qui abonde où s'en est-elle allée?
Sur mon feuillet d'horaires mon esprit succombe
Chaque jour un enfer qui dessine ma tombe

Mes poèmes sont des arbres en automne
Qui s'effeuillent et s'assèchent du train-train monotone

Et ma jeunesse qui voudrait s'enfuir
Au sein de mon passé pour enfin resurgir
Si tu t'en vas que me reste-t-il?
Seule l'odieuse angoisse de ces gestes futiles?

Revenez éclats de tendresse et volonté naïve
C'est à vos côtés que je veux ma dérive

Hélas nécessité tient tout cela dans la creux de sa main
Si féroce et si ferme qu'elle a dompté demain
Sur le tableau du temps effacé les chemins
Pour que résonne en elle ma complainte d'humain

Malheurs et pleurs, tout venin ton nectar
Et tu fais de mes peurs, ton sublime étendard

Mais peut-être qu'un jour je pourrais te chanter
Un bel ode à l'amour, d'autres tonalités
Si tu dévies ton cours et me rend mes possibles
Je me ferais velours et te rendrais sensible

Je vois bien que Destin n'acceptera jamais
De quitter tragédie qui l'a si bien charmé

Je suis vaincu, je renonce à changer
Ce que les Moires ont de leurs mains tissé
Au fond c'est bien vrai, y a-t-il plus sublime
Que les sursauts tragiques d'un destin qui s'abîme