mercredi 9 janvier 2019

Hors du vieil alphabet

Pessoa écrit un jour qu'écrire était sa manière d'être seule. Je crois que je peux m'identifier à cela. C'est aussi ma manière de tuer le temps, d'accompagner l'écoulement de son flux dans la chambre vide du futur. J'écris comme on ponctuerait l'existence, pour se montrer que quelque chose s'est bien passé, que quelque chose a bien eu lieu, malgré l'inaction ou le manque d'engagement, malgré le refus de choisir et l'infinie délibération. Faut-il exister, oui ou non? Être ou ne pas être? Et qui a déjà sérieusement répondu à la question? Une chose est sûre ce n'est pas moi, moi qui peint sans relâche chaque lettre de cette interrogation sans âge, moi qui trace si passionnément la courbe des points d'interrogation, le sillon de ces lettres...

Il ne faut pas que la musique cesse. Et pourtant, je sais que je cesserai d'écrire, bientôt, d'écrire pour ne rien dire, pour simplement chanter le temps qui passe, et le sentiment d'exister. Le silence qui déjà s'allonge entre les battements de mes frappes sur le clavier, annonce celui, trop long, qui viendra. Celui qui ponctuera sans marque et sans nul alphabet, le sommeil qui ne viendra pas, le manque de volonté, l'hésitation, le doute et les ruminations sans fin d'une raison qui cherche à se résoudre dans l'acte de défaire chacune des prémisses du raisonnement.

Musique puisses-tu ne jamais cesser. Et si la vie refuse de tenir dans le vieil alphabet, alors que mon coeur, que mes pensées, que mes idées, battent pour toujours le tempo du destin, qui va tambour battant. Dans le bruit ou les silences, il y a toujours quelque chose qui passe et s'en va son chemin, comme d'ineptes actes illustrent les destins sans signe, qui gisent bien en-deçà, au fond des mélodies qui ne se chantent que pour soi.

Ces mots ne sont rien, rien d'autre que le tapotement de mes doigts sur le bureau d'un soir qui s'étire. Et que sait-on de la musique entendue, lorsqu'on observe quelqu'un battre d'ennui le rythme qu'il a en tête? Tirer de ses abysses sans fond, à l'aide des formes qu'adoubent les grammaires, voilà ce que c'est qu'être un pécheur de vide. Nous cherchons tous à notre manière à tirer des vacuités intimes l'objet fini et flatteur qui justifierait à lui seul le fait que nous restions sur le bas-côté de nos vies, à observer le monde nous passer au travers sans trop savoir comment, sans trop savoir pourquoi.

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