vendredi 12 février 2021

Marathon

 J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.

Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.

Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.

Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.

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