mardi 27 août 2024

Hors-catégorie

"Soyez aimables car ceux que vous rencontrez livrent une dure bataille"

Philon d'Alexandrie

 

Parfois le monde vous accorde une trêve et fait cesser, pour un temps, le déluge d'emmerdes qu'il s'indiffère à voir tomber sur vous quotidiennement -- jusqu'à tassement des vertèbres de l'âme et aplatissement total de l'être. Ces moments là, on peut croiser son semblable sans voir en lui l'insupportable synthèse de sottise et d'assemblage hétéroclite de qualités péjoratives qui le signalent habituellement, de manière presque olfactive, à notre esprit. On peut baisser les armes et cesser de voir les choses à travers le frémissement d'une rage constante, on peut jouer à se faire croire, même, que la guerre est finie, que l'on n'y prendra plus part, qu'on ne s'y fera pas reprendre une énième fois.

Mais c'est sans compter l'éclair fugitif qui vous fait entrevoir soudainement l'épée de Damoclès suspendue dans les cieux, les yeux d'autrui, la malveillance administrative, l'indifférente exploitation de l'homme par l'homme, etc. Trop tard, elle s'est rappelée à vous, vous la sentez effectivement sans même que l'objet vous soit donné par un quelconque sens externe. Impossible de se reposer, impossible de ranger sur le ratelier l'immense fléau qui vous sert de maigre renfort pour repousser le mal qui croît et prolifère dans les débris du "monstre bipède". Ce n'est qu'une question de temps, il faudra de nouveau se faire piétiner heure après heure, éviter les crocs trainantes des hyènes alentours qui cherchent à lacérer tout ce qui dépasse d'idiosyncrasie -- c'est-à-dire à la fois votre indignité et votre dignité -- tout en continuant d'appeler ce jeu la vie cordiale entre sociétaires égaux et fraternels.

Inspire un grand coup agoniste, chaque aube et chaque crépuscule un combat hors-catégorie.

lundi 26 août 2024

L'illusion de la pierre

Parfois le besoin d'écrire éclaire d'un froid scyalitique la vacuité de l'esprit. C'est à ce moment là que l'on voit pendre les radicelles de ses désirs, fondés sur le rien et qui tirent leur vélléité de cet indéfini possible du néant. On aimerait pourtant tout dire, que les mots que l'on agence projettent autour d'eux, lithographie de l'âme, l'ensemble de la vie de l'esprit, qu'ils soient enfin cette pellicule du cinéma intime. Et pourtant, le film projeté reste parfois, si souvent, désespérément opaque et vain, la toile sombre ne laisse entrevoir aucune poussière, pas un photon ne s'en dégage; mais il y a tout le monde autour qui luit de sa présence sourde: les murs du théâtre, les sièges et gradins, les rideaux carmins qui pendent mollement enserrés à la taille par une corde dorée qu'on a noué autour. Et tout ce petit tableau, qui contient en son centre un trou noir, pourrait être une scène projeté sur l'écran de la conscience, et rien de tout cela ne saurait finalement contenir l'œil: tout le monde supposément extérieur ne se donne jamais qu'en tant qu'objet, phénomène qui tient dans le regard des sensations, configuré par l'entendement, saisi comme un tout fini.

Et si la seule réalité était ce soi indéchiffrable et dont les mots ne sont que les créatures anamorphiques?

Même ce journal alors ne serait que la prose d'un Autre et toute la conscience l'illusion de la pierre qui sait son chemin sans connaître sa cause...

dimanche 25 août 2024

Sur l'autel

On peut croire, lorsqu'on est jeune en âme, que la vie est importante et si précieuse qu'elle n'aurait pas de prix. Et pourtant, il suffit d'ouvrir un peu plus les yeux pour s'apercevoir que la mort ne changerait pas grand-chose, pour nous elle serait imperceptible, nous n'en aurions pour ainsi dire pas conscience, nous cesserions tout d'un coup et ce basculement accompli ne saurait être documenté par la conscience abolie qui n'aura connu que l'éternité de sa durée. Pour les autres le deuil est éphémère, fugace, il n'y a guère d'humains qui ne soient empiriquement oubliés -- je veux dire dont l'absence n'implique plus de souffrance de manière effective et concrète, ne déraille plus le train des obligations et des considérations quotidiennes -- totalement au bout d'une année ou deux.

Sortez uriner dehors, dans l'herbe encore humide de rosée sous les traits obliques du soleil matutinal et imaginez que la mort vous foudroie tout-de-go, maintenant dites-moi honnêtement: quelle différence cela ferait-il?

On croit que le bonheur est le "Bien Suprême" mais ce ne sont là que fadaises d'enfants égoïstes ou du moins individualistes. L'humanité recroquevillée sur elle-même cherche à se gaver toujours plus de fruits, de stupre, d'années, d'existence, afin de se contempler dans le miroir de sa vanité.

Peut-être qu'il faut sacrifier sa vie, comme le firent nos ancêtres, à un projet de transcendance qui, seul, pourrait donner de la valeur et du sens à cette aberrante errance humaine. Ce serait alors l'altérité, la négation de nous-même qui donnerait à l'homme sa fin et sa dignité: exister non plus pour produire de l'humanité mais de l'Autre, faire de soi le matériau d'un projet arbitraire et grandiose...

Mais quel projet?

samedi 24 août 2024

Le Job

Le job consiste en une et une seule chose, si tu l'acceptes: faire éclater la forme en la surchargeant de l'intérieur, la laisser devenir peau afin que ton cœur pulsatile et ivre la tende juste assez pour qu'elle ne se déchire point mais garde à jamais les stigmates de ton indéfinie puissance.

Mais pourtant le but serait qu'elle se déchire non? Qu'elle laisse enfin couler l'âme infinie hors de sa conque?

Bien sûr, c'est ce que tu désireras de toutes tes tripes mais cela tu ne pourras jamais l'atteindre et c'est bien là l'aspect tragique de la chose. Pour cette raison je te pose une dernière fois la question âme: veux-tu toujours être humain?

Vivre dans un échec? Exister par la frustration? Arpenter l'innacomplissement? Devenir le point de rupture d'une nature duale? Qui voudrait cela?

Des milliards avant toi ont désiré ce sort, parmi eux quelques-uns sont parvenus à surcharger d'infini les finis phénomènes, mais je vais t'avouer quelque chose: ils ne l'ont jamais su: ils n'ont connu d'illimitée que la souffrance.

Documents tragiques

Oh ce ne sont pas des ruisseaux que je décris en ce journal mais les méandres térébrants d'une psyché en quête d'absolu dans les bornes constrictrices de la finitude. Il n'y a véritablement aucune autre explication à tous ces signes vers une transcendance phantasmée si ce n'est la conviction pleinement vécue par certains que l'existence humaine constitue une errance; que la véritable origine se situe dans l'informe et l'indéfini d'une réalité méontique. L'œuvre est une sonde envoyée dans l'infini et qui cherche à travers le brouillard des phénomènes sublunaires une porte de sortie vers l'Ailleurs. Une tentative de percer le voile de l'étant.

Et nous échouons, encore et encore, en cela l'œuvre d'un homme n'est jamais que la documentation d'un échec, d'une tragédie.

mercredi 21 août 2024

Polymélie

À mesure que la vie dévoile sa nullité à l'homme vieillissant, l'écriture devient un passe-temps à l'intérêt croissant. Auparavant simple exutoire jaculatoire de l'accumulation primitive de puissance ou bien monotone exercice d'entraînement que l'on exécutait machinalement et sans plaisir, l'écriture devient peu à peu cette déchirure dans l'espace-temps à travers laquelle il devient loisible d'oublier, durant quelques minutes, la vanité de toute chose.

Il me semble que plus je vieillirai, plus j'écrirai avec plaisir. D'une part parce que mon corps se mue en une vile structure algique et que dès lors l'inconfort de la position arachnéenne de l'écrivain se dissipe dans la banale souffrance de tout instant, s'égalise pour ainsi dire dans la médiocrité ambiante. D'autre part parce qu'il n'y a plus guère qu'ainsi qu'il devient possible de contempler un tant soit peu de beauté en ce monde. Les lois naturelles, les structures sociales et politiques, enfin les gens, même les plus proches, se révèlent d'une hideur toujours plus grande et l'écriture, aussi pathétique soit-elle, de quelques phrases rythmées sur le papier virtuel d'une énième plateforme à absorber les vies paraît alors briller d'un éclat d'autant plus singulier que rare...

On ne vit pas lorsqu'on écrit, on suspend son existence ainsi que l'infernal processus d'ontogenèse de l'ecceité. On se retire du monde et de sa propre nature pour devenir cet être polymèle fait de tissus de pures relations qu'est la langue. Une pure valeur en somme, c'est-à-dire la sorte de fantôme la plus mystérieuse en notre monde sublunaire.

Tsunami

Il est un trait de caractère dont je me demande s'il appartient à l'humanité ou à mon hideuse et sophistiquée idiosyncrasie. Avec l'âge, en sus de toutes les altérations biologiques qui rongent l'organisme et menancent à tout instant son principe d'unité, viennent se faire sentir, d'abord avec discrétion puis par des pics d'intensité insoutenables, les aiguillons de l'ennui. Cet ennui est le signe indubitable capable d'exprimer, dans sa totalité, l'existence et la condition humaine. Plus rien ne fait bander pour ainsi dire, toute activité ne se révèle que par ce qu'elle est incapable à procurer à l'esprit et au désir d'absolu qui nous habite et nous cloue, de plus en plus fermement, aux ailes de la passivité désabusée. Tout est vain, poursuite inutile du vent, et ces instants où la nudité de l'existence se révèle, pour ainsi dire cellulairement, se multiplient et ôtent, à chaque occurrence, une part un peu plus importante de la naïveté nécessaire à l'homme pour vivre humainenement.

Les enseignements de la physique, qui nous révèle à l'échelle atomique un monde fait de lacunes et de vide, sont tout aussi valables pour cette branche de l'étude de la psyché humaine que j'ai nommé entropologie. De la matière au désir le plus sincère, il n'y a pas une chose en ce monde qui ne soit constitué d'infiniment plus de vide que de substance. Et laissez-moi ajouter à cela, sacrilège des sacrilèges, que pas même la fumeuse idôle du Bonheur ne peut résister à l'analyse lucide de la conscience et ses regards laniaires.

C'est ce même vide, omniprésent, hégémonique, qui vous aspire en toutes vos entreprises et vous retire de la berge ferme des actions concrètes comme un ressac de grand coefficient.

Mais lorsque la mer se retire trop loin, le tsunami arrive-t-il ensuite?

samedi 17 août 2024

[ L'alchimiste ] Minéralisation de l'âme

Tout, sans cesse en l'épopée humaine, s'acharne à faire obstacle au rythme qui pourrait rendre vivable le fléau de la conscience. Structurer minitieusement son quotidien, bâtir une routine capable de mailler l'écheveau fou des jours afin qu'il soit capable de supporter le poids de la déréliction, pour voir après cela, tout saccagé par le passage imprévisible d'un ouragan, d'une âme animée de bonnes intentions, bref de ce gouvernement despotique des foudres...

Se fabriquer un quotidien géométrique afin de ne plus exister que dans la permanence du vide, celle-là même d'où jaillissent les mondes et les improbables formes du chaos sublime. Il ne reste que cela à faire, mais pour y parvenir, tant de sacrifices nécessaires... Se débarasser de ces yeux qui vous guettent, de ces cœurs qui vous hêlent, des jugements qui vous enferrent, de cet amour qui pétrifie, se délier de tout ne faire partie de rien... Mais dès lors qu'un regard vous délinée c'est fini, vous faites partie d'un monde qui vous gouverne de ses principes, votre destin lui-même est cette forme du chaos jaillie de ses lois éternelles.

Exister géométriquement, comme une loi inviolable, voilà qui pourrait rendre l'existence endurable, mais peux-t-on encore appeler cela existence? De créature produite par des principes devenir condition de possibilité de ces créatures que l'on nomme œuvres?

À l'impossible nul n'est tenu mais néanmoins cette société aveugle exige à chaque instant le sacrifice de mon rêve et résout l'équation que je suis avec la lenteur sadique qu'impose la sinuosité de toute tragédie.

Haïr la vie sans oser la quitter, n'est-ce pas suffisant pour faire déchoir une âme en amas de poussière, en  petit tas d'humus?

Limogeage

Être renié par tous est le seul moyen d'être libre

 

Quand sera clôt enfin

Le cercle de ma vie

Qu'en aucune âme

À jamais

Ne sonneront ces cris

Je pourrai disposer

Du monde me faire limoger

Mourir en la ville éponyme

À jamais seul ô combien anonyme

Avoir déçu tout le monde

Encore plus que soi-même

Être à l'acmé de la médiocrité

Jusque dans ses échecs

Il est peut-être temps

Moire

De jeter ce brouillon

Pour un destin plus digne


mardi 13 août 2024

Phainestai

Le bruissement calme des feuilles dans le palmier et le silence de cette après-midi estivale font vibrer la nature d'une présence indéniable et ceinturante. Le reste suit presque spontanément: les vers géophages se faufilant dans le sous-sol, les taupes creusant leurs galeries clandestines sous le potager, les muridés courant entre les herbes, les buses qui scrutent attentivement le sol éclairé par les rayons presque palpables d'un soleil de plomb. Tout existe tellement qu'il est impossible à l'homme conscient de tout cela de ne pas considérer avec acuité la lacune qui lui fait lieu d'intériorité. Toute cette lumière ne fait que le traverser pour se dessiner en sensations qui s'organisent dans la perception d'un monde qui tient toute la place. Le soi n'est qu'un centre absent et fuyant vers lequel le monde centripète fait captieusement signe -- mais dans quel but?

Sa vraie nature?

Le plus effarant dans tout cela, c'est la possibilité toujours latente d'avoir fait totalement fausse-route toute sa vie durant... Qu'il soit possible que tout cette construction vaniteuse et souffreteuse de textes ne constitue au final que de vulgaires traces infantiles sur le palimpseste de la durée, que rien de tout cela ne vaille quoi que ce soit pour qui que ce fut et que, finalement, l'on se retrouve seul face au monde, accroché à une pathétique affirmation de soi qui aura servi de raison d'être à un atome vicié, fracturé, sans autre force de liaison qu'une ivre foi bâtie sur le lit de l'erreur.

D'être véritablement sans valeur, pour quiconque autre que soi-même, et s'apercevoir alors du mal que l'on représente en un monde où tout nous renie, où la physique des particules humaines nous oppose, inébranlable, inflexible, sa loi que tout notre être s'acharne à violer avec une spontanéité incurable et révoltante. Être cela, est-encore possible? Est-ce encore vivre qu'un tel destin?

Mais il est encore plus insoutenable de savoir, avec la certitude de l'expérience, que tous ceux qui ont réussi socialement, tous, presque sans exception, n'ont jamais connu, même infinitésalement, l'ombre de ce doute, le sillon laniaire de la remise en question et de la négation de soi. Tous ces gens apparaissent alors comme des monstres que tout le monde adule néanmoins et que l'on est finalement seul à percevoir ainsi -- ce qui fait de vous-même l'authentique et véritable monstre, idiot dégénéré, toxique, délétère, répugnant, sanieux jusqu'au trognon de l'âme...

lundi 12 août 2024

Frankenstein créature

Réussir, pour un artiste, est gage d'obtenir les conditions optimales d'une création prolifique d'ouvrages, de pouvoir se concentrer pour ainsi dire. Mais, l'obligation de rendement qui accompagne un tel privilège, le besoin de retour sur investissement de ceux qui assurent au parasitisme artistique un alme biotope, ne sont-ils pas le germe certain d'une asphyxie future? L'œuvre ne se nourrit-elle que de contemplation? N'a-t-elle pas besoin aussi de la brûlure de l'exploitation salariale, du mépris de classe, de la privation, du désespoir? On peut imaginer que tout cela se trouve aussi dans une vie oisive de parasite, la vie du synanthrope qui observe ses semblables payer de leur quintessence l'indécent portefeuille de milliardaires sataniques. Lui aussi est un esclave, un prostitué au service de ses créditeurs. Lui aussi contemple, avec plus de liberté encore, l'absurdité de tout l'étreindre, lorsqu'il sirote à la terrasse d'un café le spiritueux qui l'aide à traverser les jours, tandis que des hordes d'humains s'acheminent en masse de leur tanière au lieu de sacrifice journalier.

Mais, tout de même, il peut se dédier tout entier au projet d'une vie qui s'épanouit en œuvre...

L'autre, celui qui demeure dans l'ombre, sans relation aucune pour être coopté dans le petit cénacle, celui qui ne produit pas à la mode du jour mais dans l'espoir d'un autre temps, celui-là ne peut que glaner ça et là de rares instants de liberté créatrice dans le chaos d'un quotidien ordonné par les obligations de survie. Celui-là se déchire dans l'odieux supplice quotidien du tâcheron qui exécute en chapelet des gestes qui ne lui appartiennent pas, et rêve parfois, à l'ombre des matrices, à devenir un parasite, un puceron entretenu par la fourmilière pour ce qu'il sécrète quelque miellat capable de rendre la torture de la horde un peu moins vive et omniprésente. Il vit dans le déséquilibre d'un rêve racoleur et mensonger lui faisant croire qu'être entretenu pour vendre son âme serait plus propitiatoire que d'être une force d'un travail inepte au sein duquel quelques ilôts de répit forment l'archipel d'une œuvre disloquée, lacérée. Mais qu'en sait-il au fond? Et ces maisons closes  au sein duquel officie l'artiste vendu au succès ne sont-elles pas, au final, des abattoirs pires que les usines et bureaux du vulgum pecus?

Se poser la question tous les jours et poursuivre l'atroce accouchement d'enfants difformes et idiots qu'un souffle de rêve maintient ensemble dans la démarche capricante d'une œuvre fantasmée -- Frankenstein halluciné issu de l'effort toujours empêché d'être ce que l'on est en ce monde -- il n'y a rien d'autre à faire... à part se tuer.

La vérité du coq

Rien ne saurait assurer la valeur d'une entreprise artistique. Tout cela pourrait bien être aussi vain qu'un emploi dans la publicité ou la mercatique: aucun critère transcendant, aucune certitude pour celui qui existe. D'ailleurs ce terme même d'exister est fort intéressant par sa nature fallacieuse car au final on se tient sur quoi? si ce n'est sur la propre croyance qu'il y a bien quelque chose sur quoi l'on se tient pour être... Toutes les galaxies littéraires, des plus sublimes aux plus ignobles, sont fondées sur cette illusion primordiale qui est la condition même de l'existence. Il faut croire à la valeur de ses propres valeurs, il faut transmuer le vide en concrétion substantielle et s'y hisser tel un coq annonçant, sans douter d'un iota, que le soleil de la vie se lève -- et tout cela est avant tout fait pour soi-même, ne nous y trompons pas, dans l'unique but de se persuader que: vite! il faut tenter de vivre!

Abattre l'ennemi

Que sait-on de qui vit parfaitement inadapté aux structures qui le portent? Que sait-on de l'infinie brûlure du Sans-repos lancé sur les courbes du temps, à rebours de tous ses semblables, sans frère, sans étoile et sans alter ego? Beaucoup ne savent rien de cette existence nomade qui s'intercale entre les quelques dérisoires vides que laisse encore un système ignoble d'efficacité. Celui qui vit ainsi est sans cesse en danger d'expulsion, d'expurgation, ou pire, de "guérison", si jamais l'on saisit sa délinéation furtive dans les artères de la Structure. Celui-là vit sans jamais savoir sa valeur, parce qu'il ne fait pas partie du réseau axiologique en vigueur, il vit sans jamais savoir s'il n'est pas véritablement un ennemi du genre humain (et non seulement d'un système particulier), s'il ne doit pas être rectifié, s'il n'est pas une erreur de la nature.

Être en marge, penser en marge, ressentir en marge, autant d'excommunications dont on peut tirer quelque orgueil au départ mais dont, avec le temps, on finit par pâtir, s'étioler, s'interroger, se nier. C'est qu'une telle existence demande infiniment plus d'énergie que d'être porté par le courant dominant, elle est sans trêve ni armistice, elle vous ronge jusqu'au noyau et marque votre âme du sceau des parias. Vous ne pouvez vous reposer sur rien ni personne, trouver de répit nulle part -- pas même en soi --, vous êtes sans amis, sans famille, piégé dans l'envers de tout, prisonnier de votre nature qui vous exclut sans appel. Vous faites face au monde depuis la muraille étique de votre silhouette, de votre esprit et son inexpugnable extranéité, vous êtes condamné, en exil, pour toujours.

Même dans les yeux de votre femme vous êtes ce barbare qu'aucune grammaire ne rend intelligible; et le pire dans tout ça c'est que leur monde est ce qui vous maintient en vie -- entérinant ainsi votre nature de parasite.

Alors poète: la mort ne vaudrait-elle pas mieux?

samedi 10 août 2024

Harmonie cellulaire

Pour que tu m'inspires un peu de nouveau

Je donnerais un poumon, le rein, ma peau

Tant les nuits désormais sont atone à t'attendre


On dira -- dira-t-on? -- que je suis écorché

Vif, erratique à côté

Enclavé dans des songes en cendre


Et c'est pourquoi, peut-être, mon esprit est fumée

Dont la braise lointaine est cet absent foyer

Tandis qu'in(can)de(s)cent je saigne


Ai-je encore une veine

Où navigue du sang

Ou ne suis-je qu'effluve

En un lacet de vent?

 

Dans la lave des astres furieux

Je baigne mon cœur injurieux

Sans que rien, jamais, ne m'effleure

 

Pas un secret, même en miettes,

Ne pleut plus sur ma tête

Esseulée sous le linteau des nuits


Monde enfant de Solitude

Brode sur l'âme ennivrée d'habitudes

Le motif adulé de ce libre murmure


Celui-là même par lequel

J'ai connu cet abîme qu'appelle

En moi ce désir de beauté


La vérité du monde est sèche

Quand en vain l'on recherche

En son propre néant

L'harmonie cellulaire


Chante pour moi de nouveau

Je donnerai ma raison, mes yeux et ma peau

Tant en moi s'amplifie le désir de me rendre

jeudi 8 août 2024

Considération inactuelle

De toutes les espèces connues de ce système solaire l'humanité surprend par ce singulier acharnement à vivre malgré la transparente consciente de la mort et de la vanité de tout. Pourquoi? POURQUOI?

Et si toutes les grandes questions métaphysiques trouvaient finalement réponse dans le déterminisme biologique? Il n'y aurait alors pas plus ridicule que la philosophie, à part, peut-être, la religion...

mercredi 7 août 2024

Une violence inhumaine

Ça écrit encore des petites chansons d'amour sirupeuses qui vous collent à la peau comme un sucre coulant, capable de vous figer dans l'ambre de la médiocrité contemporaine et vous dissoudre sur-le-champ l'âme; alors même que des complots s'ourdissent 24h / 24 et qu'on fait sauter des villes entières en publiant des "shorts" sur "youteub". Ça fait des films entre bourgeois parisiens qui forment, tous ensemble, une belle petite famille tuyau-de-poêle au sein de laquelle même les grand-pères ont sauté leurs petits-enfants. Et ça joue les grands coeurs à mettre en scène ses petites peines de couple, ses rêves de transcandants adultères et une vision ô combien subversive de la liberté à travers le libertinage.

Si seulement un quelconque torche-cul pouvait un jour être découvert qui parlerait de vous comme d'un énième peuple élu et vous promettre une terre aussi loin que possible de la Terre... Que de calme alors, que de beauté retrouvée, que de sérénité et d'harmonie.

La pire violence, c'est vous.

Courbe brisée

En regardant le toit, par un sombre hasard, je constate une mousse récalcitrante qui s'installe sur les bords de l'édifice. Étonnant: nous avons fait démousser la maison il y a seulement deux ans maintenant. Étonnant comme l'ordre humain est voué à disparaître sous le grignotement tenace et incessant de l'entropie. Toutes nos entreprises sont aussi vaines que cet éphémère démoussage qui n'a d'utilité que le fugace soulagement procuré à deux êtres dont l'existence même obéit à ce principe: travail, consommation, travail consommation. Aucun effort, aussi inepte soit-il, ne saurait produire dans le monde quelque chose d'absolument durable; mais sans aller jusque là: qui puisse simplement repousser l'entropie assez longtemps pour que cela en vaille la peine.

Vivre vaut-il la peine de quoi que ce soit? Peut-être pour prolonger à travers l'enfantement les espoirs qui nous ont mené là, à l'ourlet d'un destin qui s'achèvera sans faire aucune différence...

Si l'on regarde attentivement l'histoire pourtant, il apparaît assez clairement qu'aucun progrès réel ne permet d'imprimer un sens à la flèche du temps. De la préhistoire à aujourd'hui, toujours les mêmes vices agissant comme les forces cinétiques d'un immene billard planétaire. Une certaine anthropologie nous laisse même entrevoir la possibilité d'une dégradation de l'humanité vers toujours plus de perversion, de désirs non-naturels et pour cela sans limites.

Un humain est pareil à une maison: livré au temps, il finit recouvert de mousse, infesté de parasites, écartelé par les éléments, disloqué fragmenté désuni, sans plus aucun principe d'organisation capable de lutter contre l'engloutissement d'un repos étal. C'est probablement pour cela qe l'instinct vital nous pousse à se reprduire comme des cafards. Parce qu'une vie humaine ne peut que chuter lourdement après la brève ascension d'une jeunesse qui n'est que feu de paille et poudre aux yeux. Aucun individu ne transcendera sa finitude. Faut-il croire que l'espèce y parviendra? Peut-être... après tout qui sait si cette frénésie destructrice qui caractérise notre époque ne sera pas surmontée comme un échec duquel on apprend à se surmonter soi-même. C'est possible et une part de moi, ténue, y croit un peu je dois admettre.

Mais dans l'instant il faut bien constater une chose: dieu que le monde est laid.

lundi 5 août 2024

Le vrai courage

Pourquoi écouter, homme du néant, les jugements recrachés de ces gens effrayés par la mort, vomir à tes oreilles ô combien serait lâche ta fleur de liberté? Eux qui ne savent pas tenir -- ne serait-ce qu'un iota -- le regard de l'abîme, et par là-même s'ignorent infiniment... Rien de plus courageux au contraire que la courbe brisé du destin qui s'abîme -- de lui-même. Adrien, tu sais pourtant, tu sais mieux qu'écouter ces miettes d'hommes jeter de leurs fenêtres le mobilier par lequel ils adornent le Néant. Adrien: ce nom étranger qui sonne intimement sans pourtant vouloir dire une quelconque sottise. Pourquoi choisir un nom différent, et rendre commun -- par un si vain désir de sens -- ce qui est pourtant propre. Le singulier n'a pas de sens, il est le seul à pouvoir exprimer ce qui te creuse tout à rebours de l'être.

Et puis, choisis-t-on quoi que ce soit dans la vie? Même sa mort que l'on croit fleur de liberté? qui n'est peut-être au fond, qui sait, qu'un vulgaire papier à musique ourdi depuis d'innombrables éons par trois tisseuses de nos mésaventures.

Adrien... Tu pérores, encore... T'adresse au silence de ton cœur, dessinant en creux tout le non-amour d'un monde dévoré par l'humain. Parce qu'il n'y a qu'en toi que tu penses trouver ce si parfait miroir d'extrême sensibilité... Saura-t-on jamais s'il s'agit là d'une induction solide? À quoi bon SAVOIR! Que ce mot rend celui qui l'arbore claudicant, de toute sa lourdeur. Mais il n'est pas facile de désempoigner les chimères que tout humain perspire...

Ne plus trouver ni laideur ni beauté qu'en soi-même, comme si le reste du monde habité l'était par une armée de drônes, pilotés par une blafarde nécessité itérative, une sorte d'intellligence naturelle qui n'a pas encore atteint le stade sensible. Se parler à soi-même pour ne plus être seul, quelle effroyable banalité.

Non, la seule liberté -- si tant est qu'une telle chose existe par-delà le simple sentiment -- ne peut -- ne DOIT -- éclore qu'en le suicide; car il est fort probable, chers clones sans cœur, qu'aucune autre partie ne nous attende après.

jeudi 1 août 2024

Aphorisme des interrupteurs

Qu'on ne me parle plus jamais de valeur travail! Obéir à un contrat de travail est du même niveau de réification que la prostitution.


La complexité du monde et des structures de la domination ont pour effet remarquable l'effrènement, de ceux qui n'ont pas le temps, à s'emparer d'une cause tangible et unique -- autrement dit d'un bouc-émissaire --, aspirant goulument l'attention passionnée tandis que prospère, ignoré, l'écheveau causal capable d'expliquer l'injustice.


On hait a priori dans cette époque raffinée: celui qui arbore des opinions étrangères ne saurait les expliquer autrement (selon nous) que par les caricatures dont nous sommes les dépositaires, et à ce titre il ne peut jouir que d'un statut ontologique simplifié -- le barbare et ses déclinaisons (complotiste, idiot, terroriste, fasciste, populiste, etc.).

 

Je n'aurais jamais cru que le démantèlement des nations puisse avoir un tel effet dévastateur sur la cohésion des peuples. S'il ne s'agit pas là d'un démenti criant jeté à la face des contempteurs de l'idéalisme... Une simple idée peut faire tenir les mondes -- pour la simple raison que tout monde est, a priori, une idée.


Ce qui manque à tous les aiprants au pouvoir est un véritable projet démocratique, une volonté enracinée dans les tripes d'acheminer le peuple vers sa destinée souveraine et, tel un enfant devenu adulte, de s'en désaisir. Mais il y a peu de parents dignes jusqu'au bout...


À mesure que l'abêtissement augmente, les opinions deviennent convictions et l'ardeur à les interroger, violence à imposer.


Rendre chaque individu aussi binaire qu'un bit d'information, voilà qui permettra au Grand Ordinateur d'exploiter efficacement le champ fertile des sociétés humaines.


"Je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger" -- et si cet horloger n'était bien qu'une horloge?


Les bons capitalistes -- c'est-à-dire ceux responsables du succès de cette opération -- ont rapidement compris que les idées, comme les vêtements, ont besoin d'être rapidement disponibles (prêt-à-porter) pour ceux qui n'ont pas le temps de les fabriquer. Mieux: qu'il s'agit surtout que nul n'ait plus le temps de fabriquer les siennes afin qu'on leur fournisse en nos enseignes. Ainsi advint la grande manufacture des opinions et son triomphe industriel: le journalisme.