Affichage des articles dont le libellé est mépris. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est mépris. Afficher tous les articles

lundi 28 janvier 2019

Damnit Crocket



Je te vois Crocket, ta silhouette longue qui se courbe sur les chemins de vie. Je te vois et j'aime tant le rythme de ton pas sous l'infamie des hommes, ta façon d'avancer malgré ce monde qui te gomme.

Je te suis du regard et cherche ta forme au fin fond du brouillard. Je vois le poids que tu portes, et ce chapeau de malheur qui te suit de toute sa lourdeur. Mais il est beau Sisyphe qui roule et roule pierre, il est beau tu sais, il faut le croire.

Tu es l'ami que j'admire parce qu'il est dénué de tous mes lourds défauts. Tu es celui qu'on envie pour l'insondable modestie que tu dispenses autour de toi, comme une douce mélodie qui calme nos terreurs. Tu grandis ton prochain, tu fais jaillir les qualités même du plus profond des coeurs les mieux domptés.

Je t'enveloppe de tous mes songes, je prépare le monde où tu peux exister. Parfois le chapeau que tu portes comme une excroissance intime, un double inversé de ta si douce identité, cesse un peu de ronchonner et te prodigue la parole oraculaire qui pourrait t'alléger. Jamais tu ne montres que tu as compris. Mais il est là Damnit, posé sur ta tête en ombre symbiotique, prophète méprisé qui des humains n'est que lassé. Pourtant, dans un fragment de logorrhée, dans l'aphorisme qui jaillit, la perle est enfin délivré, à l'homme et son souci. Personne ne semble écouter mais moi je sais au fond de moi, que tu entends le rythme de ces vérités, sans rien dire, bienveillant et discret, tout en continuant la marche de ta pure volonté.

Damnit Crocket, rien ne saurait vraiment vous séparer.

Je t'observes avec tant de tendresse depuis le jour où tu es né, de ce matin brumeux ou vent furieux voulait nous faire tomber. J'ai fixé ton image comme un cap ou bien l'étoile pour me guider. Au plus fort de la tempête j'ai gardé ton idée alors, quelque chose dans le reflet de tes lueurs s'en est venu me réchauffer.

Damnit Crocket, Dieu que la vie est mal faite, qui fait de ces destins ignorés des étoiles filantes que nul n'a détecté... Tu t'éteindras peut-être un jour, ou bien continueras-tu d'exister, mais de ton vivant jamais au grand jamais, tu ne récolteras l'amour et la reconnaissance. Tout juste variable d'ajustement, combustible prêt à brûler, tu es le pétrole qui nourrit ce système. Ce que tu traces de beauté dans la soie du silence, sur le velours du temps, personne n'en sait rien à part peut-être moi.

Tu dois Vivre Crocket, Damnit Crocket, les jambes comme la tête, tout doit exister, pour qu'un bonheur futur reste possible, que la souffrance possède un signe. Car ce sont les êtres comme toi qui font de la douleur un sillon de beauté.

dimanche 11 mars 2018

Qui essuiera le tableau?

Goutte de pluie sur son canapé, regardant le grand monde en la lucarne s'agiter, jugeant, jugeant la horde des nuages, ceux qui vous font chuter, oublieux de la source qui les a fait monter.

Goutte de pluie chromatique, protéiforme, mais aimant la sphère, parce qu'au dedans, tout s'y réfléchit vers le centre, et qu'au centre, la vision panoptique ne fait de vous qu'un monde, ce monde, et rien d'autre que ça.

Goutte écoutait s'égouttant sur le canapé, le mépris de classe, l'engeance des nuages qui traitait ses semblables comme un amas vulgaire, malléable, corvéable, du combustible que l'on fait descendre à la mine, patauger dans la boue infâme, puis qu'on fera remonter, lorsqu'on aura besoin. Monter et descendre. Goutte en connaissait tant qui rêvaient des hauteurs, se voyaient déjà installées plus haut que cimes, de façon permanente, dans le velours ouaté des nuages. La puissance des éclairs pour pouvoir acquis, le déluge comme sentence absolue et l'ombre comme punition.

Goutte n'y avait jamais cru. Lorsqu'on est une goutte, on est fait pour la vie de surface, bien abaissée jusqu'au sol, ou bien noyée dans la multitude indistincte du communisme océanique. C'était la plus grande peur de goutte de pluie, finir un jour incognito, dans le tumulte des eaux, parquée avec des milliards de semblables dans la promiscuité la plus totale, avalée dans la médiocrité, sans destin singulier, sans trait idiosyncrasique.

La vie d'une goutte c'est de courir vers la carotte que tendent les cieux pour monter au plus vite, et chuter lourdement sur le sol pour alimenter de sa vie le confort de tous ceux qui, bien installés dans les cieux, pissent et vomissent sur nos têtes, jour après jour, le mépris pour les gouttes de pluie.

Qu'ont-ils de plus qu'elles? Rien... Ils sont nés là-haut, voilà tout, rien ne pourrait les décrocher, pas même les mains des enfants qui se tendent vers eux pour les écorcher. Tout le monde les regarde. Ils sont si convaincus de cela qu'ils paradent trop fiers, tiennent des conciliabules télévisés à travers lesquels ils jettent pour les mécréants quelques miettes de sagesse, deux trois bons mots et leur connivence infecte qui donne l'impression aux déchus d'être une part de leur monde...

Touchés par la crasse, voilà ce qu'ils sont. Ignorance intellectuelle de ceux qui n'ont jamais eu l'humilité de devenir quelqu'un d'autre, l'ignorance du coeur de ceux qui ont pris l'habitude d'imposer leurs valeurs, de faire de leur sensibilité la loi universelle de tous les mal nés.

Goutte de pluie dans sa fosse les connait, elle les connait si bien parce qu'elle a emprunté leurs pensées, leurs goûts, leur valeurs. Goutte de pluie sait tout cela, elle l'a senti, elle les comprend et pour cela les méprise bien plus. En fait, ce qu'elle méprise ce n'est pas eux, mais plutôt le le système aristocratique implacable qu'ils travaillent à incruster dans la nécessité au même titre que des lois physiques. Et tout cela marche si bien, que pour ses semblables, il en a toujours été ainsi et il ne pourrait en être autrement.

Goutte de pluie, dans un rayon de soleil, réfracte la lumière et peint tout autour d'elle de petits arc-en-ciel, tandis qu'en haut les majestueux nuages pataugent dans l'excès d'eux-mêmes, en nuance de gris et blanc, filent la même histoire, déversent les mêmes inepties et se montrent au final si insignifiants que ce sont les yeux des idiots d'ici-bas qui leur prêtent couleurs et formes, et brodent des histoires avec ce qu'ils ont dans leur coeur roturier.

Les cieux ne diraient rien si nous ne les faisions parler, pensait goutte de pluie, voyant poindre la nuit qui panse l'azur de ses plaies cotonneuses et fait briller dans son abîme les yeux sublimes des astres lointains.

Goutte de pluie sur son canapé s'égoutte sans bruit et lance vers les cieux, en écho à la nuit, le geste décidé d'un tableau qu'on essuie.