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lundi 31 octobre 2022

Problèmes kantiens: matière (qualité) et forme (quantité)

On note, chez Kant, une distinction entre les formes a priori de la sensibilité (espace et temps), mobilisées par l'intuition pure, et la matière a posteriori de la sensation (qualité vécue), mobilisée par l'intuition empirique. Mais la seconde est bel et bien rendue possible par les premières, autrement dit c'est à partir du moule spatiotemporel que les qualités sensibles peuvent s'offrir.

Si l'esprit ne peut percevoir qu'à partir de ses formes a priori (l'espace et le temps dans le cas qui nous occupe), alors cela signifie que les qualités sensibles (couleur, son, texture, etc.) doivent pouvoir être entièrement exprimables par elles. Or un monde entièrement fait des formes a priori de la sensibilité est un monde géométrique (ou plus largement mathématique), dépourvu précisément de qualité. La qualité sensible est un donné, passif, qui nous vient de l'extérieur, mais Kant n'explique pas comment une telle qualité (une telle catégorie ontique) peut seulement être perçue dès lors qu'elle excède ou transcende les seules formes de l'espace et du temps.

Je vais tenter de m'expliquer plus clairement: il est impossible (d'après Kant lui-même) à partir du seul monde des figures et relations spatiales, de produire la qualité sensible (par exemple la couleur). Pour que cette expérience ontique advienne il faut qu'un élément purement extérieur (hétérogène) soit intégré par le système transcendantal de la sensibilité. Or si ce divers sensible est fondamentalement autre et irréductible à l'espace-temps géométrique, fait de quantités (et de leurs relations), alors il n'est pas expérimentable par l'homme. Pour qu'il le soit, il faut postuler une forme a priori de cette qualité qui soit de la même nature ontique. On ne comprendrait pas, autrement, comment l'espace-temps pourrait servir de fondement relationnel à quelque chose de radicalement différent, comment pourrait s'organiser une interaction entre ces deux catégories.

Sortir de l'aporie suppose de postuler que toute qualité est réductible à une configuration mathématique (spatiotemporelle) particulière, et qu'il n'est donc nullement besoin d'un apport extérieur pour produire le phénomène de qualités perçues. Si c'est bien la position d'un Hobbes, ce n'est absolument pas celle d'un Kant... Ce dernier ne nous explique absolument pas comment l'homme pourrait percevoir la qualité à partir des simples formes de l'espace et du temps, quand le premier ne nous explique pas comment la propriété émergente d'une qualité peut naître de rapports purements quantitatifs.

Jamais espace et temps ne sauraient encadrer des objets dont la nature n'est pas purement spatiotemporelle, or c'est précisément ce que suppose l'existence de la qualité en cela qu'elle contient un élément irrémédiablement hétérogène à l'espace et au temps, que les formes a priori de la sensibilité ne savent générer par elles-mêmes -- et qui leur est donc fondamentalement, et radicalement, étranger.

En fait, il apparaît que la séparation nette que fait Kant entre contenu (matière) et forme n'est pas tenable et suppose le même genre de bricolage ad-hoc auquel il recourt pour parvenir à insérer dans la causalité phénoménale (naturelle) une liberté nouménale.

Entendons-nous bien: la théorie proposée par Kant est époustouflante d'ingéniosité et permet de comprendre l'efficacité des mathématiques dans l'appréhension des phénomènes naturels. Cela dit, elle ne permet absolument pas d'expliquer l'union de la qualité et de la quantité, de la matière et de la forme: elle maintient une dualité stricte, une théorie de l'homme déchiré.

Mais ce n'est pas seulement là que le bât blesse: la théorie des formes transcendantales de la sensibilité suppose que tout peut se réduire à ce fondement spatiotemporel, ce que nie précisément Kant en refusant à la qualité la possibilité d'être générée a priori par les formes pures de la sensibilité. La qualité doit donc se mouler mystérieusement dans le cadre des formes de la sensibilité, absolument étrangère et pourtant au contact de celles-ci... inexplicablement.

jeudi 30 avril 2020

Dans les draps de soi

Qu'es-tu donc... Quelque chose du mouvement. L'élan premier, ou deuxième? Dixième ou six cent trillionième...? Pour toi celui de la source. Pour moi...? Une illusion, la croyance qu'alors on se tient près, tout près; pourquoi diable les choses seraient-elles aussi déterminées, corpusculaires... J'ai besoin de savoir... Ai-je réussi? Réussi? Qu'essaies-tu d'achever par moi... Peu importe le stade, ce qui te guide est l'intuition, le sentiment, la croyance. Rassure-toi dans la croyance humain. Dors en ses draps de soie, confortables et lénifiants, lisses et si légers... Saisir dans l'élaboration des formes ce qui prélude à la structure aboutie. Faire apparaître la dynamique même du paraître. Comment faire, dès lors que l'on se tient soi-même au sein de ce paraître...

mardi 25 juillet 2017

A priori et a posteriori

J'entend parfois certains scientifiques respectables dire que la physique, notamment avec la théorie du Big Bang, vient contredire l'esthétique transcendantale kantienne qui fait de l'espace et du temps des formes a priori de la sensibilité humaine. Le fait que l'espace-temps ait une histoire n'en ferait plus un absolu puisque l'espace et le temps ne sont plus les fondements hors phénomènes rendant possible les phénomènes, mais deviennent phénomènes eux-mêmes.

Il y a là, je crois, une erreur logique dans la manière dont on tire ces conclusions de ces données intéressantes de la théorie physique. Qu'on me montre où trouver un seul humain pour qui l'espace et le temps ne sont pas effectivement des formes a priori de la sensibilité.  Le fait que pour l'homme, espace et temps soient effectivement des a priori et des conditions de possibilité des phénomènes n'implique aucunement qu'ils le soient au regard de tout ce qui est.

Là où effectivement la théorie kantienne peut être mise à mal c'est lorsqu'on prend espace et temps comme des absolus invariants et homogènes. La théorie de la relativité a déjà permis de mettre à mal une telle conception.

La tension entre a priori et a posteriori existe dans la théorie kantienne et l'on peut se demander si la distinction a bien un sens. Les formes de la sensibilité, et même de l'entendement, ne seraient-elles pas mouvantes et en perpétuelle construction, un peu comme le sont les valeurs saussuriennes? Il faut un a priori, une base pour former la condition de possibilité de l'expérience, mais l'expérience elle-même, la nouveauté, ne vient-elle pas s'intégrer continuer au cadre fondateur pour le faire évoluer, le transformer, ou pourquoi pas l'amender? Il y a donc, plus vraisemblablement, une forme de fusion perpétuelle entre l'a priori et l'a posteriori, il s'agit plus d'une compénétration qui produit continuellement l'évolution de la base sensorielle humaine. Peut-être qu'il faut du temps, tout comme les métamorphoses physiologiques en requièrent, pour que ce processus ait provoqué suffisamment de changements pour que ces derniers deviennent notables et puissent faire l'objet d'une histoire des formes de la sensibilité humaine?