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mardi 10 mai 2022

Protagoras

On se dit parfois, bien volontiers, que l'intelligence humaine est décidément très semblable à l'intelligence artificielle de nos ordinateurs. On se demande alors si ce n'est pas parce que l'intelligence en soi est ainsi faite: un ensemble d'interconnexions et de signaux électriques dont le réseau compplexe fait émerger la merveille de la conscience, et, en-deçà, de l'intelligence performative.

On se dit aussi, face aux fictions de notre cru qui nous impressionnent tant par la proximité de leurs représentations avec la réalité humaine, que nous sommes décidément à l'image de ces objectités, que nous en sommes les déclinaisons. Combien de fois ai-je entendu dire que nos vies semblaient étonnement semblables à la réalité virtuelle décrite dans le film Matrix. Ou encore que la réalité elle-même devait consituer un immense jeu vidéo, puisque les jeux témoignent d'une proximité étonnante avec l'expérience que nous faisons de l'existence.

Mais c'est là, et à chaque fois, une inversion malvenue de l'ordre des productions. Il ne faut pas oublier que si l'ordinateur est si semblable à certains de nos fonctionnements cérébraux, c'est parce que lui-même est conçu à notre image, à l'aune de ce que nous vivons de l'intellect. Et si les jeux ressemblent tant à l'existence que nous menons c'est aussi, très probablement, parce qu'ils héritent de la façon dont nous nous représentons en tant qu'acteur au sein d'un monde dont nous nous acharnons à exhumer les lois. Nous fabriquons des règles axiologiques à l'aune desquelles nous sommes à même d'évaluer la valeur de nos actes, de la même manière que des points rétribuent les actions de nos personnages vidéoludiques.

Toute la tentative des neurosciences de voir dans le cerveau et ses interactions physico-chimiques un fondement de la conscience est une étrange amnésie du fait que le cerveau lui-même, dans la manière dont nous nous le représentons, est une construction épistémique dont nous sommes les bâtisseurs. Et toujours nous succombons au réalisme a priori, implicite, qui nous fait prendre l'écran sur lequel nous projetons nos phantasmes pour le réel dont nous émergeons.

N'oublions pas le bon vieux Protagoras car c'est peut-être une vérité dont on gagnerait à se souvenir celle qui propose que "l'homme est la mesure de toute chose".

mardi 15 février 2022

Hume, Kant, et le problème de la causalité

Kant se réveillant de son sommeil dogmatique pour répondre à Hume parvient effectivement à réhabiliter la notion de substance en tant qu'elle est l'objet constitué par un phénomène à l'aide d'une synthèse du divers sensible par l'intermédiaire de catégories, notamment celle de causalité. Ce que Kant parvient à faire c'est changer la nature épistémique de la causalité, qui passe du statut de concept produit par induction à concept a priori, transcendantal, et absolument nécessaire à ordonner toute expérience -- ce qui revient à dire que tout le donné sensible, c'est à dire la matière de nos perceptions, doit être passé au filtre de cette catégorie de causalité. La conséquence en est bien la valeur nécessaire et universelle de la causalité: c'est à partir d'elle que se constitue l'expérience du monde sensible, et il n'est donc pas juste de dire, comme le faisait Hume, qu'elle n'est que l'hypostase branlante d'une hypothèse émise par la répétition d'une certaine association entre deux objets ou événements.

Toutefois, ce que n'a absolument pas fait Kant en répondant à Hume, c'est de permettre à la science d'affirmer de manière apodictique que les relations de causalité qu'elle détermine entre les phénomènes et les objets qui se donnent à travers eux, sont vraies, de manière nécessaire et universelle. En réalité, ce n'est pas parce que la catégorie de la causalité est devenue transcendantale, a priori, et qu'elle est donc formellement apodictique, que son contenu actuel, c'est à dire la manière dont elle est appliquée à un divers sensible, l'est aussi. Pour bien comprendre cela, nous pouvons prendre l'analogie du syllogisme. Un syllogisme peut très bien être formellement correct et pourtant totalement faux du point de vue du contenu.

Lorsque j'affirme: tout ce qui est rare est cher, or un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher, je ne fais rien d'autre qu'employer une forme logique éprouvée de manière érronnée: l'erreur se glissant dans le contenu qui se fond dans ce moule formel.

C'est exactement le même problème qui se pose aux jugements scientifiques, même après la remarquable révolution coppernicienne de Kant: le lien causal a beau être justifié formellement, il n'en reste pas moins matériellement soumis à l'erreur. Et ce n'est pas parce qu'il est nécessaire que tout phénomène possède une cause par laquelle il est engendré, que les associations causales que la science va définir seront exemptées d'erreur. Je peux très bien associer au fait d'avoir brûlé un cierge ma réussite à un examen, sans pour autant que cela soit juste, et sans pour autant remettre en cause la nécessité qu'il existe véritablement un faisceau causal explicatif de cette réussite.

Ainsi, le travail kantien n'apporte rien à la confiance que peuvent avoir les scientifiques en leurs hypothèses et leurs modèles explicatifs. Ils sont tout autant soumis à l'erreur, qui elle, ne peut se reposer uniquement sur l'expérience et la contingence inductive afin d'être éventuellement débusquée. C'est pour cette raison que Popper énonce un fait important en prêtant à l'expériementation un pouvoir non de validation des théories, mais de falsification. Nous ne possédons aucun critère nécessaire et indubitable pour affirmer qu'un modèle explicatif est absolument vrai. Et tout ce qu'affirme Hume en la matière demeure totalement valide et en accord avec l'expérience.