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lundi 8 mars 2021

Déchirement idéaliste

 La conscience est un raffinement évolutif d'une telle dangerosité. Cette capacité à se métamorphoser si vite excède largement la temporalité biologique du vivant et, plus généralement, de tout écosystème relativement stabilisé. Elle surcharge d'idéalité le réel et emmène l'esprit par-delà les phénomènes, par-delà les lois établies, pour inventer un ailleurs toujours plus désirable. En accentuant certains signaux, tels que celui de la limite ou de la contrainte -- certainement pour un motif évolutif tout à fait louable et qui devait consister à pouvoir développer des solutions alternatives pour augmenter le champ d'action humaine --, la conscience mène assez naturellement vers deux horizons: la destruction pure et simple du corps en tant qu'entité contraignante dont il faut s'affranchir (c'est tout à fait ce qu'il se passe dans nombre de spiritualités où le corps est vu comme un obstacle qu'il faut dompter), ou bien sa transformation rapide, c'est à dire sans se plier à la temporalité lente des mutations naturelles d'une espèce (c'est précisément le cas du transhumanisme).

La conscience projette l'homme si loin au-delà de son corps, et même des corps en général, que le monde phénoménal perd sa consistance et semble ne plus pouvoir servir d'assise, de structure stable à partir de laquelle fondre son comportement. C'est au monde de s'adapter à cet esprit intrépide et illimité, qui porte ses regards bien au-delà des frontières du visible, et pour cela interroge l'état actuel des choses, le remet en cause, cherche à le transformer à son avantage, à son image surtout. On comprend aisément en quoi une telle fonction peut être utile à la survie d'un être comme l'humain, et le problème ne réside pas en sa qualité mais en sa quantité. La conscience s'érige comme fonction de rupture des équilibres, et si la marche est une telle opération répétée, il faut, pour tenir debout, savoir circonscrire le déséquilibre en d'étroites bornes.

Pourquoi tant d'artistes et plus généralement de gens à l'esprit foisonnant meurent si jeunes? On peut mourir d'impatience face au monde et à soi, mourir de déchirement idéaliste.

mardi 22 septembre 2020

Journal de l'entropie

Un journal, depuis tant d'années. Et pourquoi? Un journal adressé à douce entropie. Un journal où chaque écrit anticipe déjà son funeste destin sur des pages jaunies par le temps, et aux bords racornis...

Un journal...

Le témoignage silencieux d'un destin anonyme. D'une psyché singulière au fond des multitudes. Une voix, un récit de qui n'ose pas se raconter et patiente tapi dans les replis de l'âme qu'autrui vienne étaler les lignes mélodiques, enfermées dans une mansarde oubliée d'un esprit effrayé.

J'écris depuis toujours, depuis les balbutiements de la langue dans mon cerveau. J'écris une vie parallèle qui s'étend indéfiniment dans un espace jumeau. Il n' y pas de lien causal entre cette histoire inventée et le phénomène mondain d'un corps qui continue sa route. Et lorsque je ferme les yeux, et me concentre alors, pour tenter de penser sans mots l'identité écrite, il n'y a rien que perceptions présentes, sensations qui se fondent dans la permanence d'une continuité autre. Je vois comme tout le monde, la cuisine allumée, le ciel illuminé, j'entends les sons de tous les jours, ressens les mêmes angoisses, les joies, et tous ces wagons de vécus qui se tiennent la main pour chanter l'entropie. Mais il n'y a rien de ces concepts, de ces images que seuls les mots peuvent invoquer, de ces divisions analytiques, ces distinctions conceptuelles, rien de ces métaphysiques diaprées que, pendant longtemps, j'ai cru mon milieu naturel.

Je vis dans le déséquilibre de ces mondes dispersés.

Quel rapport entre les doigts qui tapent les touches d'un clavier et la signification qu'elles sont sensées produire? Quel rapport entre les doigts grattant les cordes, entre les vibrations sonores et ces images que la musique invoque, ces sentiments qui en résultent...?

Un journal.

Comme une partition pour un seul interprète; qui rêve d'être jouée par d'autres.

Un journal pour l'éternité.

Un chemin relatif pour joindre l'absolu.


Source musicale: