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vendredi 19 novembre 2021

Cadavre de ma vie

 Il y a trois jours, j'ai eu en m'endormant, une idée littéraire. C'était à ce moment où la conscience se relâche enfin et laisse s'écouler de sa synthèse tous les instants de vie qu'elle contracte autrement. C'est toujours en ces moments que me viennent les plus belles phrases, les plus beaux vers, les idées les plus vraies, comme tomberaient de soi les écailles les plus intimes et sincères.

Combien de fois est-ce arrivé... Malgré la fatigue, l'idée s'empare de l'esprit, l'esprit la fait tourner, la pétrit un peu, mais point trop -- le joyau brut semble déjà poli. La phrase, musicale, résonne dans la tête entière et semble animée d'une vie qui trépigne d'être enfermée, prisonnière d'une vacuité intime qui mâche et digère dans l'oubli tout ce qui pourrait pourtant être.

Combien de fois ai-je réitéré ce choix de ne pas me lever, d'entendre cette vie en moi bruisser de tant d'ardeur, peu à peu étouffée par l'indifférence du temps qui se referme sur l'avènement d'autre chose.

À vrai dire, cela fait bien longtemps que je ne me suis plus levé pour ma vie d'écrivain... Me lèverai-je un jour? Ou faudra-t-il que je noie moi-même encore et encore, par inertie dévastatrice, ces portées de chatons dont les échos fantômes hantent mon âme aujourd'hui? Combien d'hypogées mon cœur abritera-t-il en sa crypte funèbre?

Mais surtout: est-ce qu'un jour viendra où les Muses ne chanteront plus dans mon âme, pour me punir de ne m'être pas levé pour ma vie, mon destin?

Et la nuit sera sombre et silencieuse, ô combien je pourrai dormir alors, dans le cadavre de ma vie.

mercredi 10 novembre 2021

Mon enfance

 J'eus, contrairement à de précoces artistes, une véritable enfance. Je ne suis pas un Pessoa qui affirme que son style a toujours été formé, dès le début de sa pratique littéraire. Dieu que l'élaboration du mien fut longue: il suffit de relire mes textes d'il y a dix ans, voire moins... Tous ces textes d'une médiocrité éclatante ne seront néanmoins jamais retirés de ce palais mémoriel. Ils resteront comme les témoins muets de ce que je suis: un homme comme les autres, dont l'obstination absurde a su produire, avec la lente maturation de saisons successives, une terre quelque peu fertile, où poussent, après l'inquiétante mousson du tourment, une flore rédemptoire et colorée.

Car je suis devenu, à force de persévérance, une canopée littéraire sur sol vivant. Le réseau mycélien de mes forêts semble parfois si vif et si peuplé, qu'il relie chaque lettre à d'autres galaxies. Tout cela bouillonne d'une vie effrénée, invisible, qui parle à tout instant vécu à ce fol Inconscient, durant la moindre et infime expérience -- depuis les voyages en voiture, jusqu'à ce triste et froid ennui des soirs de solitude. Un dialogue souterrain prend place en permanence.

Voilà bien ce dont témoigne, j'espère, ce sillon singulier. Qu'il ait tracé d'insignifiants dessins sur l'étoffe du temps n'est pas un fait honteux. La vie n'est qu'un brouillon éternellement recommencé. Le non-espoir d'un idéal néanmoins poursuivi.

Je vous laisse tout, tout l'écheveau de ces tentatives, ces complaintes entropiques adressées à l'éther. Advienne que pourra de tout ce flot de vie qui bourgeonne et éclot en fleurs envenimées, nourries par le fumier fertile d'une souffrance chaude.

J'ai bel et bien une enfance. Ces bouquets de poèmes sont le produit d'un long faisceau causal qui plonge ses racines dans le néant des origines. Mais plus modestement, dans les déterminismes sociaux qui m'ont mené à ne plus pouvoir me passer d'écrire l'existence en un chant silencieux vomi sur les cahiers et les mémoires numériques. Je n'ai pas honte de n'être en aucune manière responsable de ce que je suis devenu. Je ne crois pas en la liberté. Je remercie les cieux, mes parents et tout ce réseau de brûlure que forme ce vain monde d'avoir produit, inexplicablement, ces quelques notes bleues qui font des rares moments de création poétique, les parenthèses d'une vie qui puise en elles l'énergie et le souffle gonflant encore mes voiles.

J'irai au bout de ce voyage; déversant ma musique dans le néant atone.

mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

Éclipse

Assis au toit sans lune ignoré des cieux vastes, je sens dégringoler de moi les tuiles du bonheur -- Descente chromatique, chute discontinue: ira-t-on jusqu'aux limbes? J'ai mal d'être un humain.

Il faudra bien que l'âtre refroidisse dans le foyer des gens sans foi; Il faudra bien que je m'éclipse; il faudra bien -- tôt -- redescendre.

mercredi 6 octobre 2021

Noyau d'agonie

Ce n'était pas un jour ni même un soir, je buvais au comptoir, dans la meute, seul au milieu de la horde, seul même au sein des paroles, pas une phrase qui ne soit pont-en-feu.

Ce n'était pas un jour, non... Et pas un soir non plus. Disons que c'était un matin, l'aurore grise d'une rentrée scolaire, avec ces couleurs de fin de liberté, le doux arôme de la servilité.

Je buvais au comptoir un feu qui, sans nul doute possible, conçut bien des mondes. Roger qui parlait de sa femme, plutôt de son fantôme -- a-t-elle seulement existé? Ou n'est-elle que la créature de ces flammes que nous avalons goulûment? En écoutant Roger, je savais, quelque part au fond de mes barbelés de souffrance, qu'il s'agissait de moi, d'une ombre de mon rien dont, je dois bien l'admettre, je n'aurais su moi-même ourdir le vain concept... Je finis par lancer à la forme en face de moi: et si tu prenais ta rombière et que tu la foutais sur le trottoir, là, maintenant? Qu'est-ce que tu racontes, bredouilla-t-il étonné. Ramasse tes souvenirs abjects, tous tes petits cailloux de solitude, et fais-t'en un bouquet (n'est-ce pas déjà ce que tu fais avec ces phrases que tu me jettes à la figure comme un amant vexé?). Ce bouquet, ensuite, plante-le dans le bitume, au milieu de la pisse et des vomis (dont il faut bien le reconnaître, tu es en partie responsable...), et vois si un golem embetonné ne sortirait pas du goudron, fumant et chaud comme la femme que tu couves en tes fours de souffrance! Va, sors et prie aux cieux ineptes, ils aiment avoir pitié de nous, plante-là ton vain bouquet, ton petit entrelacs de souvenirs anisés, et regarde tes désirs prendre forme. Arrose-toi encore, bois les flammes de l'enfer, deviens un grand dragon et souffle sur le monde ta vérité furieuse!

Ce n'était pas un jour, ni même un soir, Roger était sorti, il tapait de ses poings la rue seule et souillée, pour y planter sa graine, son noyau d'agonie, sa semence mort-née.

lundi 4 octobre 2021

Remède contre soi

Et quelque poudre astrale sur les yeux, en pluie fine sur la cornée, quelques images qui éclosent, comme les fleurs du présent -- et puis ne plus voir que cela.

Encore un jour qui entaille, un réveil grinçant sous la nuit sans repos.

Et quelque essence de fond diffus, un glouglou tiède dans la gorge, avale tous tes songes et vomis sur ton âme un réel inventé.

Encore!... Encore un drame sourd, atone aux infinies couleurs -- vois comme il est joli! Il a les nuances du réel, inépuisables et folles, et plus fantaisiste qu'un rêve.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, qui n'a jamais cessée... Je les entends qui raclent à mon plafond -- le mobilier. J'entends déjà le sommeil qui me nargue, et tralalalalère, le vieux marchand de sable est des gens du voyage, on ne l'attrape pas, il part nos songes plein les poches, il est plein de panache, tandis qu'à force l'épuisement te ronge, t'arrache des lambeaux de peau, de joie, d'éternité flamboyante, de courage et d'estime -- des membres de vitalité autour d'un vain cœur souffreteux.

Et quelque poudre astrale, sur la cornée, dans les naseaux, épices sur la peau, fixer des yeux hagards sur le voile de Maya: je cherche mes pinceaux, j'éclaire un tissu noir.

C'est le soir? N'est-ce pas déjà l'ourlet liminaire d'une aurore? Qui ne veut pas finir, en recommencement, des vagues sur la grève, baïne qui m'emporte, au large sous les flots: à bout de souffle, à court de souffle, faisant face aux poissons à qui je vole un peu d'air pur... Je vois un horizon, est-ce le ciel ou le sol? Abysse ou firmament? Et si je nage par là-bas, monter c'est redescendre et s'en aller n'est plus partir... Je demeure, je reste, substance, sous-jacent à mon être, qui se dilate, avec le reste de cet univers effervescent: aspirine d'un dieu éthylique.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, nulle part je m'en vais... Et sans bouger je pousse à peu la porte, à peu, à peu, je pénètre l'envers... Sans bouger. Toujours là, calé, comme la lune en sa nuit étoilée, bordée de Voie Lactée. Il paraît que c'est le vide omniprésent qui débonde de lui, des paquets de clarté.

C'est bien la même nuit, à tout peser, je m'en vais, nulle part, sans partir. C'est par la tête qu'on pourrit, les yeux d'abord poudroient de rien, le voile est sans pourquoi... Pas de remède efficace contre la conscience, rien de définitif. Il faut attendre un cœur battant de nuit, pour que les yeux s'éteignent -- reflets? De quoi s'il vous plaît, de quoi... Lorsque la nuit est soi.

jeudi 30 septembre 2021

Le champ des négations

Je connais mille gueules cassées qui, renversées comme un liquide épars, dégueulent un râle-en-rythme où se reconstitue la lune, le ciel et ses astres sereins. La poésie déborde de bouches édentées par un destin d'humain qui, voyant une ressource, enfonce ses outils, creuse jusqu'au noyau pour puiser un diamant. Tout cela forme des ruisseaux auxquels personne ne prête vraiment attention, à part les enfants sans projet qui construisent un radeau pour le voir s'éloigner, rêvant d'être à son bord et de fuir outre-monde. Nous avons l'âme au ras du sol, cherchant nos dents sur le pavé, tandis que s'écoule des plaies, l'hymne stellaire de notre nostalgie.

Je marche les pieds dedans: j'ai le poème comme enlacé aux chevilles, et des milliards de radicelles pendant de la plante de mes pieds -- et ceux qui savent regarder ne peuvent pas ne pas voir un arbre aux étoiles branché. Entre le ciel et la terre: les poètes, dont la sève est temporelle et ne s'attrape pas, tout comme les nuages que l'on aimerait saisir.

Peut-être qu'il existe plus d'espèces vivantes que l'on ne s'imagine, peut-être qu'à l'humanité se greffent quelques races d'espèces foraines et rebelles, qui marchent dans son ombre et recyclent les scories d'une croissance soudaine. Nous sommes les mange-douleur de la réalité en marche, d'une réalité, que vous pensez être la seule, et que certains nomment Réel... Fous que vous êtes. Que dire de nous qui vous suivons, synanthropes par défaut, suivant le fil humain dans un sillon de soufre, couturiers du tourment.

Hybrides et bicéphales êtres, deux visages pour être, deux cœurs pour soutenir les défaillances, deux néants, deux Touts, deux comme la division qui déchire et laisse une unité d'abîme écorchée vive, aiguë, brûlante comme la piqûre du monde.

Je reconnais mes semblables dans le délabrement de leur enveloppe, dans l'haleine avinée, dans cette tentative de tatouer sur son corps les signes du tourment, dans la beauté des ruines qui subsistent en rappel que le jaillissement d'un autre monde est bien toujours possible.

Sous les vilaines hardes qui forment le vaisseau sensible, j'entends bien malgré moi le cœur lumineux de vos âmes qui chante la présence des négations fertiles.

jeudi 23 septembre 2021

L'étrange projet

C'est un sable dense que je creuse, trop dense pour mes bras. Mes jambes, sous le poids, flageolent et puis défaillent. Ce n'est que bien péniblement que je parviens à me tenir dressé, à chaque pelletée qui me propulse vers de nouveaux degrés de la souffrance. Mes muscles se contractent, je les sens qui me brûlent, et tout mon épiderme épileptique semble battu par un souffle de vie qui cherche à s'évanouir ailleurs.

Je creuse, consciencieusement, seconde après seconde, récolte dans la lame la substance des jours, que je rejette derrière mois, sur le monticule grandissant  des scories de cet indéfini projet de vivre. La vérité est dans l'abîme, je creuse à m'en rompre le dos, déchirer les tendons, jusqu'à n'en être qu'une larme immense d'inepte obstination. Chacune de ces douleurs constitue un écho que le réel consent à renvoyer à nos curieux appels. Et nos cris reviennent avec la même intensité, avec plus d'épaisseur et démultipliés.

lundi 20 septembre 2021

Play Stop Repeat

Arrive un stade où la vie ne semble plus rendre aucun son. On a beau marcher le long des jolis quais de la Garonne, avec le soleil étincelant sur l'épiderme fluviatile, tous ces éclats d'en haut nous sont des larmes qu'on n'a su pleurer...

Même le pas, qui pourtant porte par-delà l'instant, n'est que le métronome d'une musique qui ne veut pas commencer, qui s'est peut-être comme annihilée de bonheur dans la projection de sa fin.

La ville ne semble offrir que des docks, gris, couleurs de pierre sale, avec la rouille des containers incrustée dans chaque image. L'air a les odeurs de choux qu'ont certaines cantines le matin, et même les murs blêmes ont la mauvaise haleine.

Une baleine sortirait des flots de ce port fluvial, je n'en serais ému. Peut-être cela me divertirait-il, l'espace de quelques pas, dans la scansion de rien. Peut-être mes yeux avides de nouveauté iraient-ils boire le spectacle improbable avant de se rappeler tout ce qu'ils ont déjà vu, des centaines de fois, cinématographie du monde charriée par fibre optique, au goulot des prises murales.

Bordeaux maritime, ô combien sonne exotique ce nom à mes oreilles -- qui jouent les portes grinçantes entre l'enfer forain et l'intime Géhenne --, et néanmoins le claquement de ma semelle retentit dans l'espace vacant d'un quai de vieux pavés dégueulant la grisaille sur des bâtiments d'industrie. Même au soleil ces quais sont gris.

C'est tout de même pathétique, je veux dire: reléguer comme ça le monde à un décor de tragédie, la sienne, qui n'intéresse personne et que l'on visionne à longueur de journée parce que presque plus rien ne nous pousse à agir... Mais c'est ainsi. Les gens des accessoires pour des metteurs en scène tyranniques et sans espoir, qui ne savent agencer un espace qui parle de bonheur dompté. Le bonheur, est dans la dissolution des espaces ordonnés, des conventions, des files d'attente, des chemins tout tracés où tout un chacun s'engouffre prisonnier. Le bonheur dans l'éclatement de la scène, dans l'envers du décor -- pour peu que l'on parvienne à ignorer qu'il fait aussi partie du spectacle. Si l'on savait se contracter dans un présent absolu alors... Peut-être serions-nous heureux, puisque sans existence.

Je travaille, toute la journée, et quand je prends des pauses je ne sais plus me reposer. Je pense à la reprise, je suis déjà entièrement dans cet après. Il n'y a aucun répit: juste l'interminable répétition du même cycle dont l’interruption même n'offre aucun réconfort -- car elle n'en fait que trop partie. J'existe dans une distance impalpable où se délite tout entreprise: ma conscience s'étire, antérieure au Big-Bang et presque postérieure à l'univers en cours. Je gis, dans une durée si vaste qu'elle me réduit à un point sans surface, position jamais occupée, idée, concept, et puis que sais-je encore. La conscience ne fait que s'étirer, d'un bout à l'autre de la connaissance, elle est le monde, elle est le Tout qui manque le Réel.

Les couples, corsetés dans leur costume dominical, se tiennent la main en léchant les vitrines -- car les magasins ici ne ferment plus jamais. Ils continueront plus loin, peut-être jusqu'au pont, tout au bout de l'allée. Puis ils feront demi-tour, iront rentrer chez eux, préparer le repas, échanger quelques mots, visionner un feuilleton, faire l'amour, éteindre pour tout recommencer. En quoi cela constitue-t-il une alternative? Dimanche est déjà un Lundi, Lundi déjà toute la semaine: il faudrait qu'elle naufrage, idiote heptagonale, dans un oubli de soi pour que se détricote enfin cette route monotone. Je pense à tous ces étudiants, jeunes et moins jeunes, qui tapent contre les murs de leur cerveau, Vendredi et Samedi, à intervalles réguliers, réclamant, comme ils peuvent, à ce que leur ouvre un empathique geôlier. Ce ne sont que leurs mains qu'ils brisent par leurs coups répétés, et la porte vers l'Ailleurs demeure sous leurs yeux, grande ouverte, sans qu'ils n'osent regarder... Alors... Alors ils trouent leur cœur pour que le poison qu'ils y mettent puisse s'évacuer -- et tout recommencer.

Des pauses, dans un grand flux linéaire de vie: Clotho les a baisé sans qu'ils n'aient rien sentis.

Marcher est harassant, toujours plaquer un rythme décomposable à l'infini, en une suite ordonnée de gestes récurrents menant de rien à rien. S'arrêter, les coudes sur la rambarde en bois, faisant face à l'autre rive, lointaine et pourtant déjà là. Les bateaux vont bon train, découpent dans l'eau agitée leur sillage d'écume bien vite ravalé. Eux aussi scandent un seul rythme. Interrompu, bien sûr, par le roulis du sommeil nocturne, rythmé, lui aussi, par une inlassable houle -- du moins qu'on juge ainsi, peut-être injustement. On a peut-être cru, une seconde ou deux, qu'ils pouvaient être heureux, ces bateaux. Pourtant ils sont pareils à nous, attendant leur refrain dans l'éternelle rengaine de tout. Ces maudits refrains geignards, qui brisent le couplet unique, et nous ramènent à eux aussi sûrement qu'un ressac de grand coefficient. Ad nauseam. Si bien que nous sommes tous les sales refrains d'une chanson usée.

On a bien tenté de semer quelques idées dans l'alme flanc des eaux, mais rien ne demeure à flots, les songes coulent vers les fonds limoneux, épousent une vase incolore, ballottée mollement. Même les images n'ouvrent aucune brèche dans l'implacable réel monochrome... Pas moyen de suivre une histoire, de tisser sa toile sur l'écran des choses et d'y projeter l'Inconscient qui rêve d'autres temps.

Autres temps... À quoi bon. Un temps, un rythme. Un rythme, un cycle. Et tout cela s'enroule autour de soi en faisant du sur-place. On est peu différent à soixante ans qu'à vingt... On a simplement beaucoup trop de souvenirs pour s'émouvoir encore.

Heureusement qu'ailleurs, un doigt pressera le bouton stop. Dans la matrice à faire des mondes, une ligne instrumentale alors cessera. La bobine finira sa rotation, la bande magnétique sera rendue à son insignifiance -- et c'est tant mieux. Même les tubes finissent par ennuyer.

dimanche 19 septembre 2021

[ Madrudaga ] Honey Bee

Honey bee, ce n'est pas toujours comme on dit, les contes, les romans, n'ont pas toujours raison. Entre le mièvre paradis et l'insondable drame combien d'outrancières nuances? Vois l'arc-en-ciel des souffrances qui monte de la terre pour s'y replanter sûrement.

Tu sais rien ne remplace un arc-en-ciel lorsqu'il retombe dans la terre... Alors je pars au milieu de la nuit, avant l'aurore triste qui brûle nos étreintes dans un jour scialytique. Tu ne voudrais pas te réveiller avec un écho de mon feu dans un odieux linceul... Non ce n'est pas sérieux.

Honey bee, pars en même temps que la nuit. J'habite dans ta fièvre, elle ne doit pas s'éteindre, je circule en ta sève, gorgé de sensualité. L'aube n'est pas assez chaude, nous finirions piégés... Dans l'ambre d'une froide étreinte. Le jour est la Méduse qu'il ne faut regarder...

Viens cependant, chaque fois que s'éveillera ta corrosive passion. Ma fleur est sans saison, elle s'ouvre à ton appel. Viens honey bee, viens quand ton sang bouillonne, boire de ma vie le sel. C'est l'âme de mes nuitées blanches qui sur tes joues ruisselle.


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique  de la chanson intitulée "Honey Bee". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.


 

samedi 18 septembre 2021

[ Madrugada ] I'm no sun

 You better run hun, cause I'm no fun.

Courir à travers les cimetières, le long des pierres tombales, rectangles marbrés de chagrin, ô portes du silence.

N'essaie pas de marcher à travers la lumière, vois le soleil est froid, il a le teint d'abysse de mes yeux noirs. Reste au creux de ces ombres, vermine ventrue qui court à travers les tombeaux.

Je suis un cri, je suis un cri qu'on ne peut contenir. Un cri creux dans ton ventre lorsque tu crois dormir.

Rien ma jolie, rien jamais, non, ne me réveillera.

Ne marche pas dans la lumière, cours à travers les cimetières, des roses fanées sur le gris des cailloux, des portes closes pour jouir n'importe où.

You better run, hun, cause I'm no sun.


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique  de la chanson intitulée "Vocal". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.

 


 

vendredi 17 septembre 2021

[ MADRUGADA ] Le monde sous la terre


 

 

Savais-tu qu'il existe des bleus, oh des bleus infinis, dépourvus de noms et par là ignorés de nous?

Des bleus de la pluie aux bleus de la peau, tessiture de la nuit. Bleu cent mille volts à travers mes synapses, univers impossible, bleu jusque dans dans les fusibles, et quand tout cela pète, mauvais bleus sur la tête, tesson couleur marine.

Même les usines ont des ronrons de bruine entre un gris bleu de galets rond et l'anthracite des métaux. Bleu jusque dans les échos, le temps d'ici donne des coups, et le soir dans les bars, c'est l'âme en blue. On boit tous alignés dans des grands verres percés des gorgées d'âme en blue.

Blue note, en guise de parasol, cocktail enflammé pour brûler l'estomac, certains y voient le lieu de l'âme, passons ça au napalm.

La pluie battante emporte mes idées dans des affluents de grandeur qui lèchent un caniveau. C'est comme ça qu'on existe! Petit joueur de flûte... C'est comme ça qu'on charrie sa cohorte de rats, son petit paquet d'heures vers le rideau final. Radeau fatal en arpège mineur.

La Terre est bleue, partout, orbite aqueuse qui danse autour du feu, ma colonie de notes, bleues -- toujours ces notes ont été bleues; ma colonie honnie, je t'emmène à la mer, ouvre les yeux sous l'eau, contemple la lumière, avale tes prières, chuuut, C'est comme ça qu'on vit... Ou qu'on existe, ou qu'on dérive, ou qu'on erre sans air dans les bleus de l'amer; oh pourvu que soit bleu le monde sous la terre...


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique d'une chanson intitulée "Vocal". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.

 


 

jeudi 9 septembre 2021

Ce qu'est le ciel

 Je me suis égaré dans les mots, sans savoir qu'y trouver. Je suis inconstant, jamais je ne fais que passer, j'entre avec tant d'intentions, puis aussitôt m'en vais. Je me demande à quel point je mérite le peu de mon succès...À quel point je suis inférieur à ce que les gens croient, combien ces fondations sont des sables mouvants où, quotidiennement, je m'enfonce et me noie.

Je ne sais donner à la vie les vives couleurs qu'elle mérite. Ma propre vie serait bien mieux usée par une âme nouvelle. Une âme qui en aimerait le goût, la saveur, dans son essentielle substance. À moi, je dois avouer, elle demeure indigeste. Il n'y a qu'indéfinis épices pour me la rendre heureuse, le sel m'est essentielle et la vie m'est cruelle.

Une souffrance qui se repose, en une conscience lucide, voilà tout le bien à attendre, voilà ce qu'est le ciel.

lundi 6 septembre 2021

Gods

Oh nous avons tout le temps du monde. Toute la consciente lucidité aussi brûlante que des étoiles folles. Que ferons-nous alors? Quelle qualité de l'être froisserons-nous dans la contemplation atone de l'instant? Et pour quel horizon? Quel idéal ardent de distance infrangible nous faudra-t-il convoiter enfin?

Nous avons tout le temps du monde.

Pieds suspendus sur la pointe de lune, avec les reflets mordorés de la mer en-dessous. Ligne de l'âme enfoncée sous les eaux: océan de la vie qui porte mes espoirs et ouvre ma prison sur l'indéterminé des nuits.

Nous avons tout le temps du monde.

Et se connaître est insensé. Nous avons tout le temps du monde, il ne faut pas surtout, surtout pas se presser.

Il y a, tu sais, dans l'écheveau des limbes, des notes amères et cruelles qui parent le silence de profondeurs d'abîme -- et ces limbes sont miennes. Et comme mon reflet, alors, obombre ma cellule et resserre les murs de ma durée-demeure. L'enfer est un fragment de soi. C'est pourquoi je m'enfuis dans tes dessous de soie.

Nous avons tout le temps du monde.

Pour mourir doucement. À l'ombre de feuilles éméchées.

Nous avons tout le temps, tout le temps, tout le temps!

Et des tonnes de souffrance pour ponctuer nos joies, l'existence est aphone sans la dissonance, il faut souffrir beaucoup pour s'extasier parfois.

Nous avons tout le temps, de cueillir le beau jour, ne presse pas tes doigts autour de cette gorge. Patiente et fouille un pot-pourri de tes durées, ouvre les yeux avale, liquide, l'immense ennui de vivre, l'absence d'absolu, le ciel est sans issue...

Nous avons tout le temps.

Mais il ne faudrait pas. Il faudrait bien courir, aller à sa recherche, pour écrire des livres sur celui loin perdu.

Nous avons tout le temps...

Impossible de vivre...


Source musicale:

 





mardi 17 août 2021

Grammaturgie

Ces jours-ci je ne suis plus terre, silice producteur qui fait jaillir de lui d'infimes canopées juchées sur les épaules d'un réseau racinaire immense. Je suis un jardinier. J'arpente mes forêts, sombres ou claires, mes prairies, mes haies, je taille de-ci de-là, j'étête, oriente, compose des bouquets avec les fleurs qui poussaient en désordre; en bref j'habille le réel d'un peu d'humanité.

C'est comme s'il m'était impossible de jouer ces deux rôles en même temps, de me faire jardinier tout en demeurant alme biotope. L'élan d'écrire est presque totalement tari par les nécessités de la grammaturgie (artisanat laborieux et patient) qui m'emmène promener dans les allées de ces jardins entropiques et leur esthétique dévastation. Je vis l'hiver de ma région créatrice; je consolide et entretiens l'entrelacs de mes rimes qui abrite cette part de moi qui ne saurait exister dans le monde tel qu'il est, et surtout tel qu'on l'a fait.

J'ai bien une maison, une terre, une origine, mais nulle patrie, aucun pays et encore moins de nation. Acosmique, si tant est que la grammaire poétique ne puisse être un cosmos que l'on porte en soi autant qu'il le fait.

Ô combien la poésie est une terre d'asile pour tous les philosophes non dogmatiques.

samedi 10 juillet 2021

Âme-sphère

Brouillon du 24 Septembre 2019. Étude sur les mots composés.
 
Chat-cheval riant sous la lune accoudé au bastingage des destinées-croisière.
Génie-de-jadis qui contemple l'idée du passé renfermant le concept qui l'inclut.
Orbe-opale où changent les couleurs sur le substrat neutre et indéterminé de l'idée même de cet objet - et de quelle couleur est ce substrat?
Orgie-clandestine où se vautre la possibilité d'un plaisir rebuté par les actes.
Moi-mélodrame projeté sur l'écran-vie d'une vacuité-conscience.
Vivre-vouloir le fallacieux-fantasme d'un temps-lieu hors-existence.
Chance-orbitale qui projette son ombre-satellite et qui reste à jamais hors de cet âme-sphère.
Point-néant d'où partent les rayons-regard: aller-retour et vive l'implexe fictionnel!
Holiste-néant parce que tout est durée-distance entre quelques non-points.
Mouvement-vie, traversée sans milieu, relatif-absolu.
Grammaire-algèbre aux funestes sentences.
Gène-alphabet puissance-infuse  promesse inexprimée.

Reflet de chien

Brouillon du 3 Juillet 2021. Exploration grossière de l'allitération et l'assonance.

 

Vertige de poings fendus

J'avance au ciel

Toit pourfendu

Les ans débondent

Ma peau se pèle

Vagabond de

Pixel


Écran du monde

Cornée binaire

Cathode intérimaire

Élan fourmi-liaire

Exode interstellaire


Train de hasard

Et quai de rien

Tain de miroir

Reflet de chien

Vin de tiroir

Papier d'étain

Clope et t'éteins

Oreille et main

L'oreiller vient

Cloue la caboche

À son destin


Maintenant éteins

Maintenant tes seins

Rêve en essaim

Blues à dessein

Blues à dessein


Blues à dessein



Blues à dessein

lundi 5 juillet 2021

Un pays dans un trou

Brouillon du 11 Février 2020.

 

Un pays
Dans un trou
Au fond du grand ciel bleu

Une porte
Que je pousse
Effaçant toute pluie

Sur ta peau
Dans la bulle
Un drapeau roux qui luit

Crâne
Un peu rebelle
J'offre mon beau profil

J'ouvre
Silencieux
La paupière sous les cils

Lumière
Des objets
Le monde est mon dessin d'enfant

Je lâche un long soupir
La tombe est le destin des gens

Mais un pays
Dans un trou
Au fond du grand ciel bleu

Une porte
Que j'entrouvre
Me porte à travers cieux

Un rideau
D'étoiles clairsemées
S'écarte sur l'envers

Un pays, un trou dans le ciel bleu, une âme qui la pousse
Un rire, un fond de cieux, Des mains caressantes et douces
Un songe, l'avenir, une cabane au fond des yeux

Je lâche un long sourire
Et me repaît d'une ombre au coin du soir tremblant

samedi 3 juillet 2021

Un monde aux six saisons

Brouillon du 30 Juillet 2020.
 
Un rivage.

Un rivage à travers l'émotion.
Rouge, mon sang ivre et feu, rouille folle, et à travers le voile:

Un rivage.

Ténu, mais possible.

À un parsec de distance, derrière l'incommensurable et tangible horizon.

Le voile se déchire et par-delà le sang: un monde aux six saisons.

Cidre du soir

Brouillon du 12 Septembre 2020.

 

J’arque-boute mes pensées

Cueille ivre ton regard

Dans le cidre du soir

Écume de noirceur