mercredi 10 janvier 2018

L'a priori, l'espace et le temps

Tout comme la science évolue par changements de paradigmes, permis conjointement par une libération théorique des modèles admis et par les progrès techniques permettant d'augmenter le volume d'informations disponibles, la philosophie semble soumise elle aussi à ses propres révolutions coperniciennes. À ce propos, je tiens à souligner qu'il n'y en a, selon moi, pas eu de nouvelle en philosophie depuis Kant. Ce dernier reste valable pour fixer le cadre épistémologique de notre époque. Une des preuves de cela est le fait qu'encore aujourd'hui, l'épistémologie proposée dans la critique de la raison pure semble encore pour une grande partie des protagonistes de l'aventure scientifique une véritable révolution; quant à la majorité des autres, elle demeure mal comprise. J'entends encore par exemple des physiciens tenter de mettre en défaut, de manière hâtive et comme si cela allait de soi, les théories kantiennes sur le sujet d'un espace a priori et uniforme. En effet la physique relativiste nous a ouvert les yeux sur la nature dynamique de l'espace qui, loin d'être une seule condition de possibilité de l'expérience (des objets, autrement du monde) est en fait un objet lui-même. Le problème lorsqu'on intente ce procès au philosophe réside en l'omission des incessantes mises en garde de celui-ci quant à l'objet de son discours. Kant ne parle pas de l'espace en soi, il décrit l'expérience de l'espace que nous avons. Or bien que la capacité à se courber de l'espace puisse se révéler à nous, par exemple, lorsque nous voyons dans le ciel une étoile, pourtant occultée par un corps lointain, par effet de lentille gravitationnelle, nous n'expérimentons pas, de manière a priori et directe, de courbure spatiale. Nous voyons simplement un point lumineux là où il ne devrait pas y en avoir, il n'existe pas d'objet espace - se tenant dans on ne sait quelle substance nécessairement autre - qui se tiendrait sous nos yeux, courbé par la masse du corps lointain que la lumière contourne tout en étant attirée par lui. Il y aurait dans un tel cas deux contradictions logiques: d'une part si l'espace et le temps sont les formes a priori - et là nous pouvons critiquer Kant, quant à la scission qu'il opère entre espace et temps, et que les données actuelles permettent de remettre en perspective - de la sensibilité et en cela des prérequis à toute expérience humaine, alors il est impossible de réifier l'espace pour en faire un objet bien distinct puisque nous sommes l'espace et que c'est précisément son uniformité ou dirons-nous son absence de caractéristiques spatiales qui en fait le fondement de toute caractérisation spatiale possible des objets (courbure, masse, grandeur, etc.). Dans un second temps (mais ce point est une conséquence du précédent), si nous expérimentons bien un espace courbe en voyant les photons être déviés par la déformation du tissu spatial, c'est bien à partir d'un référent a priori uniforme - uniforme en ce sens qu'étant déjà là, presque avant nos yeux, il nous paraît sans propriétés, égal en toutes directions, indifférencié pour nous - que nous jugeons de cette courbure. On peut dire que l'homme constituant l'objet, il se fait a priori mesure de toute chose. Lorsque nous réifions l'espace-temps et lui trouvons des caractéristiques surprenantes, nous le faisons bien a posteriori et par une reconstruction théorique permettant à un objet espace-temps d'émerger. Cela dit nous continuerons d'expérimenter un espace uniforme et un temps qui l'est aussi, c'est à dire des continuités dont il nous faut briser le cours et extraire des abstractions théoriques afin de former des objets aux propriétés non intuitives.

Kant n'a donc jamais dénié à l'espace et au temps des propriétés qui peuvent nous sembler exotiques, mais il a simplement fait remarquer que pour faire l'expérience de celles-ci il nous faut impérativement un cadre fondamental a priori, celui d'un espace et d'un temps uniformes. Or ce sont précisément des données de l'espace-temps - déjà dans un espace et un temps - qui nous permettent aujourd'hui de construire un concept d'espace-temps qui va au-delà de ce cadre en l'amendant. La question qu'on est en droit de se poser désormais c'est quel impact sur ces formes a priori aura la transformation des concepts de temps et d'espace? Y aura-t-il, par exemple, une rétroaction responsable d'une métamorphose des formes a priori - qui ne le seraient par conséquent pas totalement, et c'est mon pari personnel -?

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