mardi 9 janvier 2018

Discipline et discipline

J'ai toujours manqué de discipline. En fait, cela est faux en ce qui concerne exclusivement le domaine du sport. Je ne sais pourquoi l'effort physique m'est si évident. La vie de l'esprit m'est, du plus loin qu'il m'en souvienne, aussi naturelle que la respiration: réfléchir, inférer, déduire, relier, autant de processus intellectuels que j'effectue à longueur de journée, sans presque discontinuer; tellement fréquemment qu'il me faut , dans certains domaines, une tâche objectivement particulièrement ardue pour en ressentir la moindre fatigue. En ce qui concerne mon corps il n'en a pas été ainsi, j'ai dû, très tôt, le conquérir en tant qu'outil étrange, loin de m'être immédiat, spontané, il m'est un milieu à traverser et qui m'oppose une altérité rebelle. Être un corps a été, peut-être dès le départ, un effort pour moi. On peut trouver dans cet état de fait une explication possible de ma facilité à le discipliner: tout acte volontaire de ce dernier m'étant un effort, je n'ai qu'un pallier quantitatif à franchir pour constituer une habitude de travail physique plus conséquente et ciblée. La réflexion étant elle naturelle et presque sans effort, il me paraît bien contraignant et inepte de déroger à cette aisance, de sortir du champ pourtant vaste du plaisir immédiat.

Il peut bien se trouver quelques moments dans ma jeunesse où je pratiquais telle ou telle activité intellectuelle inlassablement, mais ce n'était jamais par véritable discipline, cela ne me coûtait rien, j'y trouvais mon plaisir et le renouvellement perpétuel de celui-ci ne définit pas la discipline. Cette dernière demande de l'effort, elle demande que l'on paye un prix afin, par la suite, d'acquérir quelque chose. Il faut fuir la facilité pour instaurer une discipline et j'ai toujours été l'être de la première, déconcertant d'aisance même pour moi-même. La discipline est tout sauf l'usage immédiat et sans effort de ses facultés.

Le plus difficile chez cette dernière, et c'est l'obstacle qui rebute la plupart des gens, c'est d'initier une dynamique en brisant l'inertie. Tout comme en physique newtonienne, imprimer une routine de travail à son esprit requiert de dépenser plus d'énergie au départ afin de contrer l'inertie. Une fois le mouvement impulsé dans la bonne direction, il suffit de lui procurer la vitesse de progression souhaitée pour que l'inertie devienne, cette fois, un allié de choix, à tel point que briser ce rythme de croisière devient une décision douloureuse. Mais contrairement au corps dans le vide spatial (que l'inertie pousse indéfiniment dans sa trajectoire), l'intellect évolue dans une atmosphère lourde, parsemée de nombreux obstacles qui requièrent un réajustement patient et répété. Néanmoins l'énergie nécessaire à cet entretien est bien moindre en général que celle consommée initialement.

Ce qu'il y a de fascinant avec la discipline (effort continu et régulier) ce sont les résultats qu'elle permet d'obtenir lorsqu'on parvient à s'y conformer suffisamment longtemps. Cela peut s'avérer tellement sidérant que s'apercevoir qu'on a laissé s'essouffler cet élan créateur peut donner un avant-goût de la mort et de l'abandon entropique. Se laisser aller au désordre est chose aisée mais véritable poison pour la conscience lucide qui s'observe ainsi sombrer. Voilà ce qu'a été ma vie intellectuelle, mes trente-deux ans de vie intellectuelle pour être précis. Autant d'années de paresse ou bien d'efforts jaculatoires qui néanmoins, par les réussites surprenantes qu'ils m'ont permis de connaître, me font aujourd'hui amèrement contempler le gâchis dont je suis l'auteur. Un bel outil cet esprit, mais totalement négligé, et plus je le négligeais, plus j'ancrais mon corps dans le carcan d'une discipline de fer, quasiment digne d'athlètes professionnels... Je n'ai rien produit de ma tête, et mon corps, qui lui ne démarrait pourtant pas avec de l'avance est quant à lui capable de produire des performances plus qu'honnêtes.

Si je vous raconte tout ça maintenant, et pardonnez la longueur de cette introduction, c'est pour annoncer solennellement ma ferme intention d'écrire désormais tous les jours, que ce soit sous forme de publication sur ce blog ou pour les prochains romans sur lesquels je travaille, ou bien sous toute autre forme esthétique de littérature. Puisque j'ai totalement gâché ma puissance intellectuelle en reniant la production philosophique, en fuyant l'informatique et en n'entamant jamais de véritables études de physique, c'est décidé, je lancerai toutes les forces (rouillées mais pas nées de la dernière pluie) de mon intellect dans la création esthétique. C'est un peu tout ce qu'il reste lorsqu'on a comme moi un peu trop abîmé son cerveau, et lorsque malgré la résolution de se mettre au travail, on reste un sceptique incurablement(?) flemmard capable d'engager uniquement une promesse de moyen mais jamais de fin - mais y a-t-il d'ailleurs un sens à le faire...

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