lundi 28 janvier 2019

Doomed



Est-ce qu'on peut être aussi doomed (maudit) dans la vie que le seul talent que l'on ait réussi à développer soit l'apanage de presque personne? La poésie est morte, c'est un royaume déserté: "EXODE POÉTIQUE" a décrété mon siècle; la poésie c'est compliqué, ça ne se donne pas immédiatement, il en va en ce domaine de même que pour ces musiques complexes qui ne vous accrochent qu'à la énième écoute, lorsque se dénoue le noeud et que jaillit la source pulsatile dans les formes complexes. Le simple est toujours la base de tous les raffinements mais qui n'est point persévérant jamais ne le saura.

Parfois j'aimerais que Damnit Crocket ne soit pas moi, je veux dire qu'il n'ait pas besoin du battement de mon trouble pour lui prêter la sève vénéneuse irriguant ses organes, qu'il n'ait nullement besoin de mon souffle fragile pour gonfler sa grand-voile, qu'il continue d'exister bien que je disparaisse... J'aimerais être l'ami de Damnit Crocket, qu'il reste à mes côtés, écoute mes poèmes et, peut-être, puisse s'en sentir apaisé.

Lorsque mes yeux s'entrouvrent, je vois sa silhouette et je vois ses couleurs, en surimpression sur les choses qui m'entourent. Il est une ombre translucide traversée par le monde, je n'ai pas le talent de transformer son mouvement en concrétion matérielle. J'ai l'impression pourtant qu'il n' y a bien que lui pour goûter mes poèmes, silencieusement, avec son coeur ses poumons et son âme.

Mon art est une grande brise soufflée dans des boîtes, mais d'une complexion si particulière qu'aucun matériau contemporain ne retient sa force. Il passe à travers les maisons aux fenêtres ouvertes, et jamais un rideau ne remue tant soit peu, il est à côté de ce monde, à un millimètre des coeurs et de toutes les consciences.

Doomed I am, comme Damnit Crocket, engeance maudite tristement esthétique, désuète, surannée, ou peut-être hors du temps. Il en va de certaines beautés comme des fleurs détachées de leur tige et qui s’abîment face contre terre. Mais heureusement j'ai trouvé le soleil qui luit parmi mes cieux, celui que nul ne peut m'enlever, l'habitant de mon monde, cet univers entre les dimensions réelles, mon chemin de traverse.

Dis Damnit, qu'est-ce que tu penses d'un grand roman sur ta vie? Qu'en dis-tu raton-laveur alcoolique, emmuré dans une gueule de bois définitive, petit nuage noir aux éclairs si fugaces? Il faudrait trouver une plume, un nègre, quelqu'un pour mettre en mot cette étrange entité. Crocket le maigrichon et Damnit son raton-laveur scellé sur le crâne, tonalité de l'âme ayant pris forme animale... Et rien ne paraît anormal à tous ceux qui vous croisent, rien d'anormal à voir un homme porter un raton laveur alcoolique qui semble lié organiquement à son cerveau, à son crâne, et qui peut-être est une partie de son esprit. Vous semblez si mal accordés à celui qui ne sait regarder. Et pourtant rien de plus complémentaire, le chaud le froid ne vont pas mieux ensemble...

Dis Damnit Crocket trouverons-nous le romancier capable de narrer le récit de ce miracle silencieux? Tu sais très bien que ce n'est pas moi, moi dilettante invétéré préférant lire qu'écrire les romans. Je ne suis bon qu'à produire un peu de musicalité, en amateur, deux trois colliers de prose tressée, un petit rythme dans la tête, aussitôt lu aussi vite oublié...

Peut-on vraiment être maudit au point de ne valoir que dans une devise antique oubliée de tous, et qui n'a plus désormais de valeur véritable? Que sont tous ces mots finalement si personne ne les vit? Des courbes sombres sur le fond vierge des pages. Un long ruban sonore uni, indifférent.

Un long ruban sonore, uni, indifférent...

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