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mardi 26 janvier 2021

Le regard sans visage

 Même dans les bonheurs,

Il y a toujours quelque chose de moi qui s'échappe;

Une duplicité consubstantielle à la surconscience et qui me rend à perpétuité utopique.

Même dans les bonheurs:

Je regarde ce moi étranger depuis la souffrance,

Ou plutôt depuis l'indifférence de savoir que tout ce qui est ressenti, tout ce qui est vécu, est une chose qui arrive à un autre.

Et cette indifférence alors se transmue en souffrance: la souffrance d'être une vision sans œil, un regard sans visage.

Même dans la terreur:

Je ne me tiens pas entier. Je contemple la mort et je fais exister la tension entre une intolérable révolte angoissée et le désintéressement total de cela même...

Je suis à la fois intégralement prêt -- et désireux de la mort -- et dans le même temps parfaitement incapable d'accepter ce qui n'attend pourtant aucun assentiment...

Même dans l'amour:

Tout mon être s'enfuit. Ce que j'ai toujours voulu se tient là, je brille par ce regard qui me couve de tant d'admiration, de tant de désirs qui me font gigantesque et sublime. N'est-ce pas ce à quoi tout le monde aspire? Et néanmoins cet élan qui voudrait me figer dans l'ambre d'un désir exalté me dégoûte... Il me dégoûte pour ce qu'il charrie de mensonge et d'impossibilité. Je ne suis pas ce héros que j'entrevois dans ces yeux. Je ne suis jamais ceci ou cela, jamais ici ou là, et tout ceci me traverse sans pouvoir me saisir, sans jamais pouvoir épouser un seul de mes contours inexistants. Aucun amour ne brisera l'invisible coquille des solitudes. Dans les yeux d'autrui, je suis toujours ce tableau de la vie qu'il voudrait se peindre afin d'y voir un reflet de lui-même. De la même manière qu'on fait avec ses propres enfants.

Soudain une musique occupe l'espace de la pièce. Ce faisceau de pensées qui s'agitent alors n'est presque rien, se désagrège. Il reste un sentiment indéterminé, informe, simple tonalité. Il me semble alors qu'en cet instant je vis sans plus me dédoubler. Non comme un être pensant, troué par ce vide ontologique qui forme la scène de chaque étant, mais comme une chose posée là, et qui occupe l'espace-temps plus ou moins étendu d'un vécu.

Et puis... J'écris ces mots comme un témoin. Comme un témoin tapi dans l'ombre, à distance de lui-même. Ma mémoire se conjugue au présent, le présent au passé. La narration de soi, même concomitante aux faits, quand bien même atone, me détache inexorablement de ma personne, de mon masque.

Même dans l'écriture,

Je demeure entre les mots, dans le bruit même de mon silence.