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vendredi 29 janvier 2021

Hercule

 Discuter avec les autres m'est de plus en plus intolérable. Discuter avec moi-même ne m'intéresse pas plus d'ailleurs. J'ai presque cessé de le faire, je ne m'écoute plus parler et, par conséquent, l'expression "parler tout seul" revêt, pour une fois, son sens véritable.

Briser la ronde des opinions bien marinées dans le maigre jus d'attention dont nous sommes capable, est un travail herculéen. Il faut parler plus longtemps qu'autrui, puisque l'idée nouvelle est bien plus difficile à percevoir, surtout si elle ressemble, par certains côtés, à d'autres opinions ressassées à outrance par le bain médiatique. La nuance, l'indéfinie ambiguïté d'une simple phrase courte semble échapper à mes semblables. Il faut de la patience pour remonter les racines d'un signifié, puis parcourir ses branches, et ne parlons pas des forêts primordiales que forment de simples agencements de mots en apparence anodins.

Pourtant, respecter l'autre, dialoguer avec lui, c'est bien faire ce travail presque infini, oui c'est cela aimer autrui.

Tandis que je nettoie les écuries d'Augias, tente de faire place nette, invariablement j'observe l'autre déverser sur le sol ses immondices internes mal digérés, m'ensevelir sous le torrent excrémentiel de jugements inanalysés et encore moins compris.

Écouter c'est, pour un temps, suspendre ses certitudes rassurantes, l'illusion doucereuse d’enserrer le réel dans une image, un modèle théorique bien souvent fait de bric et de broc et dont l'assemblage branlant d'éléments disparate menace de s'écrouler dès la moindre analyse rigoureuse. Écouter c'est accepter de vivre sans foyer, nomade pour un temps, vulnérable et offert à cette vacuité joyeuse des sceptiques qui fait la terreur de tous les fanatiques de toutes religions confondues, qu'elles soient laïques ou non.

Cela vous est intolérable, soit. Mais il m'est tout autant impossible de continuer à écouter vos antiennes affirmées avec autant d'aplomb que les fondements en sont fragiles et incompris. Quand vous comprendrez vos propres idées, peut-être en percevrez-vous la porosité et pourrons-nous alors traverser allègrement sur le train de la logique chacune de ces stations que vous nommez patrie, et qui ne sont en fait que des images glacées au front des cartes postales.

En attendant, je mets les voile. Je me drape dans ma véhémence dialogique et mon débit effréné de parole pour les replier sur le silence dont ils sont issus. L'écriture, celle qui n'est pas un passe-temps mais une perfusion de l'âme, est le fruit de cette frustration que connaissent mes semblables, amoureux du dialogue dans un monde où ce dernier se confond avec l'échange anodin de mots d'esprits.

mardi 9 juin 2020

L'azur n'est plus ce qu'il était



Un ploiement d'aile et tout retombe sur la couche
Nappe de soie déçoit dès la première touche
Souvenirs épicés de ta peau nue me brûlent
            En cet instant j'ai tout quitté

Sur la branche oubliée d'une prose
Je chante ma complainte à Voie Lactée
Tandis que celle des poètes
déteint dans le ruisseau des jours
            Plus personne n'écoute...

Le manteau de la nuit qui tient au chaud l'ermite
L'étau d'une croissance hantée plus jamais ne nous quitte
Coup de pied dans le ciel envoie sa vaine infirmité

Corbeau de lune au bec si recourbé
Picore des yeux fermés sur les reflets d'ombre anciennes
L'existence est antienne les miens sont affamés
Leur ventre se replie sur un gouffre enfermé

Ô cimes hautes, floraisons verticales
Le fruit est sans raison
Qui pousse lexical
Le cœur a ses saisons

Reflux terrible forçant sur les genoux
L'océan invincible nous parle comme aux fous
Sa victoire est totale
Nos racines poussent dans le vide

Aboiement du soir sur les trottoirs livides
La pensée encensoir parfume l'air liquide
J'essuie sur une plume
L'encre au poème aride

Sillon de vent sans signe
Vous sans logis insignes
À quand le grand retour
De vos voiles d'amour

L'azur n'est plus ce qu'il était
Boutures d'antan froissé
Ne font plus les grands arbres
La Nature est trop faible
L'humain s'est fait dresser

Un ploiement d'aile retient la nuit captive
Le fruit trop mûr a détourné ta bouche
L'avenir impensé sur un long mur débouche
À quel embranchement nous sommes-nous quittés?


Sources musicales:

After Life (série tv)

et


jeudi 4 juin 2020

Être poète au 21ème siècle ( 2 )

Être poète est une bien étrange affaire. Lorsqu'il me faudrait prendre en main les enjeux de ma vie sociale, je me vois dans l'incapacité d'y répondre précisément parce que l'injonction poétique est plus forte que tout, elle prend le dessus sur le reste.

Au lieu de chercher un domicile, qui me fait défaut depuis plus d'un an, je reste attentif, vigie à l'écoute de cette sphère musicale où je pêche un entrelacement d'écailles diaprées qu'ici j'expose enfin.

Il m'est absolument impossible de faire autrement. Je ne saurais dire pourquoi. C'est au-dessus de mes forces de ne pas entendre cet appel, comme s'il n'y avait finalement rien, absolument rien, de plus important à faire que cela.

Je crois rester raisonnable en émettant l'hypothèse suivante: il en va certainement en partie de l'imprévisibilité de ces états d'inspiration où les cieux s'entrouvrent vers l'ailleurs poétique dans lequel il faut plonger. Ça ne se commande pas bien que l'on puisse reproduire par quelques rituels un ou des contextes que l'on a pu identifier comme propitiatoires à cette union sublime.

Il faut donner sa vie à ses moments d'inspiration. Rien d'autre ne compte vraiment. Être là, quand cela vient.

On pourrait, à observer mon inactivité apparente, se dire qu'il n'y pas là de quoi faire vocation, qu'en somme il s'agirait plus d'un passe-temps aléatoire que d'un véritable sacerdoce et pourtant... Il s'agit en fait d'un destin à plein-temps.

La réceptivité poétique doit être de tous les instants, tous les regards, elle transforme à son fondement la manière d'être au monde puisqu'elle est le prisme à travers lequel nous vivons chaque évènement. Dans les moments les plus anodins, nous sommes poétiques, dans l'inactivité, nous sommes poétiques, la psyché creuse, travail en soubassement. A lieu une constante exploration de soi et du monde, une recherche de portails menant vers cette dimension d'harmonie poétique. Ce monde est comme une immense gare où les trains sont des élans musicaux: vous en saisissez un bout et la suite devient évidente, se déroule sous vos yeux sans presque avoir besoin de vous. Nous sommes constamment à la recherche de, ou du moins disponible à, ces instants. Et ce service n'a pas d'horaires fixes, il est un état permanent qui a priorité sur tout le reste.

Lorsque nous sommes à l'écoute, nous travaillons, accumulons en nous la monnaie nécessaire à l'échange qui viendra, nous grappillons de ci de là quelques notes prises sur le vif, ourdissons quelques rimes, quelques idées qui peu à peu s'assemblent, prennent forme jusqu'au moment d'union finale.

Il n'y a aucun repos dans cette vie. Et le fait qu'on ne reconnaisse plus le destin des poètes comme un métier légitime sème beaucoup d'embûches et de difficulté sur cette route étoilée, mais la souffrance est une monnaie que je récolte sans crainte, je sais ce qu'elle permet d'acheter.