jeudi 1 octobre 2015

J'entends les professeurs

Ce texte est adressé à vous, qui vous reconnaîtrez, et pourtant à personne, parce que nul ne correspond vraiment à cette idée impersonnelle.

Je vois autour de moi tellement de donneurs de leçons, de professeurs qui professent leurs doctrines à tue-tête, avec l'aveuglement têtu d'une mule acheminant sa charge, inébranlable et imperméable au doute. J'en vois tellement que chaque jour cela me rappelle pourquoi j'ai fui ce métier, cette ambiance et ce système qui m'apparaît inepte.

Partout, chez eux, je vois non des joueurs mais des combattants de la victoire, ne souhaitant qu'avoir raison, être la voix de la vérité (et dieu sait qu'on associe souvent vérité et intensité ainsi que rabâchage). Ils entrent dans la partie comme n'importe lequel des autres joueurs, c'est à dire ignorants, mais eux sont convaincus du contraire et disséminent leurs leçons autant qu'il leur est permis, quêtant les promontoires d'où leur pensée pourra se diffuser au mieux. Certains nichent sur des scènes discrètes parce qu'il souhaitent parler pour un public rare, un public à leur image, c'est à dire intelligent et dans le vrai, mais toujours - ô combien cela est important - moins qu'eux-mêmes; d'autres hurlent à tue tête assis sur le sommet des montagnes, et compissent la cohorte des joueurs autour d'eux. D'aucuns (trop?) écoutent et se laissent ainsi gouverner car il est tellement confortable de s’abandonner à un guide. Le possible, l'indétermination, est une responsabilité bien lourde à assumer.

Je regarde tout ceci d'un oeil amusé, je me détourne de ces zones de guerre où la bienveillance condescendante de l'un est un véritable poignard de mépris enfoncé dans la tête de l'autre. Je ne suis pas cet autre, je continue ma route, parallèle et perpendiculaire à la fois, mais malgré tout lointaine dans sa proximité apparente.

Je ne sais qui a raison et qui a tort dans ce grand jeu, ni si de telles choses existent ailleurs que dans nos caboches, autrement que comme des idées qui ne correspondent à rien mais fondent ainsi des horizons pour le voyageur de la vie.

Moi, depuis longtemps peut-être, je n'ai plus d'horizon et je ne sais ce qui guide ma vie à part le chaos de mon geste présent - mais que sais-je du chaos et du fondement de tous mes actes?

J'entends parler tous ces professeurs et laisse glisser leurs punitions sur mon visage informe, je laisse leur voix me traverser et observe la trace éphémère de leurs propos qui bientôt disparaît.

Il n'y a rien que quiconque puisse apprendre à quelqu'un d'autre, et même cette "leçon" n'en est pas une et n'a de validité que d'être l'expression impersonnelle de ce sentiment qui m'est propre, de cette qualité de l'instant qui l'a vu naître et qui demeure indicible, et pour cela à jamais trahie par ces propos.

J'entends les professeurs qui gagnent, et dans chaque victoire trouvent leur satisfaction dans la défaite d'autrui.

J'entends les professeurs, moi qui ne suis l'élève de personne, moi le mélancolique nihiliste blasé et relativiste, moi le vent de fronde qu'on ne veut pas regarder au-dedans de peur d'y perdre ses racines.

Je joue ma partie, sans défaite ni victoire, et tout est bien ainsi.

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