vendredi 20 novembre 2015

Courir après le vent

La nécessité d'une fatigue implacable retient souvent mes gestes, que mon âme ravale alors avec perplexité. D'où vient cette fatigue qui engloutit dans ses sables ma volonté fragile? Il me semble parfois que l'idée même de réaliser une action me fatigue par avance, et que jouer en moi la floraison de ces innombrables désirs donne à mon esprit une récolte plus prolixe et plus authentique que ne le saurait faire le réel.

À l'instant, je viens d'écrire, dans la solitude ourlée d'impressions et de mots qu'est ma conscience, l'énième livre que je porte en moi. Je ne le lirai jamais, je sais seulement l'effet qu'il provoque, je connais l'indicible d'où il provient et où les longs chemins lexicaux retournent fatalement. Je sens les formes et préformes des phrases qui le composent, je vis l'alme néant de l'intention grouiller de mille mots.

Je voulais écrire tout autre chose, commencer ce roman-monde (pléonasme) qui me fascine tant, et me voilà condamné à décrire l'arc des nuances sentimentales que constitue la simple idée de le faire. Me voilà méta-moi absolu, chacune de mes pensées rebroussant jusqu'à la source de toutes les pensées; je m'abreuve de métamour et vibre de métavoyages; mon style même est une méta-écriture, et de chaque geste intenté jaillit le méta-geste de ces écrits.

À force de vouloir aller au bout des choses, je me suis rendu compte du caractère indéfini du monde où elles existent, il me fallait alors renoncer vouloir atteindre l'inatteignable horizon. J'ai rebroussé chemin et me suis fait archéologue, j'ai traqué le fondement, la source de ce monde où je demeure en tant que prisonnier libre de partir - mais d'une liberté terrifiante, d'une liberté qui requiert à l'ignorant d'accepter le pari fou que l'évasion soit une fin définitive de tout. Rapidement, j'ai plongé vers les abysses de la pensée, où gisent d'irrationnels cieux, j'y ai contemplé le fond sans fond de tout cela: là aussi, horizon qui se dérobe, rien que la présence inexplicable des choses, sans nulle traçabilité.

L'univers est cette mise en abîme entre deux horizons, où nous existons comme des reflets récursifs impossibles à contenir - c'est d'ailleurs pour cela que la conscience est une fuite, et le monde la trace de son sillage. Qu'est-ce qu'un reflet? Un peu de lumière, énergie universelle piégée pour un temps limité dans la pièce aux miroirs de notre identité?

Je n'ai pas d'origine et ni destination, j'erre en ce monde bâti contre un réel qui demeure à jamais(?) pour moi indéterminé; indéterminé par cela même que les déterminations par lesquelles il surgit et m’apparaît ne sont qu'une note singulière d'un infini musical.

Il ne reste au final qu'à s'amuser parmi les autres, à rire des valeurs dites "universelles" - avec toute la violence dont celui qui les déclare ainsi fait preuve -, de l'imaginaire pouvoir, des conventions auxquelles certains croient tellement fort qu'ils en font des réalités extérieures à leur phantasme. Il ne reste qu'à batifoler dans le bassin du présent, qu'à offrir au monde les fruits de notre existence tout en restant conscient de n'être qu'un parmi les autres.

Tous les projets ne sont que poursuite du vent, mais il est agréable de lui courir après dès lors que nous vivons cela comme un jeu.

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