samedi 12 décembre 2015

Epitaphe à mon vieux coeur

Vit-on toujours à l'intérieur d'un paysage? Ou face à lui, ou à côté? Y a-t-il toujours un paysage?

La lune est devenue noire, densément noire et mat avec des reflets anthracites comme si la terre n'était que poussière de cendre compactée. Je marche sur ce croissant de lune cendrée, froid et sans lueur autre que le diffus et lointain éclairage des milliards d'étoiles. Je marche là, comme sur une plage inhabitée et peut-être vierge (qu'en sais-je?). Chaque pas est lourd et soulève un nuage de cendre qui flotte en suspens sans jamais retomber, faisant de mon sillon des petits tas lévitant au-dessus du sol, galaxies miniatures nées sur le passage d'un géant minuscule et brisé, extirpées de l'éternité par mon temps claudicant, celui de cette existence où j'étouffe.

Je suis presque au bord de l'astre, je vois les côtes me border de chaque côté, et la pointe en face qui plonge vers le grand tout, vers cette plénitude spatiale qui semble à certains du vide.

Il me faut un certain temps pour m'apercevoir, au bord du vague interstellaire, que l'astre refroidi sur lequel j'erre incertain perdu et étranger, a la géographie inconnue, et seulement ressentie, de mon coeur. Mon coeur depuis longtemps calciné...

Aucun battement ne pulse en cette terre, juste la mort inorganique, le destin minéral des choses inanimées.

Et, toujours présente, cette sempiternelle question muette: "pourquoi?", que tout ce qui m'entoure s'acharne à rendre incongrue, chose parmi des choses sans causes, chose désirant capturer chaque cause, y compris d'elle-même. Je ne suis rien puisque je ne sais dire qui je suis..? Seul, dans un monde apparemment désert, effroyablement intime et extérieur, les échos d'un silence solitaire comme seule musique à chanter, je n'ai plus rien, plus d'amour et plus de rythme au coeur.

J'en oublie de me demander pourquoi je suis ici, dans ce lieu intime et étrange, ce coeur réifié comme une lune morne où attendre la mort (mais la mort de quoi?). D'ailleurs s'en vient-elle pour des cailloux comme nous? Que des lois exécutent et font.

Mon coeur, cette lune dévastée parmi des astres lointains et probablement inaccessibles.

Il n'y a point de contact entre les choses, rien ne se pénètre vraiment, rien ne fusionne jamais: chaque individu uni à lui seul, jusqu'à la fin qui le détruit dans une union nouvelle qu'il ne pourra goûter (et dont l'idée même est amère et indigeste).

Je n'ai su ni vouloir l'enfer ni le paradis. Cette terre de cendre: mon purgatoire d'éternité où souffrir d'un tourment sans empressement et sans éclat, un tourment qui n'a pas assez le goût de l'effort pour être digne d'être écrit. Et, cependant, je l'écris...

Je suis assis sur la pointe de la lune lorsque je m'éveille quelque peu de ces songes ineptes qui sont l'essence de ma vie, mes jambes balançant mollement dans un espace intersidéral lourd de tant de promesses, de tant d'inconnus où, peut-être, l'on peut vivre autrement, je veux dire sans être sans soi...

Doucement, je me lève et fais un pas dans le possible, comme s'il était une terre; je m'abandonne au vide telle une barque détachée qui dérive en pleine mer. Pour moi tout est fini, enfin je quitte mon vieux coeur.

Aucun commentaire: