jeudi 27 février 2025

Aphorismes de la honte

 Traverser la peur, dans l'action assumée; Dépasser la honte par le moi consumé.

 

La honte est une autre forme de vanité: l'insupportable constat que l'on a pu être, autrefois, ce qu'on se targue aujourd'hui de mépriser.

 

L'artiste essentiel, qui n'a d'autre critère que l'absolu, ne saurait emprunter un autre chemin que la honte face à la nécessaire relativité de son œuvre.

 

Tant que l'artiste essentiel peut relier l'œuvre à quelque portion de sa subjectivité, il échoue honteusement à produire l'hétéronomique extranéité d'une réelle transcendance.

 

Affirmer ne pas avoir honte de ses œuvres passées est le seul moyen, pour l'artiste essentiel, de vivre avec sa honte.

 

S'humilier volontairement, quotidiennement, pour que la boursouflure tumorale d'un style continue de grossir -- jusqu'à cet impossible dénouement où la partie excède le tout.


Qu'on a pu être naïf, se dit-on naïvement, depuis le référentiel d'un présent qui se verra bientôt prédiquer le même qualificatif.

 

On ne distance jamais sa honte que par une honte qui s'ignore.

 

Savoir enfin tout cela, et poursuivre l'impossible: vanité de la honte.

[ Entropologie ] Le désordre intérieur

 Il n'y a pas jusqu'à la manière dont je laisse traîner les affaires dans la maison qui ne trahisse le désir de laisser ouvert les possibles. Ranger? Pour quoi faire? Assassiner le possible encore ouvert dans la présence d'un bol, d'un livre ou d'une veste? Refermer la porte qui est là, ouverte, et ne demande qu'à être franchie, sans effort, sans avoir à s'engager pleinement dans une voie au détriment des autres, en pouvant faire demi-tour à tout moment, sans rien avoir touché, en faisant de tout son petit monde un déploiement chaotique au sein duquel l'entropie égalise tous les choix dans une indétermination créatrice?

Comme un piano la vie: touches offertes, étalées impudiques dans une totalité muette qui n'est pas une explication mais l'aphabet ouvert de mélodies impliquées.

Pour que le monde soit le signe de Tout, il faut qu'il n'ait plus d'ordre -- et que se réalise l'entropie.

No soul is an island

 On a souvent tendance à opposer à l'idéalisme l'idée que la science nous montre les traces, que dis-je, les preuves, de l'existence antique du monde: nous voyons que certaines particules ont des âges immémoriaux, nous collectons des formes de vie pétrifiées qui ont foulé la Terre bien avant l'éclosion de notre languissante investigation du monde. C'est tout le poids d'un passé indépendant qui aurait permis notre existence présente, évènement pris dans les filets d'un temps transcendant, épiphénomène étriqué dans un immensurable échiquier d'étendue.

Pourtant, c'est toujours notre conscience présente qui  nous expose ces preuves éclatantes d'une réalité indépendante; toujours l'interpétation de phénomènes  pour la conscience -- sur fond de théories imparfaites par essence -- qui produit ces jugements bien vite naturalisés. Il serait facile d'imaginer que la conscience agit comme la lumière, qu'elle propage autour d'elle un monde à vitesse constante, comme ces photons qu'on ne peut jamais rattraper parce qu'ils se meuvent par rapport à tout référent à la même incroyable vitesse.

Ainsi c'est peut-être notre présent qui déploie tout autour de lui, à des vitesses vertigineuses, un monde dont il ne peut jamais atteindre la limite parce qu'elle ne cesse de se dérober. Irions-nous jusqu'à la conscience du Big-Bang que notre présent déploirait en-deça de cette amusante origine, un monde plus ancien, plus reculé, tout simplement parce que la conscience est la production d'un monde -- par conséquent celui-ci ne peut s'abolir en une borne que par l'annihilation de la conscience.

Pareille au futur non-avenu que nous projetons à tout-va, le passé pourrait bien n'être que ce déploiement réticulaire autour d'un présent qui devient: une chose écrite, produite par la conscience, et non une réalité absolue qui nous enserre dans la définition d'un mécanisme abouti.

Partout où le regard présent se porte, nous ne pouvons pas faire autrement que de voir s'agrandir et se développer le monde, parce qu'il n'y a pas de monde qui ne soit conscience -- et toute conscience est un présent.

jeudi 13 février 2025

Le scepticisme à l'école dogmatique

 Je publie ici le dernier état de mes réflexions concernant le scepticisme et le problème de la vérité. Il est abordé en lien avec l'enseignement pour des raisons de contrainte afférente au contexte de sa genèse: la rédaction d'un mémoire universitaire. Bien entendu ma réflexion a déjà évolué mais globalement c'est à ce jour le meilleur raisonnement que j'aie pu rédiger quant à ce thème: il résume et synthétise (trop) des années de réflexion sur ce que nous nommons vérité (scientifique).

 

Le mémoire est disponible ICI.

mercredi 12 février 2025

Ruse de la Raison

 À mesure que se fait jour l'incommensurable écart entre mes sentiments transcendants et l'œuvre si pesante, se défait une part de l'illusion nécessaire à coudre son destin sur le réel indifférent. C'est qu'une médiocrité coruscante me tient en son orbite; elle est le champ de gravité d'où mes sentiments seuls parviennent à s'enfuir. Le reste, la lumière réelle capable de dessiner dans l'espace le théorème des choses, reste piégé dans l'horizon fermé du moi. Depuis la médiocrité cellulaire s'envolent mes rêveries astrales que nul n'atteint, en flot de particules que ni tourment ni gravité universelle ne peuvent retenir. Il faut que tous ces éléments psychiques ne soient pas grand-chose pour traverser sans frein la lumière des années et la demeure spatiale des choses commune, peut-être qu'ils ne sont particules de rien.. que la noblesse convoitée n'est que cet idéal régulateur qu'on se raconte afin de persister, dans l'être-là absurde -- celui de la conscience qui s'éclate à tous vents, en toutes directions, comme un projet holographique de sa totalité.

Et si l'intériorité ne peut s'exprimer sans périr alors tout art est ruse de la Raison, afin qu'on ne meure pas de tant de vérité.

Orphelinat

 La fatigue creuse à l'intérieur de l'homme; à tel point que l'intime subjectivité n'est plus que gouffre, anfractuosité. La douleur de l'effort d'avoir à demeurer simplement au repos fore et perce la substance qui est, à tout autre, le combustible de la joie et de l'accomplissement. L'homme épuisé, malade, souffreteux, est une cave de vacuité où résonne l'écho d'un passé virulent dont il ne reste rien de tangible, que toute la cruelle existence a fini par ronger.

Cette fatigue dont je parle est tel un accident ischémique constitué, elle cèle l'âme en un tombeau d'inertie, de chairs, de sensations algiques, elle tisse par nociception le pandémonium atopique où se débat un homme que les ombres habitent. Plus de matériau pour créer, plus de pétrole pour que le moteur à explosion des désirs et des rêves puisse encore acheminer dans les choses la volonté qui enrage.

Personne ne sait ce qui se passe à l'intérieur de la conque où semblent résonner tous les sons de la vie ordinaire, en sourdine, certes, mais tout de même audibles... Mais cette musique de malheur qu'un cœur en fusion psalmodie, n'est qu'un risible filet qui affleure à la surface d'un univers limbique, empli d'éruptions furieuses, de hurlements et de coups qu'aucun lieu de l'espace ne consent à tenir.

Abandonné dans le temps qui s'écoule, tourbillon de vie syphonné par la bonde d'une maladie inconnue, l'homme dévasté s'en va vers l'entropie, comme une marée trop hardie que l'océan rappelle -- et qui s'accroche encore, dérisoirement faible, aux sables du présent...

En peu de temps, des milliards d'astres étincelants sècheront de la grève la mémoire de la houle qui soulevait, il y a peu, des montagnes de vie de la surface aqueuse.

On peut mourir à l'intérieur de soi, sans que personne ne le remarque, sans faire l'ombre d'une différence, d'une maladie sans nom qui n'a pas d'existence. Le monde, ainsi guéri, pourra bien sacrifier un coq au grandiose Esculape. La vie ne connaît qu'elle-même et renie ses enfants.

mardi 11 février 2025

Pierre tombale

 Peut-on porter une œuvre en sa poitrine

Dont les racines sont les veines

Et qui s'étiole de n'être point expectorée

En mille éclats diaprés de bruine?

 

Tout ici ravale en moi

Ce qui devrait dégueuler de mes doigts

Je ne sais être libre

Et je m'encombre de la moindre chose

Comme d'un fardeau d'éternité.

 

Le mont de mes désirs

Est une nécropole éclose

Au sein de l'abandon

Qu'un astre inauthentique

Éclaire de névrose


Cesser ou poursuivre...?

Quelle importance pour des os

Qui, depuis si longtemps,

Ont bien cessé de vivre.

 

Il faut de la longueur

Au poète éreinté

Pour contrer la langueur

De ne rien inventer

 

C'est ainsi qu'on poursuit

Le sinueux destin

Dont, à contre-courant des autres,

On prie le dénouement

 

Être suisse apatride

Au bout de l'intestin

Et prier que la mort

Ne soit commencement

 

Partout couvrir

Les traces de sa vie

En bon technicien

De surfaces ontiques

Effacer pieusement

De flatteurs immondices

La nature de son être

 

Et faire de son profil

Un reflet scriptural

Bien plus inamovible

Que tant de pierres tombales