lundi 10 octobre 2016

L'espoir surmonté

Il est toujours étonnant de voir comme nous aimons nous rendre pirates cherchant le moindre indice menant à son trésor dès lors que nous avons perdu l'amour. On cherche à percer le coffre-fort de chaque regard et de chaque geste: il faut interpréter, ratisser au peigne fin, se repasser sans cesse chaque scène afin de saisir le moindre indice, de constituer dans sa tête une petite fiction qui nous permettra de vivre un peu avec l'espoir au ventre. Ce fumeux espoir qui nous fait croire que si l'être aimé s'est tenu si près de nous et a hésité à tel moment puis a prononcé cette phrase sur tel ton, alors c'est qu'il nous aime encore, c'est qu'il existe un lieu, une île au trésor, sur laquelle accoster; et enfin se reposer de tant de vagabondage.

Combien l'esprit est une machinerie complexe, un rouage infernal qui broie le moindre grain, et veut tracer, coûte que coûte sa route d'espoir frelaté dans les données indifférentes et brutes du réel.

On lirait même le ciel pour voir si, par hasard, telles étoiles n'étaient pas alignées ce soir là, ce qui voudrait peut-être dire qu'une éventuelle providence voulait nous faire passer un message... Et cette automobile qui a klaxonné précisément lorsqu'elle a passé ses mains dans ses cheveux, quel sens faut-il y démêler? Ce clignement d'oeil un peu trop rapide, cette façon dont le monde s'est refermé sur nous comme dans un film où tout le reste passe au second plan, que faut-il y voir? Et ce sourire un peu trop spontané et franc, le nombre de battements de coeur que tu as prêté à cette conversation, pourquoi? Qu'est-ce qui a été dit par là?

Détective dément, archiviste compulsif qui classe et range et trie et applique ces algorithmes de l'espoir qui ont mené bien des navires sur les récifs de l'illusion.

Mais pourtant je suis du réel moi monsieur! Je suis de ceux qui marchent sur un fil tendu à travers le vide, tout en regardant sous leurs pieds, sans peur et sans attentes; de ceux qui vivent sans projet, se laissant chuter de seconde en seconde, pas dupe de la fiction qu'est leur monde, conscient de la finitude d'un espace et d'un temps qui ne peuvent épuiser le réel qui est tout, et non cette chose déterminée dans laquelle nous vivons, cet univers-destin où nous nommons les choses.

Fou, l'homme est fou, l'espoir accroché à la peau comme une teigne tenace, l'espoir qu'il faut débusquer à tout prix, exsuder par tous les pores, étrangler dans son lit, jeter tous ses enfants au fond d'un puits sans fond.

L'espoir c'est ce chemin vers la folie qu'il faut effacer, c'est cette poitrine qu'il faut laisser exsangue.

Ulysse averti a pourtant bien du mal à résister au chant de tes sirènes.

Vanité et poursuite du vent: Sisyphe est heureux n'est-ce pas?

Sisyphe est heureux parce qu'il sait que la pierre roulera au bas de la colline.

Sisyphe est heureux car il n'a nul espoir.

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