vendredi 12 août 2016

La guerre des points

Un homme observe une feuille et la décrit de couleur verte, tandis qu'un autre, positionné à l'opposé de lui, n'aperçoit que l'autre face de cette même feuille, dont la couleur tire plus sur le jaune pâle. Un troisième larron, perché sur une branche, et voyant, grâce à la courbure de la feuille une part des deux faces, affirmera qu'ils ont à la fois tous deux torts et raison. Puis un jour, un biologiste avec son microscope viendra éclairer l'intérieur de la feuille, tendant vers le minuscule - qui est en fait tout autant gigantesque que le majuscule -, pour y voir autre chose, agencement de cellules aux couleurs insoupçonnées.

Tout est point de vue, tout jugement est point de vue. Certains, amassent en un point de vue, la somme d'autant de points de vue que possible. Mais ils ne sont jamais qu'un point de vue qui tente de se souvenir et de maintenir dans sa singularité, la multiplicité conçue par addition grâce à la force de l'imagination qu'est le souvenir. Peut-être les points de vues amassés ne sont-ils plus valables. Et de toute façon, il en existe encore combien comme ceci? À quelle distance de l'infinie est-on plus près de la fin?

Et les hommes de se disputer pour savoir qui voit le mieux, qui est le point qui serait le centre du monde, qui détient l'angle le plus essentiel sur les choses, choses qui ignorent ces chimères et qui continuent d'être là dans cette générosité plurielle qui permet aux mondes d'exister en quantité indéfinie.

Il existe des points de vue, et des points de vues de points de vue - qui ne sont que des points de vue eux aussi. En quoi le monde qui se peint depuis un point serait-il plus faux ou plus juste que depuis un autre?

Nous sommes tous à notre juste position - juste parce qu'elle est celle que nous avons au présent -, tous une fenêtre donnant sur le réel un aperçu unique et incommensurable.

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