dimanche 20 novembre 2016

L'amour brisé des gens qui s'aiment

J'aimerais que l'on puisse réparer les amours brisés comme on le fait des pare-brises des autos. Un simple coup de fil, rendez-vous est pris chez un expert, le tout prend quelques minutes et on repart avec un véhicule aux vitres neuves. Peut-être quelque époque viendra où de telles choses existeront, mais ils sera probablement trop tard pour nous, le véhicule qui nous a mené si loin pourtant restera à la casse.

J'aurais pu prendre la moindre lueur de tes yeux et allumer des cieux nocturnes plus brillants que des amas d'étoiles, j'avais le souffle d'un amour infini pour cela et qui peut raviver d'une cendre la flamme enfuie depuis longtemps. J'ai ce pouvoir en moi, au moment même où j'écris ces lignes, au moment même où ma vie n'est qu'une existence à tes côtés de fantôme. Je me lève dans l'écho de tes rires et je m'endors dans le poudroiement diapré de tes yeux, je vis des expériences auxquelles tes réactions ravivées donnent un relief nouveau, indispensable à faire un monde où la dimension de mon amour existe.

J'écris des musiques hélicoïdales qui sont, maintenant je le sais, l'imitation trop imparfaite du sillon de tes cheveux dans l'air. Je ne suis pas réparateur d'amour mais qu'est-ce que j'ai de force en moi pour faire vivre ta personne, je me découvre des ressources insoupçonnées, tout ça sans effort. Je tombe au détour de mes périples intérieurs sur de nouveaux souvenirs dont j'avais oublié l'existence, il me suffit d'un geste, d'une parole, d'une scène pour que ma journée se perde dans la fragrance de tes parfums et le mouvement impur de tes mains.

On peut faire tant de choses avec les débris d'une vie commune. J'en ai suffisamment pour que ta chanson ne cesse jamais. Je possède en mon arrière-boutique des bibliothèques entières d'observations anthropologiques sur ta personne, des milliers d'heures d'images capturant le style de ta vie, et des pelletées de sentiments qui redonneraient un souffle animal à l'immobilité minérale des morts.

Je sens couler sur moi tes larmes anciennes et j'entends tes paroles en différé, celles-là même qu'une peur ancienne m'empêchait de goûter en ta présence, et qui pourtant aujourd'hui dessinent sur ma face épuisée des sourires interminables et niais.

Je monte encore dans ce véhicule au rebut, j'y dors même souvent, je vibre et danse parce qu'il est le symbole d'un idéal infrangible peut-être, mais que je poursuivrai sans faille jusqu'aux confins de ma pensée.

Lorsque j'ai vraiment trop peur, du monde et des masques qu'il revêt, je me cloître dans un baiser de toi à la durée suffisamment longue pour que s'apaisent mes angoisses. Il y a de grands lambeaux de moi dans ces baisers incommensurables.

Il se pourrait bien que je vive éternellement, ou d'une durée indéterminée et suffisamment longue pour que la fourmilière humaine si efficace fasse advenir la caste des experts en amours brisés... Qu'arrivera-t-il alors? Il me faudra en contacter un pour lui montrer l'engin abandonné, il sourira certainement devant les dérisoires tentatives de réparation que j'aurais exécutées, mais je crois qu'il respectera profondément le soin que j'aurais apporté à chaque fragment, tous les croquis que j'aurais dessinés, ces musiques composées pour rappeler le bruit de son moteur, les films qui tentent de redonner un mouvement à ce qui gît pétrifié.

Peut-être que l'on me proposera un emploi, moi l'inutile, on m'aurait trouvé là une fin agréable aux autres...

Peut-être qu'un jour je serai cet homme qu'on appelle lorsqu'il faut réparer l'amour brisé des gens qui s'aiment sans savoir comment...

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