dimanche 17 juillet 2016

En quarantaine

Eh toi! Homme sans localité, chose sans qualité: es-tu vraiment un homme d'ailleurs?

Peux-tu me dire ce que sont ces sensations qui roulent et grincent dans le fond de mes entrailles, font de mes expériences du sable avec lequel je m'acharne à construire des châteaux que tous les vents balayent? Nul autre lieu d'existence que l'écoulement du présent où rien ne dure, rien ne demeure. J'habite dans l'impermanence du devenir qui arrache un à un mes membres et mes engouements, dissout dans l'écho des souffles expirés chacun de mes élans. Aspirer à l'éternité, toujours, comme la vie aspire à la mort. Mais pourquoi? Et pourquoi la question du pourquoi?

Curieux humain qui bâtit sa sérénité sur une éternité immuable et contre-nature, que tout dément à chaque instant. Unités inexistantes dans lesquelles nous aimerions habiter comme si nous pouvions les délimiter, et les figer hors du cours fluent du chuintement du temps. Dès la maternelle nous devrions apprendre à vivre dans les eaux tumultueuses où se défont les choses, où un objet n'a pas la place d'exister, où seules tintent les notes fondues des sensations qui nous acheminent jusqu'au bout de nous-même. Pourquoi ne nous avez-vous pas appris à être heureux dans le cours fluide des sillons de vie, pourquoi ne pas nous avoir appris à chérir le deuil autant que la naissance, la destruction autant que la construction (si tant est qu'on méprise suffisamment le relativisme pour ne pas confondre les deux choses)?

Que serait un enfant qui apprendrait à vivre en acceptant le désaisissement qu'effectue le temps sur chaque chose? Je me prends parfois à rêver accoucher d'un tel monstre de beauté... Moi qui ait préféré la stérilité des concepts abstraits, au ventre chaud et grouillant d'une femme, la fractale des questionnements (motivée par l'illusion des réponses bien déterminées) au tournoiement délicats de tes cheveux frisés...

Aujourd'hui je me trouve idiot et usé par toutes ces errances, seul, avec autant de réponses qu'une algèbre sans chiffres, dépourvu de l’oxygène de ta peau et de la quiétude aphasique des moments pleinement vécus.

Haha! Qu'il est beau le héros tragique, même pas héros mais simplement handicapé par son ego, cette boursouflure de l'être qu'il faut souffrir pour le simple plaisir de la voir un jour mutilée et de goûter enfin la légèreté d'être au monde s'en s'embarrasser d'un soi trop pesant; d'un soi qui aspire le regard devant chaque reflet, d'un soi qui projette en avant de lui un avenir, anticipe ses effets, et toujours, jette un oeil anxieux et mélancolique sur les traces pourtant intangibles de son passage. Merci Aurore, merci d'avoir détruit cette ombre démesurée, ce prédateur de toute existence unifiée.

Mais je vais encore aujourd'hui, avec une béance à l'âme, sentant comme un membre fantôme cette entité enfuie qui se débat encore dans ses moignons et m'empêche par ses cris, de goûter pleinement le repos illettré.

Je reconnais aujourd'hui ce grincement pour ce qu'il est: la carriole rouillée où se tiennent enfermées, mes questions de toujours, elles que j'ai mis en quarantaine mais qui continuent de peser sur mon destin comme le rocher d'un Sisyphe.

JE VOUS LIBERE, JE VOUS LIBERE

Et toute les libertés commencent par des revendications, par des mots et des cris, puis se réalisent enfin dans le silence des gestes déliés, dans l’étincellement mutique des sensations, dans le courant du temps sans raisons.

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