samedi 27 décembre 2014

Le tintement de mes formes

J'ai parfois le sentiment détestablement narcissique et prétentieux d'avoir un trésor en moi, la possibilité d'inscrire dans la poussière du temps une histoire grandiose à l'éclat singulièrement aveuglant. Cependant je me sépare toujours de lui, j'en remercie ma vieille conscience, et, le considérant de loin comme un objet curieux, fini par le ranger dans un coin de ce que je nomme "ma personne", l'acceptant comme un compagnon de route cheminant à mes côtés. Je n'inscris rien d'autre que mon sentiment de pouvoir inscrire de somptueuses oeuvres qui seraient autant de coeurs pulsatiles, nurseries d'univers à la diaprure flamboyante, capables de faire d'un unique son, d'une même couleur, la déclinaison interminable d'une variation infinie; le même est dans l'autre et l'autre dans le même.

Et si je dis que mon âme est une source de poésie intarissable et que j'accouche d'oeuvres aussi profondes que l'éternité comme on respire, est-ce équivalent que de le faire? Si je prétends pouvoir faire l'impossible, est-ce que je le réalise pour autant? Et si je le réalisais, je serais l'univers, et tout ce qui est et n'est pas. Toujours cette inclinaison pour la partie d'être le tout, pour la propriété d'être la chose et l'effet d'être sa cause.

Ah que ce bavardage pseudo-philosophique m'écoeure, je renonce à la philosophie, je renonce à toute connaissance, me contentant de mener ma barque. Car que reste-t-il lorsqu'on a montré que la connaissance théorique, métaphysique ou ontologique, est une chimère, un monstre du langage? Il reste à l'homme la nécessité de regarder en face son destin solitaire, sa condition de créateur de mondes. Voilà tout ce qu'il reste au bout de l'inconnaissance: la nécessité de créer et d'observer toute oeuvre comme une vérité absolue et totale, traversant d'autres dimensions de vérité absolue et totale.

Sachant cela, je secrète lentement et sans grande conviction, que voulez-vous je n'ai jamais su croire, ma prose médiocre censée être le produit de mon être, les phrases insensées de mon coeur qui s'arrête. Quel monde suis-je donc en train de créer par cet acte? Quel drôle de mère je suis, abandonnant ses enfants pour le plaisir pur d'enfanter et enfantant dans la douleur en prorogeant autant que se peut la prochaine portée. Mais le réel à chaque oscillation atomique me viole et fait de moi sa voix, l'instrument par lequel il joue la tonalité que je suis, connaissant parfaitement mes limites et mes singularités angoissantes, sans vergogne il me fait tinter chaque fois qu'il le peut, en jouant de mes formes disgracieuses, comme on caresserait la femme que l'on a toujours connu et aimé.

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