mercredi 22 octobre 2014

Les lois de la liberté

Il me semble parfois que l'entéléchie de la vie est la mort même. Une fois résolues toutes les tensions, les contradictions, les questions que pose l'existence, plus rien ne demeure que le calme néant tranquille. La sérénité du stoïcien est une mort, celle du sage qui renonce à l'expression de soi dans le monde, qui renonce simplement au soi, est une façon de clore l'existence par l'acmé de la mort. Le silence est la parole de toutes les paroles, seule à même de contenir toute parole futur.

Tout ce monde qui se déverse dans le rien est tissé de vaniteuse violence: violence de vouloir être tout, violence de ne laisser que soi partout, non seulement en soi, mais hors de soi. Si Dieu a créé le monde, Dieu est l'être le plus imparfait qui soit, gonflé de vanité, débordant d'ego. Nous sommes à son image dit-on, ô combien cette parole semble vraie aujourd'hui, tant l'homme est un paradoxe ambulant, être informe qui pourtant prend forme dans le réel, être du projet et du possible qui sans cesse devient, être indéterminé qui se fait série de toutes les déterminations, en bref possible qui a perdu sa puissance et veut la recouvrer dans la réalisation impossible de tous les multiples.

Peut-être qu'il faudrait témoigner un peu plus de respect envers ces quelques hommes qui ont eu la pudeur et la suprême intelligence de ne pas développer intempestivement leur petit univers intérieur autour d'eux et ont su se réimpliquer, s'enveloppant autour de leur noyau de néant. Ils ont participé ainsi à soigner le monde de sa folie, ils ont éteint une part de cette luminosité aveuglante qui voudrait faire de toute altérité une déclinaison d'elle-même.

L'humanité est arrivée au bout d'elle-même, au bout de ses propres mensonges. Il lui faut désormais se transformer radicalement et accepter de faire de la vie une cessation de la dispersion. L'homme est tout-puissant s'il perd toute croyance, toute soumission à des principes à qui il prête une existence extérieure afin de mieux être dominé par eux, afin qu'une détermination causale vienne le mater de toute sa nécessité. Cessez de croire en vos dieux, en vos idées, en vous-même et dansez sur le néant de l'existence, éteignez-là si vous le souhaitez: tout acte libre est d'une égale beauté. Mourrez en mangeant, en baisant, en prenant du plaisir, en cessant de vous alimenter, mourrez et vivez comme bon vous semble, inventez des façons d'être qui sonnent le glas d'un certain genre d'humanité. Transhumanisez-vous s'il vous plaît de le faire, l'homme n'a pas de nature et si vous désirez si ardemment écouter les discours absurdes qui agitent la chimère d'une nature humaine qu'il faudrait préserver, redevenez des hommes de l'origine, marchez à quatre pattes, battez-vous pour le monopole des femmes et prenez-les sans leur consentement, chassez, mangez la chair crue des animaux que vous tuez, mourrez durant les hivers trop durs et vivez dans la peur de la perfection des animaux qui vous entourent.

Quant à moi, je n'ai plus d'idées sur rien, seul le bouillonnement d'une volonté indéfiniment libre constitue la vérité de mon présent: sensations, élans, rien que des vécus subjectifs qui ne souffrent nulle borne, nul impératif catégorique. Je me ramène à l'indéterminé, à cet espace humain qu'est le tapis des possibles, conscient que chacun de mes semblables est le centre vide d'un univers infini. Vous ne me rencontrerai jamais, comme je ne vous rencontrerai jamais. Je continue mon chemin, législateur absolu de ma mort: retrouvailles éternelles où se concentrent chaque notes jusqu'ici séparées de la mélodie, au plus près de la source, bien avant que son jaillissement lui ôte toute unité.

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