samedi 27 décembre 2014

Inter-monde

Je vis dans des demeures somptueuses mais je n'appartiens pas à leur monde. On me tolère, parce que je suis né dans cet univers et qu'il serait inacceptable et contradictoire de me renier ce droit du sol et du sang. Je vais et viens dans ces belles maisons acquises par des vies de labeur et de thésaurisation, moi qui ne possède rien d'autre que la besace percée de mon présent, par laquelle s'échappe l'amour et la vie à mesure que je cours après. Je vis dans ces territoires élégants tout en me demandant durant combien de temps encore je serai amené à les parcourir, rêvant de vastes déserts sablonneux et riche d'une sobriété subtile. Mon esprit, sans cesse se meut ailleurs et se fait infidèle, mais pas ingrat, à cette luxuriante oasis qui m'accueille comme une partie d'elle-même, sans même poser la question de ma présence ici.

Renverserai-je un jour cet inconfortable facilité qui me fait évoluer par la seule force de l'inertie au milieu de ces murs joliment agencés? Contrairement à tout ceux qui ont su se rendre maître et possesseurs de ces convoitées forteresses, je ne fournis nul effort et nul travail. En vérité j'abhorre le travail, du moins dans son acception contemporaine, dès lors comment pourrais-je me prévaloir d'habiter en ces demeures?

Mais je ne fais qu'attendre, attendre est tout ce que j'ai su faire: mes impulsions sont brutales et puissantes mais cette intensité n'est mise en acte que pour mieux pouvoir me reposer et observer les innombrables remous ainsi provoquées, ondes sur la surface de ma vie qui deviennent de véritables vagues qui me portent sur leur épaule et m'emmènent à la rencontre de ma fin. Voilà ce que j'aurais été, clandestin de tout et de moi-même.

Une part de moi est bien trop conscience pour que je puisse accepter de devenir chose, il semble qu'une implacable force me maintienne à jamais dans l'écart et la distance, faisant de moi un mouvement de rien, un simple dévoilement sans substrat, une propriété du néant qui sent plus que jamais qu'aucune substance ne réside en son fondement.

J'habite donc ces demeures, j'en rentre et j'en sors, ressentant dans ces douces transitions le plaisir des inter-mondes et des voyages permanents, ceux-là même qui font de chacune de mes haltes, de simples escales sur le chemin de je ne sais quoi et de je ne sais quel curieux destin d'inexistence. Suis-je seulement un voyageur? Dès que je souhaite capturer une métaphore de mon réel opaque, je me trompe immanquablement, me croyant voyageur je m'aperçois sédentaire et baroudeur par intermittence. Tout est toujours relatif et question de point de vue, n'en déplaise à ce professeur qui tenta un jour de m'imposer sa définition d'une philosophie, heureusement farouche et libre malgré sa volonté, martelant hors d'haleine qu'aucune philosophie ne saurait accepter une relativité totale. Je l'observais en silence défendre sa relation à la philosophie, poursuivant l'absolu en fermant à jamais les yeux. J'accepte tout et reconnais toute relation comme vraie dans son système particulier, je n'ai nulle vérité à défendre, je suis en paix.

Ainsi je marche d'une maison à l'autre, vers des gens m'incluant dans leur sérail et me croyant des leurs pour la simple et bonne raison que je suis né parmi eux et suis leur sillage depuis toujours, comme un enfant sage qui ne saurait où d'autre aller.

Et sais-je seulement aujourd'hui où aller...?

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