mardi 18 novembre 2014

L'essence de tes mains

Les mots des autres et leur chaleur, aussi réconfortants soient-ils, n'auront jamais la douceur de tes mains qui parcouraient mon torse et apaisaient les brûlures du destin. Les mots des autres sont un outil bien commode grâce auquel je me penche sur leur âme et capture quelques mouvements d'un intérieur indicible qui consent à se perdre. Jamais cependant je n'ai pu aller dans cet endroit lointain où tous mes rêves se sont perdus: l'intérieur de ta tête. Je n'ai jamais pu écouter ton âme qu'à travers le style de tes mouvements externes, tes gestes et leur tonalité gracieuse, ton corps était ma seule clé pour parvenir à toi. Tu parlais si bien d'un langage que je comprenais si peu mais qui me fascinait pour tous les grands espaces vierges qu'il évoquait à mon ignorance. Des yeux constellations pareils à deux univers jumeaux que je ne pouvais visiter que de l'extérieur, que par le feu qui voulait bien filtrer vers ma réalité.

J'ai tellement vidé les mots que c'est probablement mieux ainsi, qu'aurais-tu donc eu à m'apprendre: je connais leurs détours, chaque impasse et chaque boucle. Un geste de toi est ce mot étranger, habitant d'un pays qui ne figure sur aucune carte, héritier d'une tradition foraine et ancestrale qui transcende tous les discours sages, signe d'une temporalité excédant tout logos. Ton âme était ton corps que j'apprenais à lire; non; pas à lire: à écouter.

Tous les livres sublimes ne m'apprennent rien, ils ne font que dire ce que je sais déjà, tout au plus ont-ils parfois un peu d'avance sur mes propres mots. Invariablement ils me renvoient à moi-même, à cette musique triste qui dénoue les mots et ne conserve que le ruban sonore d'une vibration fondamentale présente jusque dans la vacuité même. Dans tes sourires à toi, dans la forme de tes bras fins qui emplissaient le vide, dormait un je ne sais quoi indicible qui m'invitait à partir vers le plein, vers l'être qui aurait résolu toutes les dualités. Avec toi il n'y avait rien à comprendre, juste à vivre. Il n'y a réellement rien à comprendre: il m'aura fallu du temps pour contempler cela, moi l'être gourd avançant difficilement avec les roues carrées du langage. Tu me présentais cette évidence dans une immédiateté qui m'était interdite, moi le médiateur invétéré, toujours du mouvement cherchant la trajectoire à retenir, celle que l'on peut inscrire sur une carte; comme si nous arpentions tous le même monde...

Je lis les mots des autres semblables, en un sens, à ce que je deviens, et je comprends ce qu'ils disent, je comprends par la lecture, en synthétisant, laborieusement. Au lieu de comprendre, peut-être sentirais-je un peu plus si j'étais en leur présence et observais leurs façon d'exister. Je t'ai senti exister devant moi, contre moi, avec moi, je n'avais pas de mots et je cherchais partout à dire la conscience de ces sensations atemporelles. Toujours ce décalage qui me porte à faire signe vers mon vécu silencieux, toujours cette déportation qui m'emmenait loin de toi, comme un ressac après chaque moment vécu qui me voyait rechuter dans cette attente insatiable qu'est la conscience (volonté d'occupation hégémonique de l'esprit). Je ressens maintenant avec douleur tous ces murs que je dressais, refus de vivre, d'être ce qu'on est, soif de cette conscience qui donne l'illusion d'être ce qu'on est tout en sachant qu'on n'est pas seulement ça. Le champ de la conscience sera peut-être un jour expliqué par la physique et sa théorie éponyme: l'attention consciente apparaîtra peut-être un jour comme une vibration sur une sorte de champ, potentiel énergétique remplissant de manière probabiliste un vaste espace. Ce caractère spectrale de la conscience serait alors expliqué par sa nature étendue et indéterminée. Peu importe tout cela.

Il y a des mots qui font du bien et des mains qui ne sont plus là. Ceux-ci décalent encore et toujours la vie hors d'elle même, quand celles-là en étaient l'élan même, celui que j'ai perdu, l'essence de tes mains, le souffle de ta joie dans mes voiles détendues.

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