mercredi 25 juin 2025

Ataraxie

Refermer les crocs térébrants de rage sur le rien de sa miserable vie ne saurait éclairer de sens le prosaïsme ambiant et la médiocrité. On ne contrôle rien et cela nous écrase toujours un peu plus sous une masse grandissante de frustration -- mais cette frustration ignore qu'alors la vie serait peut-être encore plus odieuse...

Si les crocs aiguisés par l'acte automatique d'affutage qui pousse un homme sans espoir à décupler sa puissance pouvaient, ne serait-ce qu'une seule fois, s'enfoncer dans la chair de quelque chose, d'un morceau de substantielle réalité, alors peut-être que le monde porterait la marque de notre révolte, mais peut-être, aussi, tracerions-nous sur notre propre épiderme les cicatrices d'une auto-dissolution programmée, d'un anéantissement de soi -- car c'est là, peut-être, le seul accès connu au bonheur, la véritable ataraxie.

Exhaustion

Ai-je dit ce que j'avais à dire? Ai-je exhalé à travers le filtre des mots l'âcre fumée de mon âme et ses volutes intranquilles? Je ne saurais le dire. Il m'arive parfois, de me sentir poussiéreuse bibliothèque aux couleurs sombres, surrannées. Le bois verni cotoyant le vert pur du cuir de fauteuils et d'abats-jours en verre fumé. À travers les rayons obliques d'un soleil diaprant le sol, je m'ébats dans le flottement lénifiant de particules suspendues -- celles-là même qui furent l'analogie propitiatoire à l'ontologie atomiste. Il n'y a personne en moi, je suis cet édifice, enceinte du silence où seule se meut la part inorganique du monde.

Je n'ai rien à dire. Je l'écris tout de même: on n'écrit jamais mieux que ce qui ne se peut dire. Je suis vide de toute connaissance et mes rayons portent en eux les couches superposées du savoir dépourvu de conscience: toute la science n'est qu'arabesques et ondes acoustiques.

Mais tout discours n'est-il pas seulement ça? De quel droit nommé-je ces pages un journal?

La forme, le fond: des propriétés émergentes.

mardi 24 juin 2025

Spondanomancie

J'écris pour projeter dans le monde autre chose que ma pathétique et vieillisante carcasse. Il m'a été donné de jeter mondainement des parties de cette vie biologique qui ne veut rien dire: j'ai donné du plaisir, expulsé violemment le code source d'un programme dont je ne suis que l'insipide et innombrable itération. Tout cela n'est pas moi. Ce moi que je crois être l'âme doit lui aussi trouver un chemin en l'ordre des phénomènes. Je n'ai trouvé mieux que les mots et leur musique pour être le sémaphore d'une âme spectrale et putative.

L'écriture est envoûtement: on injecte la temporalité dans ce qui n'en a pas, le rythme et l'harmonie dont le poème est hyménée. Tous ces poèmes n'ont aucune existence intrinsèque, ils ne sont que la relation qu'une âme entretient à elle-même à travers le texte. La littérature est un miroir par où se dérobe aussi l'existence de qui n'a pas d'en-soi.

Il serait toutefois injuste de dire que tout cela n'a nulle valeur; en fait, contempler cette grammaire est un travail de spondanomancien: dans les débris que le vide a laissé sur le monde, une esthétique du sens érige laborieusement le récit d'une tragédie -- nul ne peut demeurer insensible à celle-ci car elle ne sait être autre chose que celle de toutes les consciences.

Aséité

L'expérience du vide est cathartique. Elle dérègle tous les sens parce qu'elle annule en l'homme l'élan de tout comprendre, de tout déterminer par projection de cause finale. La vie s'écoule, inane pour la conscience inexorablement sémantique. L'être biologique est seul victorieux, se dressant sur le passé de l'ascendance par toute la vérité de l'organisme qui métabolise et croît sans autre but que que son plein développement -- si ce n'est sa transmission. L'organisme appartient à la vie, il est régi par un principe dont on peut tant soit peu saisir les ressorts grossiers. La conscience, quant à elle, ne sait trouver son principe, elle ne fait que perdre récursivement la trace d'une origine et d'une fin et c'est pourquoi, dès lors qu'elle cherche à se saisir, advient en elle le vertige par lequel s'écoulent les cadres de la métaphysique -- et tout, alors, n'est plus que temps, aséité abolie.

mercredi 4 juin 2025

Enthousiasme

Il faut chercher -- chercher toujours -- à faire des signes les fins en soi chargées de de dévoiler un sens qu'il ne nous appartient aucunement de rendre transcendant. C'est à l'autre d'ourdir par d'échevéennes connexions sémantiques le sens qu'il tisse de ses désirs. Il faut que la manière d'agencer chaque signe, chaque proposition, chaque marque de ponctuation, soit apte à révéler un ordre -- secret mais perceptible -- capable d'attiser le désir de compréhension, capable d'amener le lecteur au travail par lequel son imagination tresse les éléments d'un monde répondant à ses phantasmes inconscients. Il faut qu'il croie trouver dans le système réticulaire de ces glyphes une vérité atemporelle qui l'élève à la divinité qui gît en lui sans qu'il ne puisse la saisir sans un intermédiaire. Il faut donc être ce détour par lequel un dieu naît à lui-même. Et c'est cela que l'art procure, ce que l'on nomme: enthousiasme.

Pièces détachées

Face au monde désassemblé, se trouver là et observer chaque élément épars gésir sur le champ des regards... Trouver cela étrange qu'un univers entier puisse être ainsi démonté, par la pulsion infantile de remonter aux fragments primordiaux -- pour tout recommencer.

Se trouver atone et muet face au réel qui ne consent jamais à se dévoiler totalement, à ce Réel sans Vérité.

Que reste-t-il à faire alors? Si ce n'est se lancer dans cette catoptromancie de la conscience réflexive qui ouvre sur l'abîme intérieur...

Ici même les coquillages, lorsqu'on les place contre l'oreille, ne dise rien qu'un son uni menant à des degrés d'hypnose -- induite, bien malheureusement, par notre consentement.