jeudi 31 janvier 2013

Quelque chose demeure

Elle ne pouvait se retourner contre le cours, contre son temps, il lui fallait sans cesse avancer en avant. Bien des endroits elle a traversé durant son voyage, combien de paysages splendides lui ouvrant leurs bras, lui offrant un asile sûr dans une quelconque crique; combien de destins croisés, laissés sur le chemin, au bord, dans un premier temps, puis derrière, de plus en plus loin. Rien, vraiment, ne l'arrête, à peine le monde se place-t-il sur son chemin, qu'elle en épouse les contours et glisse sur ses bords, d'une caresse humide. Malheur à ceux qui voudraient se faire plus vaste qu'elle et la garder pour eux car alors, elle concentrera sur elle toute sa rage de vivre et son indépendance pour franchir l'obstacle, inéluctablement. Parfois reposée et avenante, elle accueille sur elle les corps qui voudraient se rafraîchir en son sein, elle se donne alors avec une apparente docilité. D'autrefois, c'est l'âme pleine de tourment et le coeur mouvementé qu'elle s'élance à travers les orages; dans ces moments rien ne l'émeut, elle est torrent d'indifférence et fait pleurer les hommes dont elle a brisé le coeur.

Puis la voilà qui disparaît, plus personne n'a de trace d'elle, on entend partout dire qu'elle n'aurait même jamais existé, pas ici en tout cas, pas dans ce monde, pas dans cette vie. Pourtant, il faut bien qu'elle continue sa route, quelque part, à l'abri des regards, de l'autre côté du monde peut-être, là où l'ombre s'agite et la lumière est interdite. Résider parmi les vivants est un travail harassant, les hommes sont sales et ils souillent tout ce qui attise en eux la convoitise. L'isolement que procure une caverne et le murmure des sédiments sont une compagnie lustrale pour une demoiselle qui ne s'abreuve qu'à la pureté. Ici le temps donne tout son sens à travers l'oeuvre qu'il polit lentement.

Mais bientôt il faut partir, une part d'elle se souvient des champs hérissés de cultures, des sifflements du vent dans les frondaisons et des rencontres impromptues. Il faut réintégrer l'envers du décor, répondre à l'appel des grands espaces sauvages et avancer encore vers ce mystérieux destin. Une réponse un jour sera donnée, qui marquera la fin pour elle de ce curieux périple. Ce destin qui si souvent l'a accompagné, dans sa course parallèle, attend depuis toujours, à son poste, perpendiculaire à sa ligne de vie, le lieu de leur rencontre. La voilà qui voit l'horizon s'élargir, le ciel dégagé offrir sa courbe aux confins de la Terre. Son rythme décroit à mesure qu'elle gonfle ses poumons plus facilement, se gorge de profondes inspirations face à l'immensité qui l'accueille. Elle est au bout du voyage, elle s'en va, se fond dans l'étendue de ce bleu infini qui la prend lentement mais sûrement, en fait sa concubine. Mais le cruel océan ne consent à offrir à ses conquêtes une vie plus vaste qu'au prix de la leur...

Le fleuve, alors, n'est plus, mais l'eau demeure.

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