mercredi 30 janvier 2013

Avec vous

Avertissement: ce texte doit être pris comme une littérature médiocre dénuée de toute velléité autobiographique. Merci.

Nous gesticulons et je gesticule.

Je n'existe pas réellement, ou de moins en moins ailleurs que dans ces lignes. Elles sont mon espace d'incarnation, de liberté, elles sont ce lieu et ce temps où l'on se dit et où peut-être on s'invente. J'aurais aimé pouvoir dire: voilà une trace de mon passage, un reflet particulier de moi-même, la marque de mes pas dans le désert de l'existence. Seulement, je ne peux m'empêcher de constater, me relisant, que moi-même ne possède plus la clé qui mène des ces textes à qui je fus. Tout juste puis-je encore me souvenir du contexte de leur naissance, mais il ne parle plus, sa présence est passée. Chaque texte prend son sens dans ce contexte spatio-temporel, si on l'en détache, il n'est plus ce qu'il était, il devient autre chose, se vend au plus offrant: l'instant présent, celui qui vient.

Mais qu'à cela ne tienne, il s'agira toujours d'une expression de moi-même, peu importe si le code n'est plus maîtrisé, si le sens est perdu, le mouvement enfui, reste toujours la trajectoire muette. C'est votre conscience qui recueillera en elle les quelques mots perçus, c'est elle qui fera vivre une image de moi, celle que vous imaginerez. Je ne peux que m'en réjouir, et tant pis si vous peignez en vous une image qui me trahirait, que pourrais-je bien dire moi qui l'ai permis? Les absents ont toujours tort et je n'oserais affirmer que je me suis mis dans mes mots...

C'est un morceau du monde, une pointe d'iceberg par laquelle vous reconstituerez une identité, un univers où se balader, une personne à qui parler peut-être. Il restera une trace tout de même, un mystère de plus dans l'univers. Ce témoignage, cette concrétion de mon être, voyez-la comme un caillou rencontré sur le chemin de votre vie: vous y faites attention ou pas, vous le ramassez ou pas, le mettez dans votre poche ou pas, le touchez ou pas, le conservez ou pas, y attachez des sentiments ou pas, lui donnez la signification que vous voulez, vous êtes libre d'en disposer. Un caillou suffit-il pour reconstruire la Terre? À peine suscite-t-il une telle image... Pourtant, j'ai décidé d'égarer ce fragment de moi-même sur ma trajectoire, de l'abandonner au temps pour ainsi dire.

Il restera au moins ça et j'en suis fier. Je traverserai le temps quelque part avant que l'on m'efface, avant que l'on efface même de toute mémoire le moindre souvenir de qui j'étais. Plus personne ne pourra témoigner de mon égocentrisme et s'écrier vertement: "Non mais quel mégalo!", personne... Dans un délai relativement court, il n'y aura plus rien de moi. En attendant, et pour ne pas créer une discontinuité dans ce qu'aura été ma vie, j'agis quand même, j'esquisse le geste absurde, une fois de plus, d'exprimer, de déposer quelque chose de moi-même dans ce monde.

Il y aura bien eu quelques croyances derrière cette vie: celle d'être, dans l'ensemble, juste et bon, mais peut-être est-ce là un peu trop et devrais-je me contenter de la pensée de n'avoir pas été vraiment mauvais pour le monde et pour les autres. Bien sûr, j'aurais pu avoir la décence de ne pas interagir avec eux, ne pas leur offrir le spectacle de mes gesticulations, ne pas l'ajouter à la somme de toutes les gesticulations de l'humanité. Parfois, ai-je eu la politesse de leur indiquer la vraie nature de mes actes, de ne pas en prendre compte et de laisser glisser. Parfois je n'ai pas eu cet égard et probablement alors, sur quelques âmes innocentes, ai-je pu semer le doute, accroître un peu plus l'incohérence globale, mais peut-être que c'est s'accorder bien trop d'importance au fond. Il faut m'excuser, l'homme a tendance à ne comprendre que trop tard, puis à vite oublier...

Mais tant pis, tout cela est fait, "alea jacta est". Il ne me reste plus désormais qu'à caresser l'idée folle que j'ai pu un jour, quelque part, pour quelqu'un, faire scintiller dans la nuit agitée de nos destins une lueur d'espoir, de paix, d'amour peut-être. L'idée que j'ai pu représenter pour un autre, un morceau d'univers suffisamment familier pour qu'on se trouve aise de sa compagnie, pour qu'on le foule avec plaisir et qu'on se l'approprie comme une partie de soi. L'idée de pouvoir être pour quelqu'un pareil à ces objets que l'on garde sur soi pour se rassurer, l'idée qu'enfin, une parcelle, une poussière de cet univers démesuré puisse nous appartenir un peu, puisse cesser d'être un mystère, cesser d'être ce qu'elle est en somme: un agrégat de silence, une interrogation. Dites-moi: ai-je pu, déjà, représenter cela pour vous? Une parcelle de monde suffisamment bienveillante et solide pour y reposer votre existence, ne fut-ce que pour un temps, une fraction d'éternité? Un morceau d'on-ne-sait-quoi qui aurait su résister un tant soit peu à l'altération de toutes choses, pour s'adapter à vous, à votre corps et à la délinéation de votre âme?

Fut un temps, et probablement d'autres temps viendront répondre à celui-là, où j'étais assez fort pour me trouver partout chez moi. Chacun et chaque chose était cela pour moi, un visage ou un lieu familier et bienveillant bien que totalement nouveau. Et le bonheur se résumait à cela, à se trouver une parenté avec toutes choses, une certaine unité bien que ce mot soit tellement gras aujourd'hui qu'il en est devenu indigeste, dégoulinant de la misère que les naufragés de ce monde y ont déposée, eux qui y ont instillé la croyance et s'en sont fait une bouée.

Je dois avouer tout de même que j'entretiens le 'secret' espoir que l'espace infini de ces mondes virtuels permette à mon oeuvre de durer avec les hommes, qu'elle ait le privilège d'accompagner l'Histoire jusqu'à sa fin éventuelle. Ainsi je désire mon droit de Cité, mon droit d'univers. J'attache de plus en plus de prix aujourd'hui à la matière. J'aimerais être comme elle et que mes textes ne soient rien de plus que cette matière, qu'ils cessent enfin d'hurler pour se contenter d'être là. Celui qui posera les yeux dessus pourra, s'il le veut, incarner les mot, leur prêter l'existence dont ils sont dépourvus en tant qu'éternité figée. S'ensuivra ce qui s'ensuivra, le fait que cela soit possible suffit à me rendre heureux, à me faire sourire, à donner sens à ma vie. Ma direction serait celle-là alors: devenir un grain d'univers que l'on pourrait regarder ou non. N'être plus, enfin, ce que j'ai peut-être toujours souhaité depuis les premiers temps où m'a pensé s'est avancée avec quelque assurance, que de cet enfant à genoux, elle s'est dressé sur ses bases pour devenir la pensée de ce corps devenu adulte lui aussi, n'être plus disais-je, qu'un Être pur et simple. Que le monde, l'Être, me donne la possibilité d'être là; avec vous.

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