mardi 29 mars 2011

La colère

Nous avons vu, avec la peur, comment les sentiments s'insèrent dans le fossé qui existe entre ce que vit l'homme et ce qu'il se représente. Il existe toute une typologie de ces décalages mettant en relation la nature de ceux-ci avec le sentiment produit. Je vais m'attacher ici à ce que je nommerais décalage potentiel et qui peut avoir plusieurs conséquences parmi lesquelles: la colère.

Qu'est-ce que la colère?

On pourrait la définir comme suit: une différence entre les pouvoirs que l'homme se représente avoir sur autrui et la réalité des faits. En effet, pourquoi est-on en colère contre quelqu'un? Bien souvent, cet état peut s'expliquer par une déception. L'on est déçu par le comportement de son prochain. Qui dit déception dit attentes. On est déçu précisément parce qu'on avait placé des espoirs en autrui et que l'on n'accepte pas que les choses ne se soient pas déroulées comme on l'avait souhaité. Cette attitude peut fort bien s'avérer légitime concernant les personnes sur lesquelles on peut estimer avoir un 'droit'. Par exemple, on peut assumer qu'un représentant politique élu démocratiquement doit quelque chose au peuple, il est censé avoir un comportement éthique et conforme aux raisons qui l'ont fait élire. Eprouver de la colère lorsque ces raisons sont bafouées est chose somme toute assez normale, si ce n'est encouragée. On pourrait aussi évoquer le cas des parents et de leur enfant etc.

Cependant, dans la grande majorité des cas, nous n'avons aucun droit sur les personnes que nous honorons de notre colère. Le décalage naît de l'image que l'on se construit de l'autre; cette représentation mentale constituée petit à petit, mais toujours parcellaire, vient se surimposer à la personne authentique à la manière d'un rôle. Ces représentations sont très souvent stéreotypées et s'avèrent très résistantes aux faits réels. Il sera difficile pour toute personne de déconstruire l'image que les autres se sont fait d'elle. Ainsi donc, nous nous laissons emporter par la colère dés qu'un changement majeur vient déranger le rôle que nous avions attribué. Il nous semble tellement intolérable qu'on ait pu ainsi déjouer nos prévisions que nous agissons alors comme un petit dieu omnipotent qui voudrait tout régenter autour de lui.

Simplement, la colère intervient lorsque face à la liberté d'autrui, nous nous plaçons volontairement contre les faits, refusant d'analyser, de comprendre et donc de reconstruire. Ce travail demande un effort certain, qui, en outre, doit être sans cesse renouvelé. La colère, c'est accuser, montrer du doigt. La compréhension, c'est chercher, (s')interroger. La tendance au moindre effort et à l'élaboration d'un monde mentale stable, avec des constantes, menace notre conception du monde, notre appréhension de ce qu'on nomme 'réalité'. Pour s'affranchir au mieux de ces colères aveugles, il faut perpétuellement remettre en question l'ordre établi, celui de nos représentations, pour ne plus se placer en décalage d'une réalité qui, forcément, nous soumet au doute et à l'incertitude. Si l'on ne peut percevoir la "chose en soi", on peut tout du moins, s'attacher à effriter par nos efforts, les couches de poussière accumulées par le temps et notre inertie. Celui qui accepte de n'avoir aucun pouvoir absolu sur les gens, est à même de passer au travers de la colère pour prendre plus rapidement le chemin de la compréhension.

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