samedi 26 mars 2011

La peur

La peur est certainement le plus grand fléau humain. S'il existe un responsable à toute la misère, toute la violence du monde, c'est la peur. On peut facilement expliquer tout acte éthiquement et moralement désavouable par elle. Si la peur est associée dans ce texte à un sentiment, elle aurait pu l'être à une émotion. La différence entre les deux étant tellement ténue que le basculement de l'un à l'autre est chose aisée. Cependant si j'utilise volontairement le terme de sentiment, c'est pour souligner la nature purement conscience de l'état de peur. Puisqu'elle est consciente, elle peut être analysée et sublimée. J'aurais plutôt tendance à parler de terreur dans le cadre d'une émotion dont l'emprise physique est telle que la pensée consciente s'en trouve presque annihilée. L'émotion est par nature plus difficile à apprivoiser puisqu'il lui faut d'abord naître du corps pour atteindre la conscience et pouvoir se transformer en sentiment malléable.

Qu'est-ce que la peur?

La peur si elle revêt plusieurs formes est un processus de pensée plutôt simple lorsqu'on le dépouille de toutes ses nuances pour n'en laisser que la substance profonde, le squelette.

Les sentiments humains naissent de la représentation mentale que l'homme se fait de lui-même. Ils sont tels une vie par procuration où l'homme se fait spectateur de sa personne. La peur comme tout sentiment humain est donc une pure représentation mentale. Plus précisément une projection de soi-même dans une situation fictive. Certes la peur peut naître du souvenir et donc ne pas être pure fiction, cependant, elle reste fiction même dans ce cas puisque c'est l'anticipation d'une situation à venir, en écho au passé, qui crée la peur. Ainsi, systématiquement, la peur naît de l'imagination. C'est un décalage de la pensée qui tente de vivre une situation non avenue, le décalage est donc avant tout temporel. Même lorsqu'elle est alimentée par un évènement passé, elle advient par anticipation: on craint que l'expérience passée se réitère. Or, on ne peut pas ressentir la peur sans cette anticipation. Ce ne sont jamais les causes mais toujours les conséquences qui créent la peur. C'est en connaissance de cause que nombre de sportifs confrontés au danger, segmentent leur performance en plusieurs gestes simples. Par ce mécanisme, l'esprit se focalise sur chaque étape au moment voulu, sans penser à la suite, à l'ensemble. Focalisé sur le présent, l'esprit ne s'éparpille pas, il ne concevra les conséquences de sa performance qu'une fois chaque étape achevée, qu'une fois l'objectif atteint. Bien des prouesses sont quotidiennement réalisées par ce subterfuge ingénieux (bien que très dangereux lorsqu'il sert à s'affranchir de l'éthique).

Vivre le présent est le meilleur remède contre la peur. La peur, bien que naturelle, n'est d'aucune aide. Il peut y avoir des peurs 'saines', des craintes inoffensives. Après tout, l'être humain est fait de chair et de sang, il a des émotions, et il ne s'agit pas de les annihiler. Cependant bien des peurs sont nocives, trop d'entre elles sont handicapantes, dangereuses. Il est important de savoir les observer, de les comprendre, et de savoir comment les mettre à mal. À quoi sert de craindre une situation qui n'est pas sûre d'advenir? À quoi sert de vivre à l'avance, à travers la peur, une situation qui arrivera forcément? Prenons l'exemple de la mort: est-il opportun si l'on vous annonce que vous n'avez plus qu'un an à vivre, de passer cette année dans la crainte perpétuelle, dans l'angoisse et l'inhibition, dans le déni de la vie encore présente?

Dans tous les cas, la peur vous fera perdre vos moyens dans les situations où, pourtant, il est nécessaire d'être parfaitement lucide. La peur amenuise les chances de réussite. La peur aveugle et masque trop souvent les nombreuses opportunités de surmonter les obstacles.

L'âme sachant agir en fonction du présent est garantie contre la peur.

Voici comment je définis la peur, par ce décalage de la pensée qui observe son propre 'moi' dans un moment non avenu. Bien des sentiments 'négatifs' naissent d'un décalage (mais ces différents sujets seront traités ailleurs).

De quoi la peur est-elle le nom?

De quoi est-elle donc responsable? On pourrait affirmer que toute violence prend sa source dans la peur. En effet, bien souvent la violence dirigée sur autrui est un acte de prévention. Beaucoup des personnes les plus dures dans leurs actes de violence, le sont par peur des représailles. Ecraser l'autre est une manière de ne pas subir. On donne les coups que l'on ne veut pas recevoir.

La violence à l'encontre de sa propre personne est aussi nourrie par la peur. On se fait mal pour ne plus avoir peur d'avoir mal. On se blesse pour savoir. Ce qui est déjà subie ne sera plus à subir. Provoquer, être maître de sa propre souffrance nous paraît comme une victoire sur la peur.

La peur est toujours quelque chose de très égoïste puisque même à travers la crainte de l'autre, c'est soi-même que l'on veut protéger. C'est aussi bien souvent sa propre image que l'on veut préserver. L'autre est un miroir et ne pas l'accepter est se vouer à la souffrance, à la fuite et au déni. Autant d'aliments pour la peur. On a exterminé par le passé, et on le fait encore, par peur de l'altérité, par peur de cette humanité qui nous effraie parce qu'elle semble incontrôlable, si loin de nous. L'idée de maîtrise est très présente dans toutes les peurs. Ceux qui ont prêché pour une humanité stéréotypée, à visage unique, l'on fait par désir de contrôler. On aime que les choses aillent dans notre sens, on aime avoir raison car cela nous sécurise. Le familier est rassurant puisqu'il ne demande pas d'effort: de remise en question, de curiosité, d'apprentissage. La peur de l'Inconnu, c'est la peur de regarder en face ses propres bornes, sa propre ignorance.

Surmonter sa peur

C'est avant tout un travail permanent sur soi-même. On reste un homme et la peur ne sera jamais gommée définitivement de l'esprit. Il est toutefois possible d'en limiter la durée et les effets.

Il s'agit d'abord de s'ancrer dans le présent. Vivre sentimentalement un évènement non avenu, c'est se condamner à le vivre deux fois. Savoir prendre les choses comme elles viennent est fondamental. Pour cela, il est nécessaire d'avoir confiance en soi. Il est bien plus simple de ne pas sombrer dans la peur lorsqu'on se sait capable de rebondir sur les différents évènements de la vie. Accepter est encore une fois la clé, ne pas rester dans le déni de ce qui va pourtant arriver, ne pas s'enfermer dans l'affirmation de ce qui n'arrivera pas obligatoirement.

Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l'auto-persuasion. Trop souvent, des personnes se privent d'une compréhension facile par l'affirmation de leur incapacité à comprendre. Sans la volonté, l'homme ne peut aller nul part. Se détacher des mythes ancrés en nous, de nos illusions. L'excès de confiance en soi n'est pas une réponse. Il suffit de "faire ce que l'on peut", de rassembler tous ses moyens et d'accepter le résultat quel qu'il soit. Il n'y a point de regret à avoir lorsqu'on a mis tous nos efforts dans une action. Et jusqu'à preuve du contraire, ce qui doit arriver arrive... S'attacher à l'objectif, à la fin me semble être une erreur. Nous ne sommes pas maîtres des conséquences de nos actes, en tout cas jamais totalement. Accepter cette part d'impuissance humaine face au destin est le chemin le plus évident au pardon (voir à ce propos ce que dit Hannah Arendt dans "la condition de l'homme moderne"). Le pardon que l'on donne à autrui, comme celui que l'on s'accorde. Echouer n'est pas honteux ni impardonnable à partir du moment où nous avions la volonté de réussir. Il est, en outre, bien connu que l'échec est source d'enseignements, peut-être plus que la victoire. Le voyageur qui peut suivre son chemin, sans s'attacher aux aléas de son périple est celui qui cheminera le plus loin. L'important n'est pas où l'on va, mais comment et pourquoi on va.

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