samedi 5 mars 2011

Les livres

Les livres ont toujours eu une place particulière dans ma vie. Je ne saurais dire pourquoi, comme ça, d'un premier jet. Tiens d'ailleurs, c'est étonnant cette sensation que mon écriture n'est qu'une affreuse synthèse de tous les styles qui m'ont marqués, consciemment ou non. Mon style même est celui des livres, de ceux de mon univers.

Dés mon premier livre la magie a opéré. Pourquoi, pourquoi les livres et pas la télévision, ou même les films et la musique? Ils avaient eux aussi un certain pouvoir d'attraction sur moi, notamment la musique, je me souviens... Mais les livres, les livres! Quel voyage cela représentait pour mon âme solitaire. Déjà petit, j'aimais la solitude des livres, l'ivresse des mots qui se pressent vers l'âme qui les boit.

Peut-être est-ce dans les livres que vivent les plus grands. Peut-être est-ce le silence du mot écrit, qui éclate et hurle dans l'esprit du lecteur, qui exprime les plus belles pensées. C'est peut-être que les hommes ont toujours mis plus d'énergie dans leurs oeuvres qu'en eux-mêmes... Alors moi bêtement je cherchais l'homme dans son refuge: la littérature.

Je me rappelle, j'ai lu, énormément, depuis ce premier livre. J'ai mémorisé photographiquement la langue qui m'enveloppait, et je pouvais feuilleter au gré de mes envies, toutes ces pages dans mon âme imprimées. Je le peux encore... J'ai appris ma langue comme ça, par pure imitation, par accumulation de formules lues, de syntaxes ingérées. Je ne comprends rien à la grammaire, les structures langagières françaises me sont aussi inconnues que ces étoiles que je contemple. Et pourtant, très tôt, j'appris à écrire correctement, avec aisance, sans faute. Mais c'était purement inconscient, l'écriture jaillissait naturellement, avec la bonne syntaxe, les mots gravés sur le papier avec la bonne orthographe. Mon âme est une mémoire infinie qui mâche et conserve et assemble et synthétise et fixe. J'ai su écrire grâce à mon talent d'imitateur, mon style une photographie des autres, des oeuvres originales que je plagiais sans vergogne, sans même le savoir.

Les livres, c'était donc parfait. Ils me parlaient par ma voix et il n'y a jamais eu qu'elle que j'ai vraiment écouté, tristesse... Les choses que je ne me suis pas dites à moi-même ne semblent pas vraiment exister. Alors je me suis parlé avec les livres, je leur ai prêté ma voix qui leur allait si bien, pleine de nuances infimes que d'autres ne pourraient percevoir, croyant observer un cadavre dont le visage s'anime pourtant, mais seulement pour moi.

Ainsi donc la littérature m'a prêté ses rêves, celles des vrais hommes qui se sont consumés dans leurs oeuvres, j'observais avec avidité leur mort dans cette âme écrite que seule la mienne pouvait faire parler. J'ai toujours été à l'aise avec les morts, les hommes m'émeuvent lorsqu'ils sont morts, il n'y a qu'ainsi qu'on peut leur faire dire ce que l'on veut.

J'ai aimé les livres avec violence et sans mesure, à la mesure de ma déraison et de cette aliénation au monde qui me fera jusqu'à aujourd'hui appartenir à d'autres sphères introuvables. C'est un peu à cause d'eux que je ne suis pas d'ici, gauche parmi les adroits, toujours "dans la lune" ou "étourdi". Etourdi car moi aussi je voulais graver mes pensées où le temps ne s'écoule plus, dans la fixité mouvante des mots.

Un jour, j'avais trop rêvé... Trop, bien trop... À tel point que je ne pouvais plus ouvrir un livre. J'avais tout vu, tout connu. Toutes les histoires, tous les personnages et tous les mondes. Il n'y avait que répétition, des styles, des histoires, des maladresses, des vulgarités. J'errais parmi les livres médiocres et j'aspirais à m'élever au-dessus, bien au-dessus de tous ces petits que j'avais vaincu par mon acharnement amoureux. Ingrat que j'étais alors, je m'en étais servi pour grandir et je ne les foulais plus qu'avec mes pieds, marchant définitivement au-dessus des gens, morts pour leurs livres.

J'ai arrêté un peu ma drogue mais un jour j'ai trouvé. Les idées... Les idées étaient là, dans un livre à nouveau... Mais pas comme les autres celui-là. Non pas comme les autres, un livre qu'on n'oublie jamais, un livre d'idées, de la philosophie. Le raisonnement discursif d'un homme écrit sur papier et tout ça sans devoir écouter. Il suffisait de prêter ma voix et de la taire, elle et lui à mon bon vouloir. Toute la sagesse des autres, enfin pour moi, pour les imiter, pour m'en nourrir, pour apprendre. Je voulais vivre moi aussi, VIVRE!! Comme eux, tout pareil. Comment ils avaient fait eux qui pensaient comme moi... Qu'est-ce qu'ils pensent donc de la vie, comment l'ont-ils traversé, je veux savoir. Ah qu'ils m'aident donc à vivre moi qui n'ai jamais su! Ils m'ont façonné, chacun continuant l'oeuvre de l'autre. Je ne suis rien d'autre qu'eux. Ils vivent à travers moi qui n'ai jamais vraiment existé. Je ne sais pas s'il en est de même pour tout le monde, peut-être... Chacun sa source... "Je est un autre". Je pense par citation et lorsque je crois avoir enfin une pensée originale, je m'aperçois qu'elle est née des autres, elle était déjà programmée, tout est programmé! J'ouvre un livre, je me lis. Partout, je ne retiens que les bouquins qui parlent de moi, que les pensées qui me conviennent. C'est certainement ça l'immortalité des grecques, se faire sculpter entièrement par les oeuvres de l'artifice humain, ce monde fait pour se perpétuer dans les âmes. "Les oeuvres d'art sont des objets de pensée", il n'y a rien d'original chez les hommes d'aujourd'hui, que des récitations partout, des photos, des enregistrements. Seuls les fous pensent vraiment.

Enfin j'aimerais tellement que ce soit vrai. J'aurais alors un peu de substance, peut-être... Tenez, il suffit de compter le nombre d'occurrence du terme "peut-être" dans ce texte pour comprendre que je n'ai pas vraiment d'existence propre. C'est pour cela, j'en suis sûr, que certaines personnes arrivent à m'aimer. Parce qu'elles en aiment d'autres à travers moi, des artistes chéris, des philosophes illustres, des hommes n'étant plus. Je n'arrive pas à écrire. Je ne sais pas fabriquer d'oeuvre. Je n'en suis pas capable. Je ne sais que faire dans l'instant, en dilettante, mes actes se consument instantanément dans le présent qui s'enfuit. Je ne suis pas fait pour faire, je suis la pensée vivante, mise en vie, de toutes les oeuvres qui se sont appropriés ma personne, mon moi qui n'est pas mien.

Au fond les livres ont toujours été la science, et moi l'application, la technique. Je suis un terrain de jeux pour les pensées, un univers où elles se télescopent, font l'amour ou la guerre mais toujours poursuivent leur vie.

Il y a trop de choses qui m'inclinent à me croire dans le vrai. Je me suis rendu compte un jour que je pouvais lire n'importe quel texte avec la voix de Léo Ferré, la même. Même avec des mots que je n'ai jamais entendu de sa bouche, je peux me servir de sa voix à volonté, ou est-ce l'inverse... Je peux faire ça avec tous les artistes que je daigne écouter parler. Je suis même capable de recopier n'importe quel dessin alors que je ne sais absolument pas dessiner. Est-ce bien normal?? Ils se servent de moi!!! Tous, ils hurlent dans mon esprit et j'en oublie même si c'est moi, ou eux qui décident... Ils m'empêchent d'être moi mais me font tellement vivre. Ils m'étouffent mais sans eux l'air n'est plus...

Je vais vous faire une confidence: je suis incapable d'écrire sans aucune source d'inspiration. Pour accoucher d'une oeuvre, j'ai toujours besoin que ce désir naisse d'une autre. Je me gorge de musique, de mots, d'images. Je les avale, les digère pour ensuite les rejeter dans un objet littéraire qui prétend m'appartenir, que je feins de prendre pour une partie de moi. Au fond je ne fais que voler le génie des autres pour en reproduire des copies plus pâles, sans sève, sans subjectivité aucune.

Je ne désire faire que ce que les autres font, n'ayant pas de désirs propres. Je ne suis pas un créateur, je pille, je singe. Ils doivent me détester. Le monde des hommes me détestera un jour pour être ce monstre qu'il n'a pas vu arriver, se nourrissant de ses ordures, croissant à ses lumières. Ils me haïront parce qu'ils se reconnaîtront tous en moi sans jamais vraiment se saisir d'eux-mêmes. Ils se détesteront parce qu'eux c'est moi, ou plutôt moi c'est eux. Ils auront peur à en frémir, de ce rassemblement de génies, de cet amas d'hommes en un seul: ma monstrueuse dividualité. Je ne suis qu'un foetus en gestation infinie, je ne deviendrais jamais un homme.

Suis-je bien humain? Êtes-vous bien là? Vous m'écoutez? Ou bien est-ce que vous vous écoutez en ce moment, avec mes mots... Êtes-vous seulement sûr d'exister, sans moi, sans eux, sans le monde...

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