vendredi 25 mars 2011

Etre un homme

Dans ses rêves d'absolu, l'homme en oublie souvent qui il est.

Qui est-il cet homme si ce n'est l'inabsolu par excellence, la finitude en action dans sa durée déterminée? Une vie où tout est possible, oui, mais une vie. Une: l'unité, la chose finie, délimitable, sécable du reste.

Pourquoi l'homme s'est-il donc presque toujours efforcé de placer le Bonheur (l'ataraxie, le nirvana, la béatitude) dans cet ailleurs infini, cette unité primordiale qu'il ne peut toucher sans se dissoudre entièrement, dans une perte d'identité définitive et sans retour.

L'homme a décidé, et c'est de plus en plus vrai aujourd'hui, que le Bonheur réside dans l'illimité. Ainsi donc il s'embarque sur le carrosse de la technique, accélérant sans cesse son oeuvre jusqu'à ne plus apercevoir le monde dans lequel il se meut, ses obstacles comme ses cadeaux.

Le Bonheur: comme une sortie de l'humanité. Certains le placent dans la mort en croyant pourtant être capable de le saisir dans cet instant où ils ne sont plus. Ceux là ont la foi, qu'ils soient croyants ou nihilistes, ils croient en un bonheur absolu qui leur serait accessible dans un au-delà qu'ils habillent de leurs fantasmes, de leurs rêves déçus...

Pourtant ce ne fut pas toujours le cas, et au temps de l'antiquité, les stoïciens nous ont montré la première clé d'un Bonheur humain, c'est à dire relatif et ignorant l'absolu. Cette clé c'est l'acceptation. Pas la résignation comme certains voudraient le croire, trop peureux peut-être pour se saisir de leur destin. Pas du fatalisme non. Simplement l'acceptation: faire sien le plus grand des pouvoirs humains, celui de décider. L'acceptation place le choix au centre de la vie humaine. Ainsi s'accepter, c'est ne plus se fuir. Si l'on ne se fuit plus, alors s'en vient la possibilité de l'amour. La capacité d'aimer est directement liée à l'indépendance. S'accepter pour devenir indépendant et à travers l'indépendance accéder à l'amour véritable, celui qui point n’enchaîne, celui qui laisse venir à soi, qui ne retient pas.

S'accepter donc. On peut ensuite s'affranchir de soi-même, cesser de faire de nous-même une préoccupation perpétuelle. Lorsqu'on n'a plus besoin de se fuir, l'on peut prendre le temps de regarder aux alentours. On regarde le monde tel qu'il est, on cesse d'avoir peur. Notre vie est bornée: soit. Peut-être est-ce justement le plus grand bien de l'humanité. C'est notre arme face à la peur. On mourra, quoiqu'il arrive. On est libre. Chaque instant compte. Le Bonheur c'est un état, c'est donc un instant présent, une éternité, celle de chaque instant. Le présent est donc la seconde clé du bonheur. C'est en cessant de disperser son âme sur les fragments passés et futurs d'une vie rêvée que l'on peut se rassembler, ne plus chercher l'ailleurs, l'autre. C'est lorsque l'on peut être que l'on est heureux.

Nous sommes dans un monde qui nous dépasse quelque peu, en tout cas nous sommes soumis à des 'lois', des forces sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Il est bien important pour ne pas errer dans une quête sans fin d'accepter cet état de fait et de s'en accommoder. Il est même possible de s'en réjouir, tout dépend de nous.

Le Bonheur humain c'est un choix que l'on fait, ce n'est pas un plaisir absolu, éternel, c'est une valse, un chemin avec ses détours et surprises. Le Bonheur n'est pas fixé à un point donné, il n'est pas l'objectif à atteindre, il n'est pas une chose délimitable, il ne forme pas une unité, une notion bornée. C'est un état et c'est précisément là que réside son infinité, son éternité. Le Bonheur n'appartient à rien. Il est simplement ce que l'humain qui accepte sans peur son destin peut ressentir.

L'absence de peur constitue donc une troisième clé.

Ainsi, nous avons l'acceptation (qui commence par soi-même), mère du véritable amour, qui mène à l'instant présent dans lequel aucune peur ne saurait exister (car toute peur est une projection de soi dans un imaginaire). Grâce à cela la conscience peut s'élever librement et peut aimer toute chose qui est comme étant une partie d'un tout auquel on est fatalement relié par le simple fait d'être. Ce qui nous détache de ce tout? La conscience.

La conscience naît de la finitude, de la possibilité de différencier et donc de créer des unités mais surtout des identités. Ces identités, pour devenir conscience ou apparaître à la conscience, doivent s'inscrire dans une temporalité. Le temps est l'ingrédient de la finitude dans lequel on détermine un début et une fin. Ainsi grâce au temps peut naître la durée. La durée est comme le témoignage silencieux, qui s'offre à la conscience, de l'identité des choses. Tout "étant" est dans la durée. Abolissez le temps et vous n'aurez plus ni conscience, ni identité, tout ne sera plus qu'un, unité figée dans une éternité sans nom.

C'est donc ainsi que la conscience vit comme une parcelle d'un monde devenu fou puisque perdu dans une étendue mesurable de matière et de temps qui ainsi séparé du reste peut enfin observer et créer une perspective sur le reste du monde. La différence est ainsi créée et sera la cause des débats incessants de la conscience pour se fondre dans une unité perdue que l'on peut concevoir sans jamais la vivre. Sans jamais la vivre puisque précisément cette unité n'existe qu'hors de toute conscience.

Malgré tout, cette conscience qui nous prive de l'absolu, nous serions hypocrites de la rejeter. Peu de gens ont envie de ne plus exister. Peu de gens prisent l'idée de n'être plus qu'un espace d'éternité où tout s'abolit, où tout est dans la plus extrême froideur de l'Etre. Etre: ce terrible concept muet où rien n'a de place que lui-même. Notre conscience, c'est nous et malgré tout, même lorsque nous nous fuyons, nous avons tendance à nous aimer. Nous cherchons à nous sauver, même dans la destruction (qui bien souvent relève de l'appel au secours). Nous voulons être heureux, absolument heureux, tout en étant conscient. Nous voulons vivre par-dessus tout. Nous inclinons à la toute puissance, à l'immortalité, mais nous revendiquons le droit à la conscience, à l'identité. Or s'il nous est si intolérable de disparaître dans l'Un de l'Etre, dans l’innommable, nous n'avons d'autre choix que de rejeter tout absolu intrinsèquement étranger à l'homme pour accepter d'être heureux dans une limite qui nous façonne et nous identifie. Nous devons choisir l'inconstance inhérente à l'homme en la transcendant par la force de nos choix.

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