samedi 10 mars 2018

Trois couplets quatre refrains

Moins qu'un chien dans une cave emplie du bruit de mille cafards affairés. Moins qu'un chien attaché à son arbre au bord de la route. Moins, bien moins que cela. Pourquoi?

On me dit liberté je dis nécessité.
On dit nécessité, je hurle liberté.
J'hulule sur ma branche de nuit des musiques captées par hasard dans cette radio de ma tête, autonome, qui vit très bien sans mon consentement, ne répond point à mes appels. Dessiné là, en contre-lune, sur ma branche-nuit, je me déhanche doucement au rythme des transitions du destin. Toujours trouver une continuité entre deux moments bien distincts. Il faut rendre la somme de ses instants à l'unité du sens. Il y a bien des genres musicaux pour cela.

Chaque gens, une note singulière. D'aucunes sur lesquelles on ne souhaite pas s'attarder, mais qui colorent tout de même de belle manière un accord familier, un arpège apprécié.

C'est pour cela moins qu'un chien. Pour la musique qui est là, capturée sur je ne sais quelles fréquences publiques, stellaires, galactiques, sidérales, oniriques.

On me chante stabilité: la vie c'est trois couplet quatre refrains, et moi je surfe hors de la piste, improvise comme un soliste. Ma vie n'a pas de sens, elle est pauvreté, précarité, indécence, hors des clous, extravagante, sans structure et instable, branlante comme la cime des grands arbres sous le ciel. Ma vie de moins que chien, parmi les cafards fous, ma vie sans lendemain, ma vie d'infortune et de hasard, toujours sur le fil, entre un abîme et l'autre. Toutes les vies sont ainsi faites, entre un abîme et l'autre... La seule différence est que je m'y complais, que je garde les yeux bien ouvert et contemple le vide. Suspendu là, dans l'existence, j'aime être moins qu'un chien. Je crèverai la bouche ouverte, sans retraite parce que je n'ai jamais bien travaillé, je ne garde plus mes bulletins de salaire, je ne fais pas les comptes - qu'y aurait-il à compter -, ne planifie pas, je suis la mélodie comme un sillon sinueux qui m'emmène au-dehors, au-dedans, m'écarte et me ramène. J'ai le goût des transitions dans un monde rectiligne. Voilà pourquoi moins qu'un chien.

Tant pis, tant mieux, mes dernières mesures seront une musique et le dernier accord, ou la dernière note, tirera son sens de tout ce qui précède. Ne comprenez-vous pas? Je cherche la note bleue, l'enchaînement d'instants qui produisent un frisson qui rend caduque toute possession.

Je ne possède rien, je ne souhaite pas posséder, mais je rêve que l'instant me prenne, devenir la proie consentante d'une harmonie d'écoulement.

Nous sommes tous des passants. Et tout passe.

2 commentaires:

Annick SB a dit…

Bonsoir
c'est étrange cette expression " moins qu'un chien" . Je vins de caresser longuement le mien, de le photographier et de me dire qu'il a la belle vie et ... je tombe sur votre -sombre - texte ( un peu slam dans le rythme ) ! La vie est surprenante et j'aime ça !
Petit cadeau d'espérance :
https://annicksbmesprieres.blogspot.fr/2018/03/tout-est-vain.html

Bonne nuit ...

L'âme en chantier a dit…

Bonjour Annick, merci pour le partage (j'ai lu le texte en lien qui est très beau).

En fait l'expression vient d'une biographie de Charles Mingus, c'est le titre de l'oeuvre. J'ai trouvé que ça correspondait à une manière un peu exagérée de regarder ma vie. Ce n'est pas si sombre en fait, mais je dirais plutôt, en ce qui me concerne, d'une lucidité vibrante, c'est l'affirmation d'un amour pour la vie absurde, merveilleusement bien décrite par l'Ecclésiaste (qui est le seul passage digeste, et surtout sublime, pour moi dans la Bible - mais je n'ai réussi à en lire qu'une infime partie...).

Je pense que tout ce blog n'est que l'affirmation - la proposition? - que ce qu'on qualifie de sombre justement porte en fait en soi parfois plus de lumière et d'extase que n'en contiennent les poèmes un peu fades parce qu'ils sont tous les mêmes à force de vouloir divertir, d'éblouir d'images colorées et qui projettent le lecteur dans un univers criard et si vif et peu nuancé en terme de sensations et de conceptions qu'ils constituent à mon sens non plus un art mais un divertissement.

Je trouve de la beauté partout en ce qui me concerne, et j'ai peut-être endossé la mission de la montrer où lm'on a tendance à l'oublier, lorsqu'on veut réduire l'existence humaine à des dimensions de pure joie, lors même que c'est tout le spectre qui est nécessaire pour jouer, comme le sont chaque note d'un piano.

Je crois que c'est un peu tout ça que j'essaye de dire...