Il faut les étouffer les gens comme moi, sinon ils crèvent de leur propre vacuité. Si on ne harponne pas chacune de leurs secondes par le tribut de l'attention et du regard d'autrui, par une incalculable dette envers les êtres et les choses, alors ils percent tout instant de mille abysses insondables, criblant les minutes d'un vide qui renvoie l'écho débilitant du rien qui s'observe.
"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose" Léo Ferré
vendredi 25 juillet 2025
Aux âmes languissantes
Poursuivre l'ourdissage de l'œuvre à travers la calligraphie de l'âme peut désormais se faire sans la notion du moi, de cette identité qu'on cherche en ce reflet d'un style. On peut attacher la même valeur à ces formes qui séduisent sans pour autant soumettre la démarche à la saisie du moi. Il doit être possible de témoigner d'un degré d'obsession toujours aussi élevé quand bien même il ne s'agirait pas de soi, mais simplement de tracer les formes de ce Beau qui fait la clef de nos rêves -- l'espoir d'une valeur pour éclairer le vain mécanisme des choses.
On peut véritablement vivre sans l'idée d'un égo, sans que cela ne change grand-chose dans le déroulement de ce rendez-vous manqué du destin. Il n'y a pas de rendez-vous. Il n'y a que l'exécution d'un écheveau de lois qui fait d'un être le miroir de l'Être qui se mire et se divise afin d'être moins seul.
Le néant est la seule compagnie de l'Être. Je chemine au creux du néant, sans cesse renouvelé. Je suis le sans-identité, sans-substance, celui qui toujours observe ce qui ne saurait être lui: la condition de possibilité du Même et de l'Autre.
Lorsque j'ai cru vouloir me transsubstantier en un lacet de mots, je n'avais pas compris alors que tout ce que je désirais, ce n'était déjà plus être, mais pouvoir contempler encore, toujours plus, cette beauté des astres où j'ensorcelle mon regard -- ô sommet de Babel, horizon-miroir du verbe.
Je ne cherche plus à exister mais à graver d'interminables calliglyphes les cent milliards de cahiers de mon âme -- et que tout ce qui vaque autour de moi, encore dépourvu de mon signe, se trouve sidéré tel un profond minuit de voie lactée.
Désirer s'abolir... et vider la lueur des cieux pour l'y celer en prose aphoristique; que toute la lumière du monde se love en mon poème -- qu'il me fasse univers, ainsi qu'à tous les déroutés du monde, gyrovagues acosmiques que les dogmes d'une science naturalisée ennuient.
Je produirai la houle d'océans innombrables pour que jamais, jamais plus, cette soif qui nous ronge, et néanmoins nous porte par-delà le même, ne trouve un refuge où s'abreuver sans s'éteindre.
Que toute ma durée soit ivresse du présent aux âmes languissantes.
lundi 7 juillet 2025
Cours préparatoire
À mes yeux, je sais qu'un jour viendra... tu seras chose unique, embrumée de lumière, en halo singulier dans le ciel obscurci. Un jour... Toutes les étoiles déchues des nuits spatiales te seront un décor pour allumer un feu -- en moi. Il n'y aura plus que toi, et chaque geste de la vie, les actions commandées, l'énergie consentie, seront tous les prétextes à emprunter les ponts menant vers ta clarté.
De mes premiers regards sur tes formes d'éthiops les choses n'ont pas changé; j'avais trouvé la forme pour me pétrifier d'éternité, c'était si clair et si soudain: j'avais élu l'entrelacs de tes bras pour y saisir une âme à laquelle aspirer. Car aimer c'est vouloir se dissoudre en l'objet contemplé.
Les femmes que j'ai aimé furent les femmes que j'étais; mais il y avait encore trop de nature en elles, et je pouvais, par là, me passer de l'histoire. À travers toi, par contre, c'est bien l'œuvre des hommes qui m'élève à l'extase. Et je sais désormais que je suis bien humain à mesure que mon âme imprime en l'usine des jours ce poème où j'inhume un feu de ma durée.
vendredi 4 juillet 2025
Métaphore de la conscience
À mesure que l'on vieillit s'ancre plus profondément la certitude vécue que l'on est seul, absolu car ignorant des autres. Les anciennes relations se reconfigurent sans cesse, délitant des liens qu'on croyait établis -- mais qu'est-ce qui, réellement, peut prétendre à l'être?
Les nouvelles relations, quant à elles, sont plus friables que les pâtés de sable océanique, ils offrent l'illusion du grandiose et du solide, mais vivent le temps d'une marée. À force d'en engranger puis de les voir s'effriter, on cesse de pourchasser les nuages, et, l'espoir fait place à la méfiance qui cède la place au scepticisme.
Peut-être alors, se rend-on compte qu'on n'est plus si aimable qu'on croyait, qu'on a perdu ce quelque chose qui réchauffait les cœurs, qu'on est devenu tellurique: on a vêtu son nu noyau.
Il faut prier alors que tout ce que le temps a bien solidifié ne s'érode pas comme le reste, que demeure quelques stalactites philiaques capables de construire et de consolider à rebours du naufrage qu'est tout destin.
Que la caverne de ses quarante ans est nue... hantée par d'échevéennes réverbérations invoquant tous les spectres d'un passé dilaté au point d'être gazeux.
Voilà ce qui reste des autres, un nuage gazeux que l'immense abjecte masse de notre égo capture en son orbite pour y nourrir la fission atomique d'une âme centrifuge -- et par là-même tuminescente.
L'âme un chantier détruisant tout pour son néant -- le trou noir métaphore de toutes les consciences.