mercredi 27 mai 2015

Le spectre et son ombre

La vulgarité est l'ultime raffinement... Il m'aura fallu endurer le cycle complet partant de la vulgarité comme seul horizon pour mener à la sophistication comme raffinement suprême et enfin revenir à la vulgarité comme acmé de l'intelligence et de la complexité. Rien de plus complexe que la simplicité brute et sans atours. Voilà mon chemin sans route, voici le chant atone de ma vie, ce crépuscule sans soleil.

Et toutes les aurores se sont déroulées dans l'obscurité totale, chaque éclipse n'aura caché d'une éphémérité éternelle et fixe que la béance sombre de la vacuité informe. Et toutes ces formes sans contours qu'aucun oeil ne peut saisir, à quoi peuvent-elles bien servir dorénavant et que représentent-elles?

Je ne vois plus rien aujourd'hui, rien que l'aveuglante absence de lumière, rien que la série totale de l'innombrable multiplicité, offerte dans l'unité de mon regard trouble. Et toutes les mélodies se font entendre, dans un sifflement de l'univers indistinct, accord dissonant de toutes les harmonies possibles et qui figure le temps d'un monde qui passe et se dégonfle dans l'étrange spectacle des phénomènes. L'univers - qui n'a rien d'uni - est percé, il suinte par l'impossible paradoxe d'une éternité fluente sa mélancolie stellaire et solitaire, à travers les jours qui s'achèvent dans la confusion des deuils et des naissances. Qui est deuil et qui est naissance, si l'un se confond avec l'autre?


Et moi, moi, moi... Impossible identité qui file sans fondement. Chantier qui recommence sans début ni fin son éternelle construction inachevée, car inachevable... Moi qui regarde au dehors par de multiples fenêtres: d'abord celle de mes sens, puis celle de mes concepts, et enfin celle de l'artefact physique fait de verre à travers laquelle filtre une hypothétique et mystérieuse lumière. Et toutes n'en font qu'une dans le délire des phénomènes qui m'apparaissent. Théâtre où le spectateur se confond avec la scène, avec l'intrigue, dans une étrange schizophrénie. Spectacle lassant d'une vie vécue sans être voulue - est-elle seulement vécue dans ce cas? -, spectacle auquel je ne crois plus que par un fil: celui d'une curiosité sans cesse renouvelée par l'irruption absurde du réel qui se heurte sur... Sur quoi se heurte-t-il d'ailleurs? Et se heurte-t-il vraiment ou bien les étoiles se jouent-elles ce trop vrai mensonge, juste pour rire, juste pour donner vie dans la danse folle des images à ce pantin de chair au coeur qui ne bat plus que sur le rythme du doute? Nous sommes les fils des étoiles paraît-il? Elles me paraissent pourtant aussi indiscutablement fausses que nous, impossiblement vraies aussi...

Mais tant pis, je prends des navires sans coques, naviguant sur des non-océans qui ne sont finalement rien d'autre qu'une idée que l'on se fait du liquide et de l'informe. On parle d'énergie mais il suffit de fixer le mot suffisamment longtemps pour le voir, comme chaque chose, s'effacer devant la source qui s'écoule indifférenciée de cette âme sans substance. Et le mot s'évapore dans la continuité mouvante du temps. Bientôt même les lettres qui composent le mot temps se délient, et le concept demeure suspendu, muet, dans on ne sait quelle dimension de forme-images. Si l'on se montre suffisament courageux, bientôt cette dimension se brésille sous l'impact silencieux et terrifiant d'une supernovae. Mais rien n'est visible de tout cela, nulle violence: tout se tait dans la fureur d'un calme silence, tout s'éteint dans la luminosité sans nuances de la déréalisation.

Et peut-être alors, que c'est cela mourir.

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